La loi du plus fort

D’où vient que, pour le même travail, fait avec la même compétence, un habitant du sud de la terre est rémunéré plusieurs centaines de fois moins qu’un habitant au nord ?

Des dominants : « — Le monde est ainsi fait, vous savez ? »

Des dominés : « — Vous avez fait ainsi le monde ! »

= c’est la même phrase, sinon l’ordre des mots

+ « s,est !? ».

Le sociologue français Pierre Bourdieu explique les rapports de domination structurale par le concept de « violence symbolique », entendu comme « tout pouvoir qui parvient à imposer des significations et à les imposer comme légitimes en dissimulant les rapports de force qui sont au fondement de sa force » (Esquisse d’une théorie de la pratique, Paris, Droz, 1972, p. 18). « La violence symbolique est cette coercition qui ne s’institue que par l’intermédiaire de l’adhésion que le dominé ne peut manquer d’accorder au dominant (donc à la domination) lorsqu’il ne dispose, pour le penser et pour se penser ou, mieux, pour penser sa relation avec lui, que d’instruments de connaissance qu’il a en commun avec lui et qui, n’étant que la forme incorporée de la structure de la relation de domination, font apparaître cette relation comme naturelle » (Médiations pascaliennes, Paris, Seuil, 1997, p. 204). Dans Manufacturing Consent (1988), le linguiste américain Noam Chomsky analyse la « fabrique du consentement » et le « lavage des cerveaux en liberté », véritable camisole de force idéologique invisible par laquelle la minorité puissante maintient sa domination. Le philosophe italien Roberto Mancini parle du « pouvoir systémique de la violence normalisée » (Le logiche del male. Teoria critica e rinascita della società, 2012). Cf. aussi la violence structurelle selon Johan Galtung et co ; plus de développements dans mon livre Le nouveau paradigme de non violence, p. 27, disponible sur http://etiennechome.site/publications-de-fond/sociopolitique/.

Sortir du dilemme entre Realpolitik amorale et idéalisme impuissant, par une négociation déterminée à renforcer un droit plus contraignant

Dans la lignée de Bush qui avait utilisé les arguments de légitime défense et de guerre préemptive pour justifier sa guerre contre l’Irak en 2003, Donald Trump a justifié son ordre de tuer, par drone armé, le général iranien Qassem Soleimani, en le qualifiant de « terroriste numéro un » dans le monde, et en l’accusant de préparer des attaques « imminentes » contre des diplomates et militaires américains.

Dans son récent rapport, Agnès Callamard, Rapporteur spécial des Nations-Unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, a conclu que Washington n’a pas démontré « une menace imminente mettant en danger la vie » et que « la manière d’agir des États-Unis était illégale », au regard de la Charte des Nations unies.

Dans sa démarche scientifique, qu’il a nommée « polémologie », Gaston Bouthoul parlait des « réprobations incantatoires » de la violence (colonne 4 du schéma ci-dessous) : un laisser-faire de la Communauté des Nations est complice de l’impunité actuelle des Puissances utilisant les drones pour éliminer leurs adversaires.

Il s’agit au contraire de se mobiliser collectivement (colonne 2) pour normer les règles du jeu (colonne 3) et ainsi réduire la zone de non-droit et l’arbitraire que s’arrogent les arrogants.

Cf. Chomé Étienne, Le nouveau paradigme de non-violence, p. 157 à 163. 

La fin est dans les moyens. Les moyens font la fin

La cohérence entre fin et moyen : ci-dessous un extrait de mon livre La non-violence évangélique et le défi de la sortie de la violence, p. 116-118, disponible en entier dans l’onglet Publications de fond >  Théologie. Voir aussi p. 249-250 + p. 328-329 + p. 335.

Tolstoï pensait la non-violence comme une fin en soi ; Gandhi, lui, en a fait un moyen d’action. Grâce à son intelligence politique, il a élaboré des stratégies sur lesquelles il entendait fonder l’efficacité de son action. Il n’empêche, sa non-violence ne se réduit pas à une technique d’action, elle a pour ressort moral le lien infrangibleentre la fin et les moyens employés. Voici un texte parmi les plus cités de ce juriste hindou : « Votre grande erreur est de croire qu’il n’y a aucun rapport entre la fin et les moyens. C’est comme si vous prétendiez que d’une mauvaise herbe, il peut sortir une rose. Les moyens sont comme la graine et les fins comme l’arbre. Le rapport est aussi inéluctable entre la fin et les moyens qu’entre l’arbre et la semence. On récolte exactement ce que l’on sème. La fin vaut ce que valent les moyens. À fins bonnes, moyens bons. Je n’admets pas les raccourcis de la violence pour parvenir au succès. L’expérience me prouve qu’un bien durable ne peut jamais venir du mensonge et de la violence[1]. » Le Siracide dans la Bible disait déjà cette vérité principielle : « Tel l’eunuque qui voudrait déflorer une jeune fille, tel celui qui prétend établir la justice par la violence » (Ecclés. 10,2). Mais la révolution de Gandhi est de prendre ce principe moral à la lettre, au cœur d’une action politique d’envergure. Ses campagnes étaient basées sur ce slogan : « Tels sont les moyens, telle est la fin » (« As the means, so the end[2] »).

Traditionnellement, les discernements moraux portaient sur la justesse de la fin. Gandhi déplace notre attention de la fin vers les moyens utilisés[3]. Dans les années 50, Simone Weil réfléchit au mécanisme par lequel la violence mise en œuvre pervertit la justesse de la cause. L’usage de moyens injustes finit par rendre la fin injuste. Une cause noble au départ est ainsi annulée par « un renversement du rapport entre le moyen et la fin[4] ». Dès lors, ce qui devient important, c’est d’« examiner avant tout n’importe quel fait humain en tenant compte bien moins des fins poursuivies que des conséquences nécessairement impliquées par le jeu même des moyens mis en usage[5] ». En 1966, dans un pamphlet qui s’en prend aux idées reçues de son temps, Jacques Ellul (1912-1994) écrit : « La vérité à laquelle il faut rigoureusement, durement se tenir c’est le contraire du lieu commun : les Moyens corrompent les Fins… Tout moyen aujourd’hui détruisant fût-ce un homme dans son corps ou dans son âme, et serait-ce pour libérer un million d’hommes, ne conduira jamais qu’à l’esclavage du million d’hommes pour qui l’on travaille. […] Les plus nobles fins assignées à la guerre sont pourries par la guerre. […] Le droit établi par la violence sera toujours l’injustice. Le Bien établi par la ruse ou la contrainte sera toujours le Mal. La Foi obtenue par le prosélytisme sera toujours l’hypocrisie. La Vérité répandue par la propagande sera pour toujours le Mensonge. La Société parfaite organisée dans le sang, même d’hommes coupables, sera pour toujours un bagne. Voilà ce qui est exact. Mais la médiocrité, la veulerie, la vanité, la satisfaction de soi sont si grandes chez l’homme qu’il préfère tous les mensonges à cette humble et quotidienne reconnaissance de l’importance du moyen d’aujourd’hui[6]. » Il consonne à Jean Goss (1912-1991), qui est tout aussi provocateur pour son époque : « Il est toujours dangereux, répond-il en 1969 dans un débat, d’insister sur les fins sans étudier sérieusement les moyens. Je crois que le diable est bien plus malin pour se cacher dans les fins que dans les moyens. Quand je lisais les discours d’Adolf Hitler, je n’y voyais pas facilement le diable. Mais quand je voyais les moyens employés par l’armée allemande je voyais le diable de mes propres yeux. Ce qui caractérise la morale chrétienne, c’est un lien extrêmement étroit entre le faire et l’être. C’est une des caractéristiques fondamentales de l’éthique chrétienne qu’on ne puisse dissocier le faire de l’être[7]. » S’opère ainsi un renversement de perspective. La doctrine traditionnelle s’intéresse aux exceptions de légitime violence, que l’on doit bien accepter dans ce monde corrompu par le péché : la fin juste justifie in fine les moyens violents. Au XXe siècle, apparaît une nouvelle problématique qui s’intéresse au mécanisme inverse, à la manière dont des moyens injustes rendent finalement la fin injuste. Dans leur lutte de libération du régime soviétique, les intellectuels dissidents ont tiré les leçons de la Révolution bolchevique de 1917 qui a échoué pas tant en raison de ses fins (donner le pouvoir au peuple) que de ses moyens violents. Voyant comment la violence révolutionnaire a engendré un totalitarisme, le Russe Andreï Sakharov, le Tchèque Václav Havel, le Polonais Adam Michnik influençant les leaders des peuples comme Lech Walesa, ont été guéris de l’illusion de croire que la violence peut construire une société juste et démocratique. Si la fin est de construire une démocratie, fondée sur les droits de l’homme, alors il faut employer d’autres moyens que la violence révolutionnaire[8]. Il ne suffit donc pas d’abord de renverser le pouvoir soviétique mais surtout de renforcer la société civile. La violence a été récusée comme erreur stratégique et comme contradiction fondamentale entre fin poursuivie et moyens employés pour l’atteindre. Václav Havel se dit d’une « profonde méfiance pour l’idée selon laquelle un avenir conquis par la force peut être réellement meilleur, c’est-à-dire qu’il ne porte pas fatalement les traces de la violence exercée pour sa conquête[9] ». Ainsi, la Révolution de velours à l’Est est parvenue à faire imploser les régimes communistes, en étant particulièrement attentive aux moyens, car ce sont eux qui permettent in fine de faire progresser l’objectif fondamental visé[10]. Sur le modèle de Mt 6,33[11], on pourrait dire : « Prenez soin des moyens et le reste vous sera donné par surcroît. »


[1] Gandhi, Hindswaraj or Indian Rule, Ahmedabad, Navajivan, 1938, p. 71, repris dans Tous les hommes sont frères, op. cit., p. 147.

[2] Young India, 17 juillet, 1924. Pour une étude approfondie sur cette question, cf. Terchek Ronald J., Gandhi: Nonviolence and violence, dans Journal of Power and Ethics, juillet 2001. Cf. aussi Prasad Ganesh, Importance of Non-Violence: according to Gandhi, dans IRJMSH (International Research Journal of Management Sociology & Humanities), vol. 5, 2014 ; en ligne : www.IRJMSH.com. Cf. aussi Muller Jean-Marie, Apprendre la langue de la non-violence, dans Diogène, n° 243-244, mars 2013, p. 17-18 (6-21).

[3] Voici ce qu’écrit le pacifiste Barthélémy de Light en 1935 : « Tout but suggère ses propres moyens. Celui qui néglige cette loi subit inévitablement la dictature des moyens. Car si certains moyens portent en eux une destination à contre-sens du but poursuivi, plus l’homme les emploie, plus il est amené à dévier de l’objet poursuivi, et plus il est fatalement déterminé par ces moyens dans son action… L’emploi des moyens de guerre moderne rend injuste la cause la plus juste, puisque ceux qui s’y laissent entrainer ne peuvent faire autrement que de descendre au même niveau de violence brutale que ceux qu’ils combattent » (De Ligt Barthélemy, Pour vaincre sans violence, Paris, G. Mignolet & Storz, 1935, p. 65 et 76, cité par le Jeune Jacques, Je ne tuerai pas…, op. cit., p. 231). Léon Trotski écrit en 1938 : « Le moyen ne peut être justifié que par la fin. Mais la fin a aussi besoin de justification. Du point de vue du marxisme, qui exprime les intérêts historiques du prolétariat, la fin est justifiée si elle mène à l’accroissement du pouvoir de l’homme sur la nature et à l’abolition du pouvoir de l’homme sur l’homme » (Trotski Léon, Leur morale et la nôtre, 1938 ; en ligne : http://classiques.uqac.ca/classiques/trotsky_leon/ leur_morale_et_

la_notre/leur_morale.html).

[4] Weil Simone, Écrits historiques, Paris, Gallimard, 1960, p. 59.

[5] Idem, p. 233. Cf. déjà en 1951 : Cahiers, Tome I, Paris, Plon, 1951, p. 46.

[6] Ellul Jacques, Exégèse des nouveaux lieux communs, Paris, La Table Ronde, coll. La petite vermillon, n° 38, p. 297-298.

[7] Goss-Mayr Jean & Hildegard, Une autre révolution, op. cit., p. 103.

[8] Ce principe au fondement du nouveau paradigme est devenu aujourd’hui évident à beaucoup. À titre d’exemple : « L’un des corollaires de l’unité entre théorie et pratique est qu’une société démocratique doit être conquise par une lutte démocratique » (Draperi Jean-François,  Rendre possible un autre monde, Paris, Presses de l’économie sociale, 2009).

[9] Havel Vaclav, Le pouvoir des sans-pouvoirs, Calmann-Lévy, Essais politiques, 1989, p. 127. « Justifier la violence pour reconquérir la liberté, c’est courir le risque de la justifier dans la future société, même une fois l’indépendance acquise. L’exemple de l’Algérie est à prendre en considération » (Temaru Oscar, leader indépendantiste de Polynésie, interviewé par  Non-violence Actualité, septembre 1993). Pour un examen de l’échec stratégique de la lutte armée palestinienne et les lourdes conséquences de l’option violente de l’OLP, cf. Ravenel Bernard, De la résistance armée à la résistance non-violente. Réflexions sur un itinéraire spécifique, Supplément aux Actes du colloque au Palais du Luxembourg, février 2011 ; en ligne : http://anarchismenonviolence2.org/spip.php?article119. C’est dès les années 50 et 60, que des options armées ont eu de lourdes conséquences, en desservant la cause palestinienne, dans ce rapport du faible au fort.

[10] Cf. Mellon Christian & Semelin Jacques, La non-violence, op. cit., p. 41-43.

[11] « Cherchez le Royaume de Dieu et sa justice, et le reste vous sera donné par surcroît. »

Trombinoscopes historiques de la non-violence

Des chercheurs de sens, des témoins engagés pour un monde plus juste et moins violent, en veux-tu ? En voilà sur le site https://www.irnc.org/ de l’Institut de recherche sur la Résolution Non-violente des Conflits (IRNC), mine débordante de trésors. 

Étienne Godinot (« God-dit-no » à la violence) a produit des « trombinoscopes historiques de la non-violence », présentant de nombreux acteurs engagés dans la société civile : https://www.irnc.org/IRNC/Diaporamas. L’image ci-dessous = comment j’y figure depuis 2015 (https://www.irnc.org/IRNC/Diaporamas/665).

Bonnes lectures d’été !

Si on peut apprendre à haïr, on peut aussi apprendre à aimer

Un jour de décembre
Au cœur des ténèbres
Je suis sorti des cendres
Sans savoir que j’étais nègre
En quelque sorte innocent
Les seins de ma mère, j’y tenais
Mais la vie m’a séparé d’elle
De mon jardin d’Eden
De ma famille d’ébène
De mes sœurs si belles
De mes frères de peine
Tout ça car papa
Ne voulait pas
Marcher aux pas
Alors, il est devenu la proie
Du roi Léopard
On a dû quitter la jungle
Et aller voir autre part
On a traversé la mer
Atterri dans la merde
OK pour dire vrai au début ça allait
La découverte fut chouette, mais l’addition fut salée
Bloquer ici j’ai vu mon père se laisser aller
Passer ses journées à ne faire que râler
Et ma seconde mère nettoyait les chiottes
Pour mon frère et moi, l’école fut le premier choc
Nos premiers profs avaient du mal à prononcer nos noms
Preuve qu’ils auraient du mal à nous trouver normaux
Blessés profondément dès leur premier mot
On a compris qu’on aurait du mal à pénétrer leur monde
Et à fréquenter leurs mômes

Dans tout ce bordel je cherche ma place
Je n’arrive pas à la trouver et ça me tracasse
Au bord de la crise de nerf
J’ai développé une crise de nègre
Quand j’en parle on me dit que j’exagère
Mais dans le fond ça me fait mal et il faut que je la gère
J’arrive pas à l’avaler donc il faut que je la gerbe
Ma crise de nègre

Le silence de nos parents est éloquent
Pour eux depuis longtemps
Le modèle était le Blanc
Donc, pour nous, suivre le modèle était le plan
Finalement on s’est retrouvé sur les mêmes bancs
Portant les mêmes vêtements
Se fréquentant plus souvent
Et pourtant toujours ce sentiment
D’être impotents
De croire que le reste nous trouve si peu important
D’où nous vient ce complexe
Quand on parle de nous tout devient complexe

Suite : aller sur https://www.youtube.com/watch?v=dKBAku_6jOU
Crise de nègre Pitcho,  le 03/01/2012

Injustices cachées sous le sol, violences institutionnelles, structurelles

Le reportage « Kongo, cœur noir, hommes blancs » commente les relations Noirs / Blancs avant l’Indépendance du 30 juin 1960 : « Les meilleurs des Noirs, aux yeux des Belges, sont ceux qui cherchent à leur ressembler. On les appelle les évolués. Les plus évolués des évolués peuvent même recevoir une carte d’immatriculation. Mais il leur faut, pour cela, faire patte blanche, montrer qu’ils mangent et boivent comme les Blancs, qu’ils vivent comme les Blancs, qu’ils pensent comme les Blancs. Apparemment, la preuve est difficile à fournir. À la veille de l’Indépendance, ils seront 217 immatriculés à y être parvenus. »

François Ryckmans, interviewé dans l’émission « La semaine du monde » sur la radio « La Première », ce 28 juin 2020, conclut ainsi : « Je suis frappé par la continuité des régimes. L’État colonial, basé sur l’exploitation, est d’une certaine manière un État-prédateur et cet État-prédateur a continué avec des présidents congolais… Les gens me partagent : « Les Belges sont partis et on a eu de nouveaux prédateurs, qui étaient des Congolais comme nous » » et évolués comme eux…

« Les violences dites « institutionnelles » ou « structurelles » tuent et asservissent avec beaucoup plus d’efficacité que les coups directement assenés. Quand un mari bat sa femme –affirme Johan Galtung–, c’est un cas clair de violence personnelle (directe). Quand un million de maris maintiennent un million de femmes dans l’ignorance, il y a violence structurelle, même si personne ne hurle de douleur. De même, dans une société où l’espérance de vie est deux fois plus élevée dans la classe supérieure que dans les couches inférieures, il y a violence, même s’il n’y a pas d’hommes concrets à qui l’on puisse reprocher d’attaquer directement les autres, comme quand un frère tue son frère. De même, si une personne meurt de tuberculose au XVIIIe siècle, on ne peut pas dire que violence lui est faite ; mais aujourd’hui il y a violence structurelle si les moyens actuellement possibles pour enrayer la tuberculose ne sont pas effectivement employés dans tel bidonville, dans tel pays sous-développé. […] La violence est incorporée (built into) dans la structure et se manifeste par des différences de pouvoirs et donc des différences de chances de vie. […] Il y a violence dès que des êtres humains sont influencés de manière telle que leur accomplissement somatique ou mental est inférieur à leur accomplissement potentiel. » Galtung définit donc la violence structurelle comme « quelque chose d’évitable qui fait obstacle à l’épanouissement de l’être humain », « la cause de la différence entre ce qui pourrait être et ce qui est ». « Est violence tout ce qui accroît la distance entre l’actuellement possible et l’actuellement réalisé (ou qui empêche la distance de diminuer) » (Chomé Étienne, Le nouveau paradigme de non-violence, 2017, p. 25, reprenant Galtung Johan, Violence, peace and peace research, dans Journal of Peace Research, n° 3, Oslo, 1969, p. 167 & 171).

Les forces jugulant la violence sont d’une autre nature que celle-ci

Ma thèse de doctorat s’intéressa à l’émergence d’un nouveau paradigme : les forces efficientes à même de juguler durablement la violence destructrice sont d’une autre nature, d’un autre ordre que celle-ci. Ces forces non-violentes méritent, à ce titre, d’être qualifiées autrement que par la formule « violence légitime ». L’enjeu est bien plus profond que la terminologie. Il s’agit de connaître la nature de ces forces dites non-violentes et reconnaître leurs qualités, leurs caractéristiques, distinctes de la violence.

Parmi celles-ci, 1) les forces du droit, à même de mettre hors-la-loi les violences ; 2) les forces sociopolitiques, à même de gérer le conflit sans qu’il ne dérape en violence ; 3) les forces psychologiques et spirituelles, à même de créer une bonne relation entre les uns et les autres, par le respect de chacun.e dans sa dignité et dans sa vérité profonde.  

« Il faut s’arrêter, nous dit le général Jean-René Bachelet, à l’expression de « violence légitime« , introduite en son temps par Max Weber pour exprimer certaines capacités du pouvoir de l’État, dont les capacités militaires. Car j’ai l’outrecuidance de penser que l’expression, aujourd’hui curieusement admise sans discussion comme un lieu commun, doit être récusée, sauf à nous engager dans une impasse. En effet, la violence étant le plus communément définie comme « abus de la force », qui ne voit que l’idée de légitimité d’un abus comme prérogative d’État, outre qu’elle s’accommode mal du principe démocratique, porte en germe les déviances les plus funestes, au rang desquelles les « comportements barbares » que nous voulons précisément éradiquer ? De fait, la force que nous allons opposer à la violence, une force nécessaire dès lors qu’ont été épuisées toutes autres solutions face à l’inacceptable, ne saurait être elle-même violence, sauf à trahir les valeurs au nom desquelles son emploi est jugé nécessaire. Face à la violence déchaînée, la force est d’une nature différente » (Bachelet Jean-René, La formation des militaires à l’éthique dans le métier des armes, dans International Review of the Red Cross, n° 870, 2008, reprenant l’adresse qu’il prononça à l’ouverture de la Rencontre internationale sur le rôle des sanctions dans le renforcement du respect du droit international humanitaire, tenue à Genève, du 15 au 17 novembre 2007. Il a été général d’Armée ER et Inspecteur général des Forces Armées de la France.

ET autorité ferme ET compréhension empathique . . . NI autoritarisme NI laisser faire

Donald Trump menace d’envoyer l’armée pour « dominer les rues ».

Réaction de manifestants : « Il veut nous dominer mais il ne pourra jamais nous dominer. »

Le projet de dominer quelqu’un (exercer un pouvoir sur une personne) entraîne des coûts, tombe dans des pièges, mène à des impasses. La méthode C-R-I-T-E-R-E apprend l’attitude juste qui articule les projets de 1) comprendre en profondeur les personnes dans la rue (pouvoir d’être avec elles) ET 2) garantir la justice (pouvoir pour le respect du bien commun).

Quitter le faux dilemme entre faucons et colombes. Éliminer tout geste, toute parole de type « pouvoir sur/sous l’autre » et déployer les pouvoirs « pour » et « avec »…

La méthode C-R-I-T-E-R-E, deuxième étape ; outil : ET autorité ferme sur le respect des règles ET compréhension empathique quant au respect des personnes NI autoritarisme NI laisser faire.

Cf. CHOMÉ Étienne, Le nouveau paradigme de non-violence, p. 149 sq. & La méthode C-R-I-T-E-R-E pour mieux gérer nos conflits, Presses Universitaires de Louvain PUL, p. 50 sq.

Trouver l’initiative gorgée de vie plutôt qu’alimenter le jeu de pouvoir par une contre-violence

Hommage à cet arbre résilient :

Danser avec ma progéniture,
en paix avec mon voisin
alors même qu’il me triture,
et me taille au gré de ses besoins.

La sagesse 1) de ne pas contrer ton pouvoir dans le même registre (ce que tu exploiteras en justifiant ton pouvoir dans un soi-disant droit de légitime violence), mais plutôt 2) de déployer des initiatives gorgées de vie, dans un tout autre registre que le jeu de pouvoir et la contre-violence…

Exemples :

Mon âme qui cohabite en moi avec ma part contrôle, qui agit parfois en tyran et qui est alors convaincue d’agir pour le bien des autres membres de ma famille intérieure

La vie qui rebondit partout dans la nature, malgré les obstacles sur le chemin, et qui trouve de nouveaux chemins de vie, montrant qu’elle est plus originelle que la mort

À l’échelle collective : le Tibet, voisin de la grande Chine…

Cf. pour approfondir la méthode D-I-A-P-O-S, qui est la suite sociopolitique de la méthode C-R-I-T-E-R-E. Après avoir appris à gérer mes conflits intérieurs et mes conflits interpersonnels, comment je peux contribuer efficacement à faire tomber les injustices sociétales ? Voir Publications de fond > Sociopolitique > Article « Réussir une mobilisation collective ».

Non au monopole de la violence légitime

Voici un schéma traditionnel que le nouveau paradigme de non-violence met en cause : « La violence, c’est le rôle de la police, par définition. Pour protéger la paix, il faut le monopole de la violence légitime. Le débat porte sur la proportionnalité  » (Pierre-Henri Tavoillot, auteur de « Traité nouveau d’art politique, Comment gouverner un peuple roi? », parlant des violences policières sur le plateau de Yann Barthes, émission « Quotidien » du 4 juin 2020).

Voici comment Jean-René Bachelet, le général d’armée, s’y prend pour dépasser ce schéma du passé : « Il faut s’arrêter à l’expression de « violence légitime », introduite en son temps par Max Weber pour exprimer certaines capacités du pouvoir de l’État, dont les capacités militaires. Car j’ai l’outrecuidance de penser que l’expression, aujourd’hui curieusement admise sans discussion comme un lieu commun, doit être récusée, sauf à nous engager dans une impasse. En effet, la violence étant le plus communément définie comme « abus de la force », qui ne voit que l’idée de légitimité d’un abus comme prérogative d’État, outre qu’elle s’accommode mal du principe démocratique, porte en germe les déviances les plus funestes, au rang desquelles les « comportements barbares » que nous voulons précisément éradiquer ? De fait, la force que nous allons opposer à la violence, une force nécessaire dès lors qu’ont été épuisées toutes autres solutions face à l’inacceptable, ne saurait être elle-même violence, sauf à trahir les valeurs au nom desquelles son emploi est jugé nécessaire. Face à la violence déchaînée, la force est d’une nature différente » (Bachelet Jean-René, La formation des militaires à l’éthique dans le métier des armes, dans International Review of the Red Cross, n° 870, 2008, reprenant l’adresse qu’il prononça à l’ouverture de la Rencontre internationale sur le rôle des sanctions dans le renforcement du respect du droit international humanitaire, tenue à Genève, du 15 au 17 novembre 2007). Il a été général d’Armée ER et Inspecteur général des Forces Armées de la France.