Trois types de violences : vécu frustré – délit – jeu de pouvoir

« Les différentes réponses qu’il convient d’apporter aux conduites agressives sont à la base d’une typologie au cœur de la méthode C-R-I-T-E-R-E : les « violences-manière de dire quelque chose » ne se traitent pas de la même manière que les « violences-manières d’obtenir quelque chose », au sein desquelles je distingue les violences-délit et les violences-pouvoir. Ce n’est pas la forme qu’elles prennent qui permet de les distinguer. Qu’elles soient finement psychologiques, verbales ou brutalement physiques, on les déjoue en diagnostiquant correctement leur cause et leur finalité. Les « violences-manière de dire » sont provoquées par une tension émotionnelle et sont désamorcées par l’empathie. Sont à classer dans la catégorie des violences délictuelles toutes celles que l’amélioration du cadre de droit réussit à éliminer. Restent les jeux de pouvoir que la morale ne peut pas contrecarrer par le droit contraignant et dont on se joue par l’art diplomatique du recadrage et, à la racine, par la force tranquille qui garde sereinement le cap de ses objectifs » (Chomé Étienne, La méthode C-R-I-T-E-R-E pour mieux gérer nos conflits, Presses universitaires de Louvain, 2009, p. 108) + étape 3 du parcours de formation.

violence-manière de dire et violence-manière d’obtenir n’appellent pas le même remède

« Les « violences-manière de dire » viennent de notre impuissance à nommer ce qui se passe en nous et à en prendre soin. Une émotion forte qui ne trouve pas de mot produit des maux. Faute de pouvoir dire une frustration, nous nous mettons à aboyer et, si cela ne suffit pas, à mordre. Le passage de l’agressivité verbale à la violence physique est ici affaire de degré, la tension émotionnelle augmentant à mesure que l’incompréhension se prolonge. Ces brutalités sont le prix que nous payons à ne pas écouter notre vécu. Ce n’est pas la frustration qui entraîne la violence mais plutôt l’incapacité à accueillir et à faire quelque chose d’utile de cette frustration. Le frère qui mord sa sœur alors même qu’elle est fêtée et félicitée par tous est en train de dire tragiquement sa jalousie et son propre besoin d’attention. Cela se soigne autrement que s’il était en train de tricher en vue de tirer profit (« violence-manière d’obtenir »). C’est en lui offrant de l’attention et en l’aidant à s’écouter, lui, au bon endroit que disparaîtra son animosité. De même, le sentiment de colère ne devient violent que s’il n’est pas entendu. Le mari qui en vient à « parler avec ses poings » a d’abord accumulé des frustrations, puis il a vu rouge car il n’a pas pu nommer son besoin ni trouver les moyens concrets de l’honorer et de le faire respecter. C’est en prenant au sérieux ce qui n’est pas respecté en lui qu’il arrêtera de siffler comme une cocotte-minute sous pression. La communication vraie constitue le remède à toutes les paroles blessantes ou emmurées » (Chomé Étienne, La méthode C-R-I-T-E-R-E pour mieux gérer nos conflits, Presses universitaires de Louvain, 2009, p. 109) : étape 3 duparcours de formation.

S’entre tenir

Mille manières d’amorcer & nourrir nos temps de qualité :
mettre un petit mot « merci pour… », « je t’aime »
dans sa poche, dans sa sacoche, dans son planning,
sur le siège de l’auto, sur le côté de son oreiller ;
soigner les retrouvailles en fin de journée (un véritable
espace pour le « comment s’est passée ta journée ? »),
faire une promenade ensemble,
apporter une douceur que l’autre apprécie au lit à son réveil,
laisser une musique nous ré-unir,
se masser quelques minutes,
s’entre-tenir devant le feu allumé ensemble,
dîner aux chandelles, prendre un verre ensemble,
passer la soirée en mode home cinéma,
revoir des photos- ou vidéos-souvenirs,
danser ensemble dans le salon,
cuisiner ensemble ou pour l’autre, etc., etc.,…

La règle du 1 – 1 – 1 pour une vie commune nourrie :
1 soirée par semaine
1 weekend par mois
1 semaine par an

Conflit expression d’une divergence, risque ET opportunité d’évolution

Le conflit est l’expression d’une divergence, l’opportunité d’une évolution, d’une maturation, le risque d’une régression, d’une détérioration.

En ce sens, au moment où il apparaît, le conflit est neutre : en soi, il n’est ni bon ni mauvais. Par contre, c’est la manière dont nous allons le dire, le gérer et le digérer qui sera bonne ou mauvaise, judicieuse ou destructrice.

Texte et illustration extraits de Chomé Étienne, La méthode C-R-I-T-E-R-E pour mieux gérer nos conflits, Presses universitaires de Louvain, 2009, p. 37-41.

Première étape du parcours C-R-I-T-E-R-E

Penser des mots / panser des maux

 

170 nouveaux mots intègrent l’édition 2022 du Petit Larousse illustré, dont deux tiers liés à la crise du Covid. Dans les périodes d’épreuve collective, les groupes humains augmentent leur productions lexicales ; 3 records : les deux Guerres mondiales et l’actuelle pandémie. 

La créativité linguistique sembler aider à moins subir passivement l’épreuve, à la traverser en mettant des mots sur les maux.

On crée des mots et on donne un sens nouveau à des mots existants, comme asymptomatique, comorbidité. Le masque servait à se déguiser, désormais à se protéger. « Aéroporter » & « confinement » se sont déconfinés de leur cadre jusque-là militaire ; avant l’arrivée du virus, « confinement » se définissait ainsi : « Ensemble des conditions dans lesquelles se trouve un explosif détonnant quand il est logé dans une enveloppe résistante » et « Ensemble des précautions prises pour empêcher la dissémination des produits radioactifs, dans l’environnement d’une installation nucléaire ».

« Coronapéro » (apéro par écrans interposés à cause du coronavirus) n’a  pas été jugé assez pérenne pour entrer dans le dictionnaire : il semble qu’il n’y serait pas resté longtemps… Qui vivra, verr-à moitié vide ou plein !

Une belle présence dans une juste distance

« Se rencontrer, c’est apprécier la proximité à bonne distance. Pour être suffisamment proche de manière adéquate et aidante, il faut être suffisamment loin » (Jean Furtos, (D)oser la relation : entre « bonne distance » et juste présence, Congrès de l’Association Parole d’Enfants, 1 & 2 décembre 2014).

Pote au chaud

« Pourquoi la présence de certains hommes, de certaines femmes bien précis à mes côtés fait-elle se dilater le soleil dans mon sang ? » (Walt Whitman).

« Il n’y a pas d’étrangers ici ; seuls des amis que tu n’as pas encore rencontrés » (William Butler Yeats).

« L’amitié adoucit les douleurs et redouble les plaisirs » (Madeleine de Scudéry).

« Chaque fois que deux personnes se rencontrent, un monde nouveau est créé » (Osho).

S’enlacer sans lacer. S’en mêler sans s’emmêler…

Non, non, mon cœur n’est pas un feu couvert,
Un petit feu épris en un bois vert,
Qui meurt soudain, soudain on ne l’attise.
Le mien est prompt mêlé de soufre vif,
Qui jusqu’à l’os me consomme hâtif,
Et dont mon âme est follement éprise 
       Rémy Belleau  😉 Méli Mélo

« La seule chose qui puisse faire de l’amour un sentiment très beau, c’est la fidélité jusqu’à la mort » (André Maurois).

« — Monsieur Sacha Guitry, comment voyez-vous la vie amoureuse ?
— C’est très simple : on se veut et on s’enlace,
puis on se lasse et on s’en veut… »

T’aimer sans te posséder

Le conte de la montagne de la courge

Ce que je vais raconter arriva, il y a bien des années, si longtemps que personne ne sait plus dans quelle province et dans quelle contrée. On dit seulement qu’il existe encore au-dessus d’un lointain village, une montagne dont la forme rappelle celle d’une énorme courge. Et c’est ainsi qu’on la désigne d’ailleurs : la montagne de la courge.

On dit que jadis, une plaine semblable à toutes les autres s’étendait là. Et dans un village de cette contrée vivait un jeune homme du nom de Lieou Pa-yue. C’était un garçon travailleur au cœur simple et bon. Lieou-Pa-yue ne possédait rien. Son père avait eu jadis un petit bout de champ mais un fermier l’en avait dépossédé. Lieou-Pa-yue vivait donc de son travail. Il allait tout le jour durant ramasser du bois dans les montagnes et le rapportait au village. Il était vraiment si pauvre, n’ayant que sa chaumière et ses mains, qu’on l’avait surnommé Dénué.

Dénué cependant ne souffrait pas de son extrême pauvreté. Lorsqu’il avait le cœur gai, et il avait souvent le cœur gai, il jouait du pipeau qu’il s’était fabriqué lui-même dans une branche de bambou.

Un soir, Dénué rentra si fatigué qu’il s’endormit d’un sommeil très lourd. Et voilà que sa porte s’ouvrit et qu’un vieillard appuyé sur une canne entra dans sa chaumière, s’approcha du jeune homme et lui dit : « Je t’ai apporté une flûte enchantée, Dénué. Essaie de t’en servir du mieux que tu pourras. »

Et avant que le jeune homme fût revenu de sa surprise pour remercier le vieillard, celui-ci avait disparu. Dénué, à son réveil, crut avoir rêvé. Mais non ! N’avait-il pas à la main une belle flûte de bambou ? Il la porta aussitôt à sa bouche et siffla d’un air joyeux. La voix claire de la flûte lui réchauffa le cœur et il se sentit tout joyeux et léger.

Depuis lors, Dénué ne quittait jamais sa flûte et en jouait à tous ceux qui souhaitaient l’écouter. S’il jouait un air joyeux, la flûte riait tant et tant que les oiseaux se mettaient à sautiller sur les branches, les fourmis à battre la mesure de leurs antennes et les plus grincheux à rire. Pourtant, Dénué songeait parfois à sa solitude et à son dénuement. Alors sa flûte pleurait d’une voix si désolée que les fleurs refermaient leurs calices, que les oiseaux se taisaient et que les larmes vous montaient aux yeux.

Devant la chaumière de Dénué s’étendait la surface étincelante d’un étang bordé de saules. Le poisson abondait dans ses eaux limpides. Un soir, Dénué y aperçut des enfants qui jouaient au bord de l’eau. Le plus agile des garçons avait réussi à attraper un poisson et les autres battaient des mains en poussant des cris de joie. Dénué s’approcha et son cœur s’arrêta net. C’était une pauvre carpe qui se tortillait en happant désespérément l’air. « Laissez-la ! » s’écria Dénué. « Mais, protestèrent les garçons, nous sommes si contents de l’avoir attrapée. A moins, à moins, ajoutèrent-ils, que tu nous joues un air sur ta flûte. » Dénué prit la carpe et la rejeta à l’eau. Puis il prit sa flûte et en retira des sons si joyeux que les enfants oublièrent aussitôt leur poisson et se mirent à sauter et à danser.

Le lendemain matin, Dénué, comme à l’habitude, alla se laver dans l’étang. Et soudain les eaux se troublèrent et la carpe qu’il avait délivrée la veille sortit la tête. Elle tenait, dans sa gueule, une graine de courge. Elle nagea vers la berge, cracha la graine devant Dénué et disparut dans la profondeur des eaux.

Dénué était ravi. Il prit la graine et la planta devant sa chaumière. Peu de temps après, de fragiles feuilles sortirent de terre et, quelques jours plus tard, une belle fleur s’ouvrit. Dénué arrosait soigneusement la plante, il lui prépara un tuteur pour qu’elle puisse y grimper. La fleur se fana et la courge commença à grossir. Lorsque après quelques mois la courge fut mure, elle était si grosse que personne n’en avait jamais vu de pareille. On venait de loin pour la voir et Dénué était tout fier.

Par les chaudes soirées d’été, Dénué s’asseyait devant sa chaumière. Les nuits claires succédaient aux soirs et la courge se balançait lentement pendant que Dénué, appuyé contre la palissade, jouait longuement sur sa flûte en contemplant la lune. Et voilà qu’un soir, il lui sembla voir sortir de la courge l’ombre d’une jeune fille. Dénué se frotta les yeux, croyant avoir rêvé. Mais l’ombre ne s’évanouissait pas. Alors il se leva et s’approcha timidement. Près de la palissade, se tenait une toute jeune fille, belle comme une fleur de printemps, et qui lui souriait. Là où, un instant encore auparavant, se gonflait la courge, il ne restait plus, sur le sol, qu’une enveloppe flasque et verte.

« De quoi as-tu peur ? » dit doucement l’ombre. « Eh bien, approche! » « D’où viens-tu, ô fée ? » bredouilla Dénué saisi d’étonnement. « De quelle fée parles-tu? » reprit la voix chantante. « Je suis née d’une graine de courge. Je m’appelle Courgeline. Je te remercie de m’avoir si bien soignée. Si tu veux, je deviendrai ta femme. »

Dénué était fou de joie. Et tous les deux saluèrent la terre et le ciel dans la claire nuit d’été et célébrèrent ainsi leurs noces. Ils vécurent alors heureux dans la chaumière. Dénué tous les jours partait dans les montagnes ramasser du bois, et quand il rentrait à la maison, Courgeline l’attendait sur le seuil, le sourire aux lèvres.

Or il advint un jour qu’un serviteur impérial traversa le village. Il aperçut Courgeline dont la beauté le frappa d’étonnement. A son retour au palais, il parla de cette beauté avec tant d’enthousiasme que l’empereur ordonna aussitôt qu’on la lui amenât et qu’il ferait de Courgeline sa concubine.

Les sbires arrivèrent au village porteurs des ordres de l’empereur. Dénué faillit en perdre la raison. Mais Courgeline sourit et lui dit : « Ne pleure pas et ne crains rien ! Donne-moi un morceau de l’épluchure de ma courge et dans sept fois sept jours, viens me trouver dans le palais impérial. » Et les sbires s’emparèrent de Courgeline et la menèrent au maire qui la donna au préfet, qui la conduisit à l’empereur.

Le cœur de l’empereur se mit à battre plus fort lorsqu’il aperçut la merveilleuse jeune fille. « Resteras-tu avec moi ici ? », lui demanda-t-il. « Je reste », dit Courgeline en hochant la tête, « mais je n’aime pas ton palais ». « Que dis-tu ? » s’étonna l’empereur. « Il n’y en a pas de plus beau sur la terre. Ou bien en connaîtrais-tu un ? » « J’en connais un plus beau que le tien », répondit Courgeline. « A sept fois sept jours de marche vers l’Est se trouve le palais de cristal construit par l’empereur du ciel pour le fils du ciel. Qui n’est pas un vrai fils du ciel ne peut voir ce palais. »

Alors la curiosité s’empara de l’empereur et il décida de se rendre avec toute sa suite et Courgeline vers le levant. Quand sept fois sept jours se furent écoulés, Courgeline jeta sur le sol l’épluchure de courge et dit : « Change-toi en palais de cristal ! » Aussitôt, devant l’empereur ébloui, se dressa un palais étincelant. L’empereur y entra et derrière lui toute sa suite. Et soudain, on eût dit que la terre disparaissait sous leurs pieds. Le lendemain, à la place du palais, se dressait une montagne dont la forme rappelait celle d’une courge et sous laquelle l’empereur et sa suite avaient disparu à jamais.

Cependant, Dénué cheminait, ainsi que le lui avait demandé sa femme, vers le palais impérial. Quand sept fois sept jours eurent passé, il entra dans la ville impériale par une grande porte ouverte. Il ne rencontra ni l’empereur ni aucun courtisan de sa suite. Seule Courteline vint à sa rencontre. Alors ils retournèrent dans le village et y vécurent longtemps très heureux. Et depuis lors on ne désigna plus la montagne au-dessus des collines de l’Est que du nom de « Montagne de la Courge « 

(Contes chinois, éd. Gründ).