Subjonc’Tiff

Voici un poème qui use et abuse
de l’imparfait du subjonctif :

« Oui, dès l’instant que je vous vis,
Beauté féroce, vous me plûtes ;
De l’amour qu’en vos yeux je pris,
Sur-le-champ vous vous aperçûtes ;
Mais de quel air froid vous reçûtes
Tous les soins que pour vous je pris !
Combien de soupirs je rendis !
De quelle cruauté vous fûtes !
Et quel profond dédain vous eûtes
Pour les vœux que je vous offris !
En vain je priai, je gémis :
Dans votre dureté vous sûtes
Mépriser tout ce que je fis.
Même un jour je vous écrivis
Un billet tendre que vous lûtes,
Et je ne sais comment vous pûtes
De sang-froid voir ce que j’y mis.
Ah ! fallait-il que je vous visse,
Fallait-il que vous me plussiez,
Qu’ingénument je vous le disse,
Qu’avec orgueil vous vous tussiez !
Fallait-il que je vous aimasse,
Que vous me désespérassiez,
Et qu’en vain je m’opiniâtrasse,
Et que je vous idolâtrasse
Pour que vous m’assassinassiez ! »
(Alphonse Allais, Complainte amoureuse).

NB : Alphonse Allais est l’expert des vers holorimes :

https://etiennechome.site/alphonse-allais-et-ses-vers-holorimes/ et

Couple fusionnel

Un couple en bonne santé est semblable à une paire d’ailes qui s’envolent ou à une paire de mains qui applaudissent : les ailes & mains ont de l’espace pour alterner les moments tout contre et les moments tout seules.

Un couple fusionnel, c’est comme deux mains tout le temps collées qui ne peuvent applaudir et donc difficilement célébrer ensemble.

Au sein d’un couple, 1 + 1 = 1 ?
Tout partager, jusqu’à ne faire plus qu’un ?
Amour fusionnel = dépendance affective toxique ?
Certains aiment s’emmêler les pinceaux !

Image jointe de Flamands qui osent
s’emmêler leurs pinces roses !

Le véritable amour ne possède pas, il se donne

« Une personne amoureuse devient généreuse, aime faire des cadeaux, écrit des lettres et des poèmes. Elle cesse de ne penser qu’à elle-même pour se projeter entièrement vers l’autre, que c’est beau ! Et si vous demandez à une personne amoureuse : « pour quel motif tu aimes ? », elle ne trouvera pas de réponse : à bien des égards, son amour est inconditionnel, sans aucune raison. Patience si cet amour si puissant, est aussi un peu « naïf » : l’amoureux ne connaît pas « vraiment » le visage de l’autre, il a tendance à l’idéaliser, il est prêt à faire des promesses dont il ne saisit pas immédiatement le poids… Ce « jardin » où se multiplient ces merveilles n’est pourtant pas à l’abri du Mal : il est souillé par le démon de la luxure, et ce vice est particulièrement odieux, pour au moins deux raisons. 1) Il dévaste les relations entre les personnes. Combien de relations qui avaient commencé dans les meilleures conditions se sont transformées en relations toxiques, de possession de l’autre, de manque de respect et du sens de limite ? Ce sont des amours où ‘la chasteté’ a fait défaut : une vertu qu’il ne faut pas confondre avec ‘l’abstinence sexuelle’ – la chasteté est « plus » que l’abstinence sexuelle –, elle doit plutôt être reliée avec la volonté de ne jamais « posséder » l’autre. Aimer, c’est respecter l’autre, rechercher son bonheur, cultiver l’empathie pour ses sentiments, se disposer à la connaissance d’un corps, d’une psychologie et d’une âme qui ne sont pas les nôtres et qui doivent être contemplés pour la beauté qu’ils portent. Aimer c’est cela, et c’est beau l’amour. 2) De tous les plaisirs humains, la sexualité a une voix puissante. Elle met en jeu tous les sens, elle habite à la fois le corps et la psyché, et c’est très beau, mais si elle n’est pas disciplinée avec patience, si elle n’est pas inscrite dans une relation et dans une histoire où deux individus la transforment en danse amoureuse, elle se transforme en une chaîne qui prive l’homme de sa liberté. Nous devons défendre l’amour, l’amour du cœur, de l’esprit, du corps, l’amour pur dans le don de soi, l’un à l’autre. Et c’est cela la beauté de la relation sexuelle. Gagner la bataille contre la luxure, contre la « chosification » de l’autre, peut être l’affaire de toute une vie. Mais le prix de cette bataille est absolument le plus important de tous, car il s’agit de préserver cette beauté que Dieu a inscrite dans sa création lorsqu’il a imaginé l’amour entre l’homme et la femme, qui n’est pas pour s’utiliser l’un, l’autre, mais pour s’aimer. Cette beauté qui nous fait croire que construire une histoire ensemble vaut mieux que partir à l’aventure – il y a tant de Don Juan ! –, cultiver la tendresse vaut mieux que céder au démon de la possession – le véritable amour ne possède pas, il se donne –, servir vaut mieux que conquérir. Car s’il n’y a pas d’amour, la vie est une triste solitude. Merci » (Pape François, extraits de l’Audience Générale du 17 janvier 2024, sur Th 4, 3-5).

Défusionner pour communier

Quand bien des blessures encombrent le corridor de notre relation,
il m’est précieux alors de porter toute mon attention sur ce qui
compte prioritairement entre nous deux. C’est ceci :
établir la connexion, nourrir le lien,
sentir ce qui est vivant ici et maintenant,
accueillir nos complicités spontanées,
apprécier ce qui vibre en moi, entre nous, en toi,
goûter à la joie d’être côte-à-côte, simplement,
savourer ce que je reçois, ce que je donne,
me régaler de notre profonde connivence,
me délecter de ce qui fait chanter nos cœurs et nos âmes,
jouir de nos parfums qui jouent comme des exaltateurs d’arôme,
en présence l’un de l’autre,
déguster les saveurs, exhausteurs de goût qui se dégagent alors,
rendre grâce pour ce qu’Il nous donne par cette présence l’un à l’autre,
cette joie de la communion qui me parle d’éternité.
 
Tout cela suppose de pouvoir rester dans l’ici et maintenant, pour profiter pleinement de ce qui est là : ne pas t’enfermer ni dans mes blessures du passé ni dans mes projets, dans mes attentes, ni dans ce que nous avons fait de mal ni dans tes propres projections. Accueillir ce qui vient et aussi accepter ce qui ne vient pas. Être présent avec suffisamment d’espace intérieur et de gratuité que je me réjouis de ce qui est donné + reçu ET que je suis aussi OK avec ce qui n’est pas donné + reçu

La femme n’est pas sortie de la côte d’Adam

En Genèse 2, il n’est pas question de « femme sortie de la côte d’Adam », comme nous fourvoie cette mauvaise traduction. Il y est révélé que l’homme et la femme sont les deux CÔTÉS que Dieu créent pour générer l’humanité. Dieu bâtit là du grandiose et du solide : l’un est inachevé et devient pleinement lui-même dans la rencontre de l’autre, et vice-versa ; différents pour s’accomplir à travers une relation qui les dépasse tous deux.

Quand on lit ce récit délivré de nos a priori anti-misogynes,
on peut apprécier que la femme y est davantage actrice
que l’homme engourdi et qu’elle joue un rôle capital
dans cet appel à parachever la création…

Cf. Hélène de Saint Aubert, Sexuation, parité et nuptialité dans le second récit de la Création (Gn 2), Collection Lectio Divina, février 2023.

D’Yeux de Dieu ?

Vous avez un regard singulier et charmant.
Comme la lune au fond du lac qui la reflète,
Votre prunelle, où brille une humide paillette,
Au coin de vos doux yeux roule languissamment.
Ils semblent avoir pris ses feux au diamant.
Ils sont de plus belle eau qu’une perle parfaite.
Et vos grands cils émus, de leur aile inquiète,
Ne voilent qu’à demi leur vif rayonnement.
Mille petits amours, à leur miroir de flamme,
Se viennent regarder et s’y trouvent plus beaux.
Et les désirs y vont rallumer leurs flambeaux.
Ils sont si transparents, qu’ils laissent voir votre âme,
Comme une fleur céleste au calice idéal
Que l’on apercevrait à travers un cristal
(Théophile Gautier, À deux beaux yeux).

Être bien conscient des fleurs du mal esclavagiste

Parmi les fleurs du mal esclavagiste, il y a notre impossibilité de retracer l’origine et le nom de Jeanne dite Duval, cette Créole des îles qui fut le grand amour de Baudelaire. Le racisme est tel que toute leur correspondance est détruite, tandis qu’on met en lumière ses billets avec Mme Sabatier, une femme comme il lui faut, selon les critères de son entourage. La mère du poète et toute la famille refusant le couple interracial, lui rend la vie impossible, notamment en lui coupant les vivres.

Pourtant, malgré tout, c’est Jeanne qui illumine le cœur de Baudelaire. C’est pour elle qu’il écrit cette chanson d’après-midi :

Quoique tes sourcils méchants
Te donnent un air étrange
Qui n’est pas celui d’un ange,
Sorcière aux yeux alléchants,

Je t’adore, ô ma frivole,
Ma terrible passion !
Avec la dévotion
Du prêtre pour son idole.

Le désert et la forêt
Embaument tes tresses rudes,
Ta tête a les attitudes
De l’énigme et du secret.

Sur ta chair le parfum rôde
Comme autour d’un encensoir ;
Tu charmes comme le soir,
Nymphe ténébreuse et chaude.

Ah ! les philtres les plus forts
Ne valent pas ta paresse,
Et tu connais la caresse
Qui fait revivre les morts !

Tes hanches sont amoureuses
De ton dos et de tes seins,
Et tu ravis les coussins
Par tes poses langoureuses.

Quelquefois, pour apaiser
Ta rage mystérieuse,
Tu prodigues, sérieuse,
La morsure et le baiser ;

Tu me déchires, ma brune,
Avec un rire moqueur,
Et puis tu mets sur mon cœur
Ton œil doux comme la lune.

Sous tes souliers de satin,
Sous tes charmants pieds de soie,
Moi, je mets ma grande joie,
Mon génie et mon destin,

Mon âme par toi guérie,
Par toi, lumière et couleur !
Explosion de chaleur
Dans ma noire Sibérie !

Charles Baudelaire et Jeanne Duval

Connaissez-vous l’histoire du fol amour entre Charles Baudelaire et la métisse des îles, Jeanne dite Duval ? L’entourage du poète fit tout pour la nier et mettre des bâtons dans les roues d’une telle union. Les Fleurs du mal n’auraient pas existé sans Jeanne, Pourtant, le procès intenté contre sa publication exige dans sa sentence qu’on en retire les poèmes les plus fous d’amour pour Jeanne, la ‘tite Créole : les bijoux, les balcons, le Léthé…

En retenant l’accusation d’outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs, sans retenir l’accusation d’outrage à la religion, c’est la métisse qu’on met au ban de la société. La France d’alors (1857) sort très difficilement de l’esclavage. Aujourd’hui, sereinement, nous pouvons voir et dénoncer le racisme qui est au cœur de ce refus de couple mixte, refus qui a rendu la vie impossible à Charles et Jeanne. Cf. la conférence d’Emmanuel Richon en 2007, lors du 150ème  anniversaire de la publication des Fleurs du mal.

Les bijoux

La très-chère était nue, et, connaissant mon cœur,
Elle n’avait gardé que ses bijoux sonores,
Dont le riche attirail lui donnait l’air vainqueur
Qu’ont dans leurs jours heureux les esclaves des Maures.

Quand il jette en dansant son bruit vif et moqueur,
Ce monde rayonnant de métal et de pierre
Me ravit en extase, et j’aime à la fureur
Les choses où le son se mêle à la lumière.

Elle était donc couchée et se laissait aimer,
Et du haut du divan elle souriait d’aise
A mon amour profond et doux comme la mer,
Qui vers elle montait comme vers sa falaise.

Les yeux fixés sur moi, comme un tigre dompté,
D’un air vague et rêveur elle essayait des poses,
Et la candeur unie à la lubricité
Donnait un charme neuf à ses métamorphoses ;

Et son bras et sa jambe, et sa cuisse et ses reins,
Polis comme de l’huile, onduleux comme un cygne,
Passaient devant mes yeux clairvoyants et sereins ;
Et son ventre et ses seins, ces grappes de ma vigne,

S’avançaient, plus câlins que les Anges du mal,
Pour troubler le repos où mon âme était mise,
Et pour la déranger du rocher de cristal
Où, calme et solitaire, elle s’était assise.

Je croyais voir unis par un nouveau dessin
Les hanches de l’Antiope au buste d’un imberbe,
Tant sa taille faisait ressortir son bassin.
Sur ce teint fauve et brun, le fard était superbe !

Et la lampe s’étant résignée à mourir,
Comme le foyer seul illuminait la chambre,
Chaque fois qu’il poussait un flamboyant soupir,
Il inondait de sang cette peau couleur d’ambre !

Bien-être délicieux en sa présence

« Quand je l’ai rencontrée pour la première fois, j’ai ressenti, en la voyant, une étrange sensation. Ce ne fut point de l’étonnement, ni de l’admiration, ce ne fut point ce qu’on appelle le coup de foudre, mais un sentiment de bien-être délicieux, comme si on m’eût plongé dans un bain tiède. Ses gestes me séduisaient, sa voix me ravissait, toute sa personne me faisait un plaisir infini à regarder.
Il me semblait aussi que je la connaissais depuis longtemps, que je l’avais vue déjà. Elle portait en elle quelque chose de mon esprit. Elle m’apparaissait comme une réponse à un appel jeté par mon âme, à cet appel vague et continu que nous poussons vers l’Espérance durant tout le cours de notre vie »
(Guy de Maupassant).