Charles Baudelaire et Jeanne Duval

Connaissez-vous l’histoire du fol amour entre Charles Baudelaire et la métisse des îles, Jeanne dite Duval ? L’entourage du poète fit tout pour la nier et mettre des bâtons dans les roues d’une telle union. Les Fleurs du mal n’auraient pas existé sans Jeanne, Pourtant, le procès intenté contre sa publication exige dans sa sentence qu’on en retire les poèmes les plus fous d’amour pour Jeanne, la ‘tite Créole : les bijoux, les balcons, le Léthé…

En retenant l’accusation d’outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs, sans retenir l’accusation d’outrage à la religion, c’est la métisse qu’on met au ban de la société. La France d’alors (1857) sort très difficilement de l’esclavage. Aujourd’hui, sereinement, nous pouvons voir et dénoncer le racisme qui est au cœur de ce refus de couple mixte, refus qui a rendu la vie impossible à Charles et Jeanne. Cf. la conférence d’Emmanuel Richon en 2007, lors du 150ème  anniversaire de la publication des Fleurs du mal.

Les bijoux

La très-chère était nue, et, connaissant mon cœur,
Elle n’avait gardé que ses bijoux sonores,
Dont le riche attirail lui donnait l’air vainqueur
Qu’ont dans leurs jours heureux les esclaves des Maures.

Quand il jette en dansant son bruit vif et moqueur,
Ce monde rayonnant de métal et de pierre
Me ravit en extase, et j’aime à la fureur
Les choses où le son se mêle à la lumière.

Elle était donc couchée et se laissait aimer,
Et du haut du divan elle souriait d’aise
A mon amour profond et doux comme la mer,
Qui vers elle montait comme vers sa falaise.

Les yeux fixés sur moi, comme un tigre dompté,
D’un air vague et rêveur elle essayait des poses,
Et la candeur unie à la lubricité
Donnait un charme neuf à ses métamorphoses ;

Et son bras et sa jambe, et sa cuisse et ses reins,
Polis comme de l’huile, onduleux comme un cygne,
Passaient devant mes yeux clairvoyants et sereins ;
Et son ventre et ses seins, ces grappes de ma vigne,

S’avançaient, plus câlins que les Anges du mal,
Pour troubler le repos où mon âme était mise,
Et pour la déranger du rocher de cristal
Où, calme et solitaire, elle s’était assise.


Je croyais voir unis par un nouveau dessin
Les hanches de l’Antiope au buste d’un imberbe,
Tant sa taille faisait ressortir son bassin.
Sur ce teint fauve et brun, le fard était superbe !

Et la lampe s’étant résignée à mourir,
Comme le foyer seul illuminait la chambre,
Chaque fois qu’il poussait un flamboyant soupir,
Il inondait de sang cette peau couleur d’ambre !

Baudelaire touché par les peuples créoles des îles

Après avoir séjourné à l’île Maurice en juin 1841, Charles Baudelaire arrive à l’île Bourbon (La Réunion), avant de rentrer en « métropole ». Jusqu’à la fin de sa vie, il restera marquée par cette expérience humaine dans ces îles, qu’il a vécue intensément au contact du peuple créole, unique en son genre, aujourd’hui fruit de l’union entre humains d’origines si diverses : chrétiens, hindous, musulmans, bouddhistes…; Français, Africains (de coins très divers du continent), Indiens + Pakistanais, Chinois. Ces deux îles sont des laboratoires d’humanité par cette vie partagée entre humains des principales races et religions de cette planète. Abrégé de l’humanité saisissant !…

Avec La belle Dorothée (ci-dessous), poème en prose rédigé entre 1855 et 1864, Charles Baudelaire célèbre à sa manière l’art de vivre de ces îles en train de sortir difficilement de leur période esclavagiste (abolition en 1835 à Maurice, en 1848 à La Réunion).

Le soleil accable la ville de sa lumière droite et terrible ; le sable est éblouissant et la mer miroite. Le monde stupéfié s’affaisse lâchement et fait la sieste, une sieste qui est une espèce de mort savoureuse où le dormeur, à demi éveillé, goûte les voluptés de son anéantissement.

Cependant Dorothée, forte et fière comme le soleil, s’avance dans la rue déserte, seule vivante à cette heure sous l’immense azur, et faisant sur la lumière une tache éclatante et noire.

Elle s’avance, balançant mollement son torse si mince sur ses hanches si larges. Sa robe de soie collante, d’un ton clair et rose, tranche vivement sur les ténèbres de sa peau et moule exactement sa taille longue, son dos creux et sa gorge pointue.

Son ombrelle rouge, tamisant la lumière, projette sur son visage sombre le fard sanglant de ses reflets.

Le poids de son énorme chevelure presque bleue tire en arrière sa tête délicate et lui donne un air triomphant et paresseux. De lourdes pendeloques gazouillent secrètement à ses mignonnes oreilles.

De temps en temps la brise de mer soulève par le coin sa jupe flottante et montre sa jambe luisante et superbe ; et son pied, pareil aux pieds des déesses de marbre que l’Europe enferme dans ses musées, imprime fidèlement sa forme sur le sable fin. Car Dorothée est si prodigieusement coquette, que le plaisir d’être admirée l’emporte chez elle sur l’orgueil de l’affranchie, et, bien qu’elle soit libre, elle marche sans souliers.

Elle s’avance ainsi, harmonieusement, heureuse de vivre et souriant d’un blanc sourire, comme si elle apercevait au loin dans l’espace un miroir reflétant sa démarche et sa beauté.

À l’heure où les chiens eux-mêmes gémissent de douleur sous le soleil qui les mord, quel puissant motif fait donc aller ainsi la paresseuse Dorothée, belle et froide comme le bronze ?

Pourquoi a-t-elle quitté sa petite case si coquettement arrangée, dont les fleurs et les nattes font à si peu de frais un parfait boudoir ; où elle prend tant de plaisir à se peigner, à fumer, à se faire éventer ou à se regarder dans le miroir de ses grands éventails de plumes, pendant que la mer, qui bat la plage à cent pas de là, fait à ses rêveries indécises un puissant et monotone accompagnement, et que la marmite de fer, où cuit un ragoût de crabes au riz et au safran, lui envoie, du fond de la cour, ses parfums excitants ?

Peut-être a-t-elle un rendez-vous avec quelque jeune officier qui, sur des plages lointaines, a entendu parler par ses camarades de la célèbre Dorothée. Infailliblement elle le priera, la simple créature, de lui décrire le bal de l’Opéra, et lui demandera si on peut y aller pieds nus, comme aux danses du dimanche, où les vieilles Cafrines elles-mêmes deviennent ivres et furieuses de joie ; et puis encore si les belles dames de Paris sont toutes plus belles qu’elle.

Dorothée est admirée et choyée de tous, et elle serait parfaitement heureuse si elle n’était obligée d’entasser piastre sur piastre pour racheter sa petite sœur qui a bien onze ans, et qui est déjà mûre, et si belle ! Elle réussira sans doute, la bonne Dorothée ; le maître de l’enfant est si avare, trop avare pour comprendre une autre beauté que celle des écus !

Baudelaire à l’île Maurice

En route vers Calcutta, Charles Baudelaire met pied à terre à l’île Maurice, le 9 juin 1841. Après une tempête continue de plus de cent heures au large du cap de Bonne Espérance, il n’ira pas plus loin : son navire compte de nombreuses avaries, dont un mât brisé. Son célèbre poème L’albatros vient de ce long temps de traversée, et bien d’autres vers comme : « Dans les caresses de ta chevelure, je retrouve les langueurs des longues heures passées sur un divan dans la chambre d’un beau navire » (Un hémisphère dans une chevelure).

Il décrit l’île Maurice ainsi : « parfum exotique, terre magnifique, éblouissante. Les musiques de la vie s’en détachent en un vague murmure. De ses côtes, riches en verdure de toutes sortes, s’exhale, jusqu’à plusieurs lieues, une délicieuse odeur de fleurs et de fruits. »

Morisien, morisienne bizin guetté sa lien-la ek lir sa zistwar la : Emmanuel Richon, Le voyage de Charles Baudelaire aux Mascareignes,  septembre 2004, http://www.potomitan.info/moris/baudelaire/baudelaire3.php.

Jean et Hildegard Goss au service de la non-violence évangélique

Fêtant ses cent ans, le MIR (Mouvement International de la
Réconciliation) en France organise un colloque à Paris les 9 et 10 juin.
Il m’a été demandé d’y prendre la parole à propos de
« Jean Goss (1912-1991) et Hildegard Goss-Mayr,
au service de la non-violence évangélique active :
engagement, impact et influence ».

Pour avoir le programme complet / vous inscrire,
contactez-moi en MP
ou christian.renoux@univ-orleans.fr ; mirfr@club-internet.fr.
Tél. +33 01 47 53 84 05 ; www.mirfrance.org/MIR.

Pâques pas que raid

Comme il est bon d’inviter chaque part en moi
à prendre un bon teatime pour ‘cause-causer’ ensemble.
J’ai une attention particulière à mes parts qui semblent
dans l’ombre de la force, porteuses de la puissance de
l’ombre, comme celle qui se croit forte d’offrir
un bouquet de fleurs, en tuant des pâquerettes…
Rejoindre et reconnaître leur intention d’amour
jusqu’à ce qu’elles se détendent et laissent l’Amour
conduire notre temps de qualité…

Voilà Pâques :
ça commence
par un raid sanglant
qui tue un homme,
et cela finit
par l’amour
qui ressuscite
le meilleur
de nos forces !

Bon teatime, vous zot tou…

Grain de folie et foudre du ciel

« Si tu ne saisis pas
le petit grain de folie
chez quelqu’un,
tu ne peux pas l’aimer.
Si tu ne saisis pas
son point de démence,
tu passes à côté.
Le point de démence
de quelqu’un, c’est
la source de son charme »
(Gilles Deleuze, Abécédaire).

Et si plutôt que de regarder vers le ciel,
tu laissais le Ciel plonger à l’intérieur de toi,
à la découverte de ces joyeux joyaux
enfouis dans tes profondeurs ?

Bonne fête, Maman

Le livre des Proverbes (31,10-31) offre un poème en acrostiches (l’alphabet hébreu défile par la première lettre de chaque verset) :
10 Aleph — Une femme de valeur est une véritable trouvaille ! Sa valeur est plus grande que celle des perles.
11 Beth — Son mari peut lui faire confiance : il ne manquera pas de ressource.
12 Gimel — Elle fait son bonheur, et non pas sa ruine, tous les jours de sa vie.
13 Daleth — Elle sait choisir la laine et le lin, et ses mains travaillent volontiers.
14 Hé — Pareille aux navires marchands, elle est comme les navires marchands, faisant venir ses vivres de très loin.
15 Waw — Elle se lève avant le jour, prépare le repas de sa famille et distribue à ses servantes leur travail.
16 Zaïn — Après avoir bien réfléchi, elle achète un champ et plante une vigne grâce à l’argent qu’elle a gagné.
17 Heth — Elle rayonne de force et retrousse ses manches !
18 Teth — Elle s’assure de la bonne marche des affaires, sa lampe ne s’éteint pas de la nuit.
19 Yod — Ses mains s’activent à filer la laine, ses doigts à tisser des vêtements.
20 Kaph — Ses doigts s’ouvrent en faveur du pauvre, elle tend la main au malheureux.
21 Lamed — Elle ne craint pas la neige pour sa maisonnée, car tous les siens ont des vêtements doublés.
22 Mem — Elle s’est fait des couvertures, des vêtements de pourpre et de lin fin.
23 Noun — Aux portes de la ville, on reconnaît son mari siégeant parmi les anciens du pays.
24 Samek — Elle confectionne des vêtements et les vend, elle livre des ceintures au marchand qui passe.
25 Aïn — La force et la dignité sont sa parure, elle sourit en pensant à l’avenir.
26 Pé — Elle s’exprime avec sagesse, elle sait donner des conseils avec bonté.
27 Çadé — Attentive à la marche de sa maison, elle ne mange pas le pain de l’oisiveté.
28 Qoph — Ses enfants viennent la féliciter. Son mari chante ses louanges.
29 Resh — « Bien des femmes se montrent de valeur, disent-ils, mais toi, tu les surpasses toutes ! »
30 Shine — Le charme est trompeur, la beauté est passagère ; seule une femme qui reconnaît l’autorité du Seigneur est digne d’éloges.
31 Taw — Que l’on récompense son travail ! Que l’on chante ses mérites aux portes de la ville !

Illustration : Fleur-lise Palué @fabuleuses_au_foyer.

Ce poème a été lu à si bon escient à l’enterrement de ma chère marraine, Monique Jamar. Ses funérailles ont été de bout en bout des moments de grâce pour moi. J’ai eu comme des flashs d’être bercé par elle. Elle a si bien pris soin de moi, tout-petit, elle et son mari, et ses 5 enfants, tous plus grands que moi, à une période où Maman n’allait pas bien (revenant seule avc moi du Rwanda pour se faire soigner, elle m’a déposé chez eux plus d’1 semaine. Je ne marchais pas encore).

A la fin de la messe, le curé congolais (un de mes anciens étudiants) a lancé : avant que la famille ne rende hommage à Monique, y a-t-il quelqu’un qui souhaite s’exprimer ? J’ai senti que j’avais à dire merci et je me suis levé sans réfléchir, sans rien avoir préparé…

Et j’ai dit, entre les larmes, qq ch comme  :

Marraine, tu as été un des plus beaux cadeaux que j’ai reçu. J’étais tout petit et tu as pris soin de moi, en maman douce et délicate. À chacun de mes séjours dans la famille, où chacun.e m’a si bien accueilli, tu as été pour moi une maman qui m’a fait respirer des parfums de douceur que je n’avais jamais respirés ; tu m’as fait vivre des chants / champs d’amour que je n’avais jamais expérimentés. Dans ta manière de me bercer et de me chanter la vie, tu as été une maman si précieuse pour le tout-petit d’homme que j’étais. Tu m’as engendré à la vie, à la manière si simple et si sacrée de tes grâces. Merci, de toujours à toujours, ma reine.


Tous êtres en devenir…

« Ce vieux beau, ce parasite, ce geignard de Georges Girard rêvait d’être un héros de roman. Un Hercule Poirot. Un Sherlock Holmes. En plus jeune, bien sûr, plus attirant. Même un malfrat s’il le fallait. Mais alors un malfrat de classe. Un cambrioleur de génie. Un Arsène Lupin.

— Tu imagines, le titre en couverture : « Le Commissaire Georges mène l’enquête ! » Avoue que ça en jette ! Ça ne manque pas de panache !

Georges Girard prenait la pose devant la haute glace du salon en se caressant la barbiche avec des airs de fin limier… »
(Corinne Hoex, Nos princes charmants, roman-nouvelles paru en mai 2023, qui parle de « femmes pour qui il n’est plus l’heure de se laisser faire par nos princes charmants ordinaires, modèles courants de mufles, rouleurs de mécaniques, coqs de basse-cour et goujats patentés », « prince charmant oisif et désœuvré, s’épaississant d’année en année sous ses chemises cintrées (p. 7), poète dans l’âme, surtout quand l’inspirait une jolie femme (p. 12), coiffé d’un panama, vêtu d’un bermuda à rayures et paré d’un vaste polo voué à dissimuler ses rondeurs de sédentaire (p. 18), attablé à poil devant sa langouste au milieu de la chambre, panse débordante, virilité blottie sur le velours du fauteuil, crâne répercuté de dos, de profil, de trois-quarts par le jeu des miroirs (p. 25). Des Marilou, il en a dans toutes les villes où il voyage pour ses affaires, à Zurich, Düsseldorf, Bratislava, Oslo (p. 26), ses manies de vieux garçon (p. 62). Et, de plus, ils les appellent ma poule, poussin, choupinette, mon petit chat… » ).

« Il y a une partie
de chaque être vivant
qui tend à devenir :
le têtard en grenouille,
la chrysalide en papillon,
un être humain meurtri
en un être entier.
C’est cela la spiritualité »
(Ellen Bass).