S’épouser, le travail de toute une vie

Le 6 mai 1988, assis adossé au mur extérieur de la chapelle de l’abbaye de Chimay, j’ai entendu en moi, après des mois de prière intense : « Ne crains pas de prendre Christine pour épouse, elle va t’apprendre à aimer, vraiment et jusqu’au bout » et j’ai quitté le Séminaire qui me préparait à devenir prêtre. Douze jours plus tard, pour la première fois, de nos cœurs embrasés, nos lèvres se sont embrassées. Derrière nos corps enlacés, nos inconscients se sont électriquement choisis, avec la vocation de nous libérer de nos réflexes archaïques limitants, ceux que chacun.e a adopté, tout petit.e, pour être ajusté.e à l’amour imparfait de ses parents.

Pour cette mission de redevenir pleinement nous-même, Christine, je ne pouvais pas trouver meilleure partenaire et tu ne pouvais pas trouver meilleur partenaire. Ces vieilles casseroles enfilées à nos pattes, quel mémorable chemin déjà parcouru pour les lâcher… S’épouser, ce n’est pas moins qu’une longue nouvelle naissance, le travail de toute une vie… Vive l’amour !

Le couple, un chemin initiatique

Le couple, ça fait parfois très mal mais ce n’est pas du masochisme ; ça nous fait souffrir pour nous guérir de nos blessures d’enfance, pour nous libérer des programmes de survie qui s’y rattachent. La vie de couple est un chemin initiatique, un long chemin de délivrance progressive, qui nous met en route vers la plénitude de la complétude : il ne s’agit pas moins de retrouver notre intégrité, l’intégralité de notre Essence créée, de savourer à nouveau nos nombreuses ressources et divers possibles.

Toi, mon épouse (avec qui mon nez-pousse, de temps en temps = de décennie en décennie), tu as l’art d’aller appuyer précisément là où ça fait mal en moi. Mes parts à la perspective étriquée te le reprochent mais moi, qui vois au-delà de l’immédiat, je te remercie. À vrai dire, quand j’ai eu le coup de foudre, le 21 septembre 1987, tout mon être t’a embauchée inconsciemment pour cela : pour le meilleur et pour le pire, tu réveilles mes blessures, tant qu’elles ne sont pas encore pleinement guéries. Tu me ramènes en vérité à moi-même, à mes ombres et au chemin encore à faire, aux conversions encore à vivre. Avec une redoutable justesse, tu es le témoin authentique de ce qui n’est pas encore réglé dans ma vie. Et moi aussi, comme je suis doué pour aller appuyer pile poil là où ça réagit en toi, mon amoureuse, pour t’inviter à ne pas en rester là, dans cet état d’âme-moureuse/mourante. Mon caca, que j’essaie désespérément d’enfuir, tu le mets sous mon nez, jusqu’à ce que je le sente, puis jusqu’à ce que je le digère et l’évacue de ma vie. Ce que tu essaies désespérément de fuir, je te le mets sous les yeux et dans les oreilles, tant que tu fais la sourde et l’aveugle. Je t’aime, je m’aime même ; tu m’aimes, tu t’aimes-thème ! Nous nous souhaitons le meilleur jusque dans le pire : nous nous voulons pleinement vivants !

« Je suis hors de moi » : qui est le ‘je’ et qui est le ‘moi’ ?

« « Je suis hors de moi » : qui est le ‘je’ et qui est le ‘moi’ ?

« Je me sens partagé » : qui est le ‘je’ qui veut faire une chose, le ‘je’ qui veut en faire une autre ?

« Mon problème, c’est que je n’ai pas confiance en moi » : qui est le ‘je’ et qui est le ‘moi’ ?

Au lieu de laisser nos voix critiques nous harceler, le Système Familial Intérieur (Internal Family System) nous apprend à les accueillir d’un autre lieu et entendre ce dont elles prennent soin » (Nadine d’Ydewalle, qui a lancé l’IFS en Belgique, décembre 2010). Cf. https://ifs-association.com/.

C’est dans ma relation avec l’autre que j’existe

Dans la littérature romanesque, René Girard est frappé d’un point
commun : le héros est manipulé par le désir de l’autre, il est accroché par un désir qu’il a attrapé chez l’autre. Ce désir imité, il va l’appeler désir mimétique. « Le désir, c’est ce qui arrive à nos besoins quand ils sont imités. Donc, l’homme est un être qui a des désirs mais qui n’a pas de désir en propre comme il a des besoins. Il a des désirs parce qu’il vit en société. La relation à l’autre précède le ‘moi’. Ce n’est pas vous qui avez une relation avec quelqu’un d’autre, c’est dans la relation à l’autre que vous vous construisez vous-même » (Christine Orsini, dans le documentaire d’Yves Bernanos : René Girard. La vérité mimétique).

Pour le philosophe Charles Pépin, résolument sartrien sur ce point, le moi ne préexiste pas. C’est par nos contacts avec l’extérieur que nous existons à l’intérieur. Le moi en tant que noyau d’être ne lui parle pas, l’âme vue comme identité fixe et immuable ne veut rien dire, c’est une illusion selon lui.

Dans mes propres expériences, l’Autre, avec un grand A, me préexiste et est le lieu-Source de mon être. Il est bien là, au cœur de mon cœur, avant toute relation extérieure, avant toute démarche ex et ad / de et vers. C’est dans ma relation avec cet Autre que j’existe d’abord à l’intérieur. Et finalement, la magie de mon être advient jour après jour, dans cette étonnante alliance très inégale entre Lui et moi, au point que « Dieu réside en moi en tant que moi » (conclusion du film Mange, prie, aime, présentant la longue quête de l’héroïne, jouée par Julia Roberts).

Jeux / je, à suivre dans mes posts de demain après-demain (à demain, à deux mains puis à quatre mains…).

‘je’ & ‘tu’ s’engendrent mutuellement

« « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Deutéronome 6,6). Dans ce « comme toi-même », nous sommes à la recherche d’un droit à l’amour de nous-même ; c’est la première pulsion éthique. Je peux me percevoir moi-même comme une histoire de vie qui a de la valeur, qui mérite d’exister…

Le souci d’autrui, deuxième composante de l’exigence morale, est un point sans doute plus évident. Mais je ne peux vraiment le formuler que si j’ai droit au premier. Parce que, respecter autrui –  « traiter autrui comme une fin en soi, disait Kant, et non pas seulement comme un moyen » – c’est vouloir que ta liberté ait autant de place sous le soleil que la mienne. Je pense que toi aussi, comme moi, tu agis, tu penses, tu es capable d’initiative, de donner des raisons pour tes actes, de faire des projets à longue distance, de composer le récit de ta propre vie.

Par conséquent, le ‘je’ et le ‘tu’ s’engendrent mutuellement. Je ne pourrais pas tenir autrui pour une personne si je ne l’avais fait d’abord pour moi-même. L’estime de soi et le respect de l’autre se produisent réciproquement, et c’est là le premier socle de l’éthique » (Paul Ricoeur, L’éthique, la morale et la règle, dans Autres Temps, 1989, p. 54).

Larme, arc-en-ciel entre l’âme et le ciel

« La violence commence lorsque je choisis de ne pas remettre en question la pensée disant que j’ai raison de croire le jugement que je porte sur un être humain. La violence se poursuit lorsque je fais des choix, parle, pose des actions, à partir de ce jugement que j’ai validé.

La non-violence commence lorsque je choisis de traduire ce jugement pour découvrir quels besoins et aspirations ne sont pas nourris en moi lorsque je vois cette personne agir comme elle le fait : là, dans l’espace en amont des jugements, au-delà du conditionnement bien-mal, s’ouvre le champ de la rencontre possible, de cœur à cœur.

Se relier de cœur à cœur ne signifie pas être d’accord avec les actions de la personne en question, mais avoir conscience que, même si certaines de ses actions ne nourrissent pas mes besoins et aspirations profondes, le fait de me relier à lui au niveau de ce qui nous est commun – les besoins qui sous-tendent toutes nos actions – augmentera mes chances de trouver une façon d’être en relation qui soit en accord avec mon rêve de vivre dans un monde où les êtres humains vivent à cœur ouvert plutôt qu’à poings fermés…

Alors, amie, ami, si en ce jour tu t’apprêtes à valider le jugement que tu portes sur autrui, je t’invite à te demander dans quel monde tu souhaites vivre… » (Issâ Padovani).

Ne pas identifier la personne au mal qu’elle fait

Mon regard sur la phrase de Macron « Les non-vaccinés, j’ai très envie de les emm*rder » : quand quelqu’un fait quelque chose de mal à mes yeux, il est sage de distinguer soigneusement ce quelqu’un de ses actes, afin de réussir à montrer en quoi le comportement ne me semble pas ajusté, sans du tout m’attaquer à la personne. Le défi est de rester entièrement sur le plan des actes citoyens, qui sont à réguler par la loi et par un cadre de droit juste ; ce plan est à distinguer soigneusement du registre des personnes à respecter.

Viser la personne, c’est se tromper de cible ! Porter atteinte à son intégrité, c’est se tromper de combat et s’éloigner de la solution juste. Pour aller plus loin, lire l’intro de mon livre La méthode C-R-I-T-E-R-E pour mieux gérer nos conflits, disponible sur http://etiennechome.site/publications-de-fond/sociopolitique/.

Dans sa lutte pour l’indépendance de son pays colonisé par les Anglais, Gandhi disait : « J’aime les Anglais. Je souhaite pouvoir vivre avec eux mais je hais le système qu’ils ont institué dans notre pays et je veux le détruire. Je m’arrange pour traquer le mal où qu’il soit, sans jamais nuire à celui qui en est responsable. Notre non-coopération ne s’en prend ni aux Anglais ni à l’Occident mais au système que les Anglais nous ont imposé ».

La rencontre de l’autre me donne de me rencontrer

Charles Pépin, La rencontre. Une philosophie, Ed. Allary, 2021 :

« L’amour ne doit pas être cette maison dans laquelle nos différences disparaissent, mais bien plutôt ce temple où elles ont droit de cité, où elles sont honorées, explorées, aimées » (p. 41).

« Pour progresser, il faut rencontrer un autre que soi » (p. 57).

« Sans aller vers ce qui n’est pas soi, impossible de savoir qui on est. Sans rencontrer l’autre, impossible de se rencontrer » (p. 58).

Prison algorithmique

Dans Ceci tuera cela, Annie Le Brun tire la sonnette d’alarme : avec internet, le capital et la technologie ont fait une très puissante alliance, leur offrant une folle croissance exponentielle et réduisant tout ce qui circule à un objet de calculs algorithmiques. C’est ceux-ci qui décident de la plus ou moins bonne fortune des publications des uns et des autres, de la visibilité de chacun et donc de son succès public. Ils modèlent de plus en plus notre vie.

Persuadés d’être de plus en plus libres, nous sommes à vrai dire de plus en plus enfermés dans cette prison du virtuel. Les héros d’autrefois ont réussi à sortir du labyrinthe qui les retenait. À nous d’inventer l’anti-système qui débouche l’horizon et nous sorte de cette prison algorithmique…

Je nous souhaite un Avent curieux de cette Advenue non prévue d’une crèche, qui ouvre l’horizon par excellence,
qui fait qu’il y a un Avant 😉 et un Après J-C !