Jean-Marie Muller, penseur de la non-violence

Jean-Marie Muller est décédé il y a un mois, 7 jours avant Noël. Il nous a offert des centaines d’articles + 36 livres prophétiques sur l’action non-violente, la non-violence engagée dans la Cité, dont voici un florilège. En 1967, il renvoyait son livret militaire et militait pour le droit à l’objection de conscience. En 1973, il s’engageait dans le « Bataillon de la paix », avec le Général Jacques de Bollardière. Avec tant d’autres, ils se sont investis dans une défense civile non-violente réaliste, ils ont créé le MAN (https://nonviolence.fr/), dès 1974, autour du ‘Manifeste pour une Alternative non-violente’, témoignant d’une attitude responsable face à la violence, sans rien céder à son apparente fatalité, en vue de « rendre crédible l’hypothèse de la non-violence », jusqu’à l’échelle des nations et de rendre nues « l’idéologie de la violence nécessaire, légitime et honorable », « toutes les contradictions et toutes les inefficacités de la violence ». « Cultiver la violence, c’est en faire une fatalité, mais c’est une fatalité tout entière faite de main d’hommes. Nous sommes mis au défi de cultiver la non-violence. »

« Le génie de Gandhi est d’avoir réconcilié la morale de conviction et la morale de responsabilité, d’avoir réconcilié les exigences de la vie spirituelle et les contraintes de l’action politique. Il faut corriger ce que Gandhi a pu dire par ce qu’il a fait, et se méfier du gandhiraton. Ce qui menace la paix, ce ne sont pas les conflits mais l’idéologie qui fait croire aux hommes que la violence est le seul moyen de résoudre les conflits. La violence n’est jamais la solution, elle est le problème. La violence ne peut que construire des murs et détruire des ponts. La non-violence nous invite à déconstruire les murs et à construire des ponts. »

C’est parce que les forces déployées par la non-violence sont d’un autre ordre que la violence, qu’elles échappent aux pièges de la guerre baptisée juste (violence agie sur) comme du pacifisme (violence subie sous) : « Le pacifisme est un vœu pieux. Certes, il vaut mieux formuler des vœux pieux que des vœux impies, mais cela ne change rien à la réalité ! » « La non-violence réconcilie la lutte et l’amour. Elle est le chaînon manquant entre la violence et l’amour. » « Il s’agit de conjuguer l’exigence morale qui consiste à délégitimer la violence avec l’attitude responsable qui vise à agir efficacement contre les systèmes de domination et d’oppression qui asservissent l’homme. Parce que la violence finit toujours par trahir et pervertir la fin qu’elle prétend servir, il est essentiel de rechercher des « équivalents fonctionnels » à la violence qui soient en cohérence avec la fin poursuivie. La non-violence offre cette cohérence tout en visant à l’efficacité » (cf. https://www.irnc.org/IRNC/Textes/226).

Plus d’infos : https://www.irnc.org/IRNC/Actualites/Monde/2809

Nous déclarer la paix

« De la Vie éternelle, je ne sais pas grand-chose, sinon que plus jamais l’homme ne sera loup pour l’homme. L’homme plus jamais n’accablera, ne jugera, n’humiliera son frère ; l’Absolu rassasiant notre cœur, nous verrons partout ses reflets. De la Vie à venir, je ne sais pas grand-chose, sinon que notre corps ne saura plus gémir. Plus jamais cette angoisse qui nous étreint à la gorge. Les longues nuits avec ces cruels souvenirs de trop de grands bonheurs perdus, les nuits qui n’en finissent pas… « Dieu essuiera toute larme de leurs yeux… », « De mort, il n’y en aura plus… », « Car l’ancien monde s’en est allé ». De la Vie qui viendra, je ne sais pas grand-chose, sinon que la douceur aura gagné sur la violence. Le fort n’écrasera plus le faible… Il n’y aura plus de faibles ! Les hommes se déclareront la Paix. « L’enfant jouera sur le trou du cobra ». Chacun s’enchantera de la différence de l’autre, les parcelles de vérité, comme un puzzle achevé, seront réconciliées. « Les grandes eaux ne pourront éteindre l’Amour, ni les fleuves le submerger ». De la Vie qui t’attend, je ne sais qu’une chose… Dieu sera tout, en tous ; l’Amour sera tout pour chacun. L’homme aura retrouvé la passerelle qui mène au cœur de son frère et qui a nom Esprit Saint. « Et cette joie, nul, jamais ne pourra la ravir ». Amen »
(Stan Rougier, De la Vie éternelle, je ne sais pas grand-chose).

Ne pas identifier la personne au mal qu’elle fait

Mon regard sur la phrase de Macron « Les non-vaccinés, j’ai très envie de les emm*rder » : quand quelqu’un fait quelque chose de mal à mes yeux, il est sage de distinguer soigneusement ce quelqu’un de ses actes, afin de réussir à montrer en quoi le comportement ne me semble pas ajusté, sans du tout m’attaquer à la personne. Le défi est de rester entièrement sur le plan des actes citoyens, qui sont à réguler par la loi et par un cadre de droit juste ; ce plan est à distinguer soigneusement du registre des personnes à respecter.

Viser la personne, c’est se tromper de cible ! Porter atteinte à son intégrité, c’est se tromper de combat et s’éloigner de la solution juste. Pour aller plus loin, lire l’intro de mon livre La méthode C-R-I-T-E-R-E pour mieux gérer nos conflits, disponible sur http://etiennechome.site/publications-de-fond/sociopolitique/.

Dans sa lutte pour l’indépendance de son pays colonisé par les Anglais, Gandhi disait : « J’aime les Anglais. Je souhaite pouvoir vivre avec eux mais je hais le système qu’ils ont institué dans notre pays et je veux le détruire. Je m’arrange pour traquer le mal où qu’il soit, sans jamais nuire à celui qui en est responsable. Notre non-coopération ne s’en prend ni aux Anglais ni à l’Occident mais au système que les Anglais nous ont imposé ».

Conditions d’une campagne de désobéissance civile

Selon Hugo Bedau, pour qu’une campagne d’actions non-violente soit reconnue comme désobéissance civile dans un État de droit , elle doit réunir les conditions suivantes : être exprimée publiquement, en nom propre, de façon collective, en spécifiant en quoi l’obligation légale bafoue un droit fondamental et en fondant cette revendication sur l’invocation d’un principe supérieur à la simple légalité (égalité, justice, solidarité ou dignité). Cf. Hugo Bedau, On Civil Disobedience, dans Journal of Philosophy, n° 58, 1961, p. 653-665. 

Albert Ogien y ajoute que « ce refus doit faire l’objet d’une action en justice (civile ou administrative), car le procès est considéré comme la tribune du haut de laquelle la question du caractère néfaste ou scélérat d’un texte réglementaire peut être rouverte dans le débat public » (Albert Ogien, La désobéissance civile peut-elle être un droit ? dans Droit et société, n° 91, 2015/3, p. 579 à 592).

« Il existe une différence essentielle entre le criminel qui prend soin de dissimuler à tous les regards ses actes répréhensibles et celui qui fait acte de désobéissance civile en défiant les autorités et s’institue lui-même porteur d’un autre droit. Cette distinction est naturellement invoquée comme un argument primordial par tous ceux qui s’efforcent de faire reconnaître que la désobéissance civile n’est pas incompatible avec les lois et les institutions publiques […]. Le délinquant de droit commun, par contre, même s’il appartient à une organisation criminelle, agit uniquement dans son propre intérêt ; il refuse de s’incliner devant la volonté du groupe et ne cédera qu’à la violence des services chargés d’imposer le respect de la loi. Celui qui fait acte de désobéissance civile, tout en étant généralement en désaccord avec une majorité, agit au nom et en faveur d’un groupe particulier. Il lance un défi aux lois et à l’autorité établie à partir d’un désaccord fondamental, et non parce qu’il entend personnellement bénéficier d’un passe-droit » (Hannah ARENDT, Du mensonge à la violence, 1972, p. 76-77 dans la traduction française).

L’architecture de la paix et l’artisanat de la paix

Début du message du Pape François, en cette Journée mondiale de la paix,
1er janvier 2022 :

Le dialogue entre générations, éducation et travail :
des outils pour construire une paix durable.

« Comme ils sont beaux, sur les montagnes, les pas du messager qui annonce la paix » (Is 52, 7). « Pourquoi donc, Israël, pourquoi es-tu exilé chez tes ennemis, vieillissant sur une terre étrangère, souillé par le contact des cadavres, inscrit parmi les habitants du séjour des morts ? »  (Baruch 3, 10-11). Pour ces gens, l’avènement du messager de paix signifiait l’espérance d’une renaissance sur les décombres de l’histoire. Aujourd’hui encore, la clameur des pauvres et de la terre ne cesse de s’élever pour implorer justice et paix. À chaque époque, la paix est à la fois un don du ciel et le fruit d’un engagement commun. Il y a, en effet, une “architecture” de la paix, dans laquelle interviennent les différentes institutions de la société, et il y a un “artisanat” de la paix qui implique chacun de nous personnellement. Chacun peut collaborer à la construction d’un monde plus pacifique : à partir de son propre cœur et des relations au sein de la famille, dans la société et avec l’environnement, jusqu’aux relations entre les peuples et entre les États. Je voudrais proposer trois voies pour construire une paix durable. Tout d’abord, le dialogue entre les générations comme base pour la réalisation de projets communs. Deuxièmement, l’éducation en tant que facteur de liberté, de responsabilité et de développement. Enfin, le travail pour une pleine réalisation de la dignité humaine. Ces trois éléments sont essentiels pour “l’élaboration d’un pacte social”, sans lequel tout projet de paix est inconsistant.

Suite : https://press.vatican.va/content/salastampa/it/bollettino/pubblico/2021/12/21/0867/01823.html#fra

Le monde de la culture belge en désobéissance civile

Voici un extrait de mon article
L’objection de conscience rime-t-elle avec la désobéissance civile ? :

La « désobéissance civile » est une traduction phonétique de l’anglais « Civil disobedience », formule sortie de la plume de Henri David Thoreau, au milieu du 19ème siècle, aux États-Unis. À partir de 1840, Thoreau refuse de s’acquitter de l’impôt, ne voulant pas contribuer à la guerre impérialiste de son pays contre le Mexique et protestant contre le maintien du système esclavagiste des États du Sud. En juillet 1846, il est incarcéré mais libéré dès le lendemain : à son grand dam, sa tante avait payé l’impôt à sa place ! Un an et demi plus tard, le 26 janvier 1848, il donne une conférence « Resistance to Civil Government », reprise par l’éditeur après sa mort sous le titre « On the duty of civil disobedience » : « Si, de par sa nature, la machine gouvernementale veut faire de nous l’instrument de l’injustice envers notre prochain, alors je vous le dis, enfreignez la loi. Que votre vie soit un contre-frottement pour stopper la machine. Il faut que je veille, en tout cas, à ne pas me prêter au mal que je condamne ».

Thoreau est repris et relayé par l’écrivain russe Léon Tolstoï, à la fin du 19ème siècle. Il est aussi lu par le jeune Gandhi aux études en Angleterre. C’est sa lutte en Afrique du Sud qui donne à la désobéissance civile sa première expression historique collective, en 1906. Gandhi écrit : « Lorsqu’un gouvernement commet une grave injustice, celui qui en est le sujet doit lui retirer sa coopération entière ou partielle jusqu’à ce qu’il l’ait amené à renoncer à son injustice. »

Cinquante ans plus tard, Martin Luther King déclare dans son combat contre la ségrégation raciale : « Il y a deux sortes de lois : les lois justes et les lois injustes ; je suis le premier à préconiser l’obéissance aux lois justes ; c’est une responsabilité morale aussi bien que légale, or cette même responsabilité morale nous commande inversement de désobéir aux lois injustes. » Il provoque aux Etats-Unis un débat public sur ce devoir de « désobéissance civile ». La loi a pour fonction de garantir la justice, de défendre les plus faibles contre les puissants. Autrement dit, c’est la justice qui doit fonder la loi, et non la loi qui doit fonder la justice. Il ne suffit pas à une loi d’être légale pour être légitime : « oserons-nous dire que ces lois sont injustes, ou plutôt qu’elles ne sont pas des lois ? Car à mon avis, une loi injuste n’est pas une loi » (Saint Augustin).

Mon article L’objection de conscience rime-t-elle avec la désobéissance civile ?  =
12 pages soulignant l’importance d’incarner son objection de conscience dans un programme d’actions discernées, au risque de ne pas garder les mains pures

Voir aussi Chomé Étienne, Le nouveau paradigme de non-violence, p. 108s.

La paix véritable se gagne dans les conflits osés et gérés en amont de la violence

« La paix est un combat courageux à mener avant que n’éclate la violence. Chaque société a intérêt à entrer en conflit pour faire tomber les injustices dont elle souffre. Pour dire adieu à la guerre, il ne suffit pas de dire bonjour à la paix, il s’agit de mener un combat contre les injustices, grâce à une mobilisation générale des moyens et des personnes. La paix véritable se gagne dans les conflits osés et gérés en amont de la violence »
(Étienne Chomé, La méthode D-I-A-P-O-S pour faire tomber une injustice, parcours de formation en ce moment donné à Namur, à l’Institut International Lumen Vitae : cf. mon article Réussir une mobilisation collective est un art qui s’apprend, téléchargeable sur http://etiennechome.site/publications-de-fond/sociopolitique/).

Du pain et des jeux : « tittytainment »

« Ces Romains si jaloux, si fiers qui jadis commandaient aux rois et aux nations et régnaient du Capitole aux deux bouts de la terre, esclaves maintenant de plaisirs corrupteurs, que leur faut-il ? Panem et circenses : du pain et les jeux du cirque » (Juvénal, Satire X). 19 siècles plus tard, en 1995, Zbigniew Brzezinski a parlé de la stratégie du « tittytainment », faisant un jeu de mots avec « tit » (sein), « titillate » (titiller) et « entertainment » (divertissement) : endormir le peuple par des divertissements abrutissants, dans le but de paralyser le sens critique et l’opposition politique. Voir Hans Peter Martin et Harald Schumann, Le Piège de la mondialisation. L’agression contre la démocratie et la prospérité.

Ni faucon, ni colombe, en osant le conflit qui permet d’échapper à la violence

« La non-violence est un mode de vie respectueux de l’homme, de l’environnement et un mode d’action politique respectueux de l’adversaire qui n’exclut ni la contrainte ni l’illégalité. Distinguer la force et la violence : la force qui oblige l’adversaire à céder n’est pas la violence qui le détruit ou le meurtrit. La non-violence est un rapport de force qui oblige l’adversaire à négocier et à trouver une solution au conflit. Pour déraciner la violence, il faut réhabiliter le conflit » (Étienne Godinot, La Force de la non-violence ; podcast sur https://www.youtube.com/watch?v=L8CXDr1p-D8).

« Les humains sont appelés à apprivoiser leur agressivité et non à la refouler, à la canaliser et non à la contrecarrer, comme on transforme une chute d’eau potentiellement dévastatrice en une source de houille blanche dont on tire l’électricité » (Chomé Étienne, Le nouveau paradigme de non-violence, p. 76).

Pour bien comprendre le schéma ci-dessous, voyez

Violence institutionnelle, structurelle

L’évêque brésilien, Dom Helder Camara, avança le concept de « violence institutionnelle » pour comprendre les racines de l’injustice ‘sociétale’ qui se cachent derrière les inégalités ‘naturelles’. Il nous invite à discerner les trois niveaux de violences.

La première, mère de toutes les autres, est la violence institutionnelle, celle qui légalise et perpétue les dominations, les oppressions et les exploitations, celle qui écrase et qui lamine des millions d’hommes dans les rouages silencieux et bien huilés d’un ordre établi injuste.

La deuxième est la violence contestatrice du désordre établi,  dans son errance de vouloir abolir la première par des moyens violents qui, finalement, renforcent la violence.

La troisième est la violence répressive, qui a pour objet d’étouffer la deuxième ; c’est l’auxiliaire et la complice de la première violence, celle qui engendre toutes les autres.

Certains ont intérêt à pointer du doigt la deuxième violence, en masquant la première qui la fait naître et en justifiant la troisième qui la tue…

Johan Galtung développa, à partir de là le concept de « violence structurelle », l’art d’institutionnaliser des inégalités. Cf. https://www.irenees.net/bdf_fiche-analyse-1139_fr.html