en-bouteille-âge

Mon cœur, comme un oiseau, voltigeait tout joyeux
Et planait librement à l’entour des cordages
Le navire roulait sous un ciel sans nuages
Comme un ange enivré d’un soleil radieux.

Quelle est cette île triste et noire ? C’est Cythère,
Nous dit-on, un pays fameux dans les chansons,
Eldorado banal de tous les vieux garçons.
Regardez, après tout, c’est une pauvre terre.

Île des doux secrets et des fêtes du cœur 
De l’antique Vénus le superbe fantôme
Au-dessus de tes mers plane comme un arome,
Et charge les esprits d’amour et de langueur.

Belle île aux myrtes verts, pleine de fleurs écloses,
Vénérée à jamais par toute nation,
Où les soupirs des cœurs en adoration
Roulent comme l’encens sur un jardin de roses

Ou le roucoulement éternel d’un ramier !
Cythère n’était plus qu’un terrain des plus maigres,
Un désert rocailleux troublé par des cris aigres.
J’entrevoyais pourtant un objet singulier !

Ce n’était pas un temple aux ombres bocagères,
Où la jeune prêtresse, amoureuse des fleurs,
Allait, le corps brûlé de secrètes chaleurs,
Entre-bâillant sa robe aux brises passagères 

Charles Baudelaire, Un voyage à Cythère
dans Les Fleurs du mal, 1857.