Être bien conscient des fleurs du mal esclavagiste

Parmi les fleurs du mal esclavagiste, il y a notre impossibilité de retracer l’origine et le nom de Jeanne dite Duval, cette Créole des îles qui fut le grand amour de Baudelaire. Le racisme est tel que toute leur correspondance est détruite, tandis qu’on met en lumière ses billets avec Mme Sabatier, une femme comme il lui faut, selon les critères de son entourage. La mère du poète et toute la famille refusant le couple interracial, lui rend la vie impossible, notamment en lui coupant les vivres.

Pourtant, malgré tout, c’est Jeanne qui illumine le cœur de Baudelaire. C’est pour elle qu’il écrit cette chanson d’après-midi :

Quoique tes sourcils méchants
Te donnent un air étrange
Qui n’est pas celui d’un ange,
Sorcière aux yeux alléchants,

Je t’adore, ô ma frivole,
Ma terrible passion !
Avec la dévotion
Du prêtre pour son idole.

Le désert et la forêt
Embaument tes tresses rudes,
Ta tête a les attitudes
De l’énigme et du secret.

Sur ta chair le parfum rôde
Comme autour d’un encensoir ;
Tu charmes comme le soir,
Nymphe ténébreuse et chaude.

Ah ! les philtres les plus forts
Ne valent pas ta paresse,
Et tu connais la caresse
Qui fait revivre les morts !

Tes hanches sont amoureuses
De ton dos et de tes seins,
Et tu ravis les coussins
Par tes poses langoureuses.

Quelquefois, pour apaiser
Ta rage mystérieuse,
Tu prodigues, sérieuse,
La morsure et le baiser ;

Tu me déchires, ma brune,
Avec un rire moqueur,
Et puis tu mets sur mon cœur
Ton œil doux comme la lune.

Sous tes souliers de satin,
Sous tes charmants pieds de soie,
Moi, je mets ma grande joie,
Mon génie et mon destin,

Mon âme par toi guérie,
Par toi, lumière et couleur !
Explosion de chaleur
Dans ma noire Sibérie !