Résister mais sans riposter

Voici une réflexion de Jean-Yves Leloup :
« Quand deux grandes forces s’opposent,
la victoire va à celui qui a appris à céder ».
Si cette phrase de Lao Tseu reste sans doute inaudible aux Russes comme aux Ukrainiens, à Poutine et à Zelensky, peut-être seront-ils davantage sensibles aux remarques de Tolstoï, leur ancêtre commun : « Vous êtes habitués à lutter contre la mal par la violence et par la vengeance, c’est un mauvais moyen, le meilleur moyen n’est pas la vengeance, mais la bonté. Je comprends, écrit-il, que poussé, par la colère, la haine, la vengeance, la perte de conscience de son humanité, un homme puisse tuer, en défendant un être proche, en se défendant lui-même. Et je comprends qu’il puisse tuer sous l’effet d’une suggestion patriotique, grégaire, en s’exposant à la mort et participant à un meurtre collectif de guerre. Mais que des hommes, en pleine possession de leurs facultés, puissent tranquillement, de façon mûrement pesée, admettre la nécessité de l’assassinat de l’un de leurs semblables et contraindre des créatures à commettre cet acte répugnant à la nature humaine – cela, je ne l’ai jamais compris. » Ne faut-il pas commencer par là : que chacun « en pleine possession de ses facultés » ne se laisse pas emporter par la spirale de la peur et du jugement afin, d’opposer à la violence autre chose que de la violence ? Opposer plutôt le courage de la conscience, une conscience incarnée, préférant être meurtrie que meurtrière. La force invincible et vulnérable de l’humble amour ; le contraire du mouton couché, l’Agneau pascal blessé mais debout »
(Jean-Yves Leloup)
et ses précieuses « Graines de conscience » sur Les Odyssées de la conscience : https://elearning.jeanyvesleloup.eu/courses/graines-de-conscience

https://www.facebook.com/jean.yves.leloup.officiel

La voie de résolution dans l’impasse Ukraine-Russie

L’impasse actuelle en Ukraine a des points de ressemblance avec la guerre que se menaient les Égyptiens et les Israéliens dans les années 70. Israël avait envahi le Sinaï, territoire égyptien, en riposte aux attaques arabes, et l’occupait par les armes pour se prémunir de toute attaque surprise des avions de chasse arabes.

Tant que le débat se résumait à déterminer qui va occuper le Sinaï, les pourparlers étaient complètement dans l’impasse, aucune des parties n’acceptant de perdre ! L’Égypte exigeait de recouvrer son entière souveraineté nationale sur le Sinaï. Pour elle, ce point est non négociable. Mais la sécurité l’est tout autant pour Israël !

L’impasse est dans le soit…, soit… : SOIT Israël continue d’occuper le Sinaï, SOIT l’Égypte le récupère. La solution est dans un ET…, ET… : comment faire pour que l’intégrité nationale de l’Égypte soit restaurée ET la sécurité israélienne garantie.  

En 1978, Jimmy Carter invite à Camp David les Égyptiens et les Israéliens, où ils passent plusieurs jours. Les médiateurs ont travaillé séparément avec chaque délégation, en se concentrant sur l’explicitation de ses intérêts. Ils en vinrent ainsi à négocier sur les intérêts légitimes et non sur les positions intransigeantes, en se demandant comment faire pour que l’intégrité nationale de l’Égypte soit restaurée et la sécurité israélienne garantie. Cette manière de formuler le problème ouvrit un processus de négociation sans perdant. Dans l’accord signé à Camp David, le Sinaï est retourné entièrement à l’Égypte et la sécurité d’Israël a été assurée par une vaste zone démilitarisée à la frontière et des dispositifs d’alerte rapide, au moyen des radars sophistiqués déployés par les forces des Nations Unies. Ceci est extrait de mon livre La méthode C-R-I-T-E-R-E pour mieux gérer nos conflits, Presses universitaires de Louvain, 2009, p. 275.

Plus la guerre tuera de personnes et détruira à tous les niveaux, plus les belligérants calculeront leurs progrès non pas selon leurs gains mais selon les pertes infligées à l’ennemi, plus ils s’éloigneront de ce processus de résolution Win-Win et plus il faudra du temps et de l’énergie pour revenir à ce processus incontournable d’honorer les besoins profonds et légitimes des parties.

Choisir l’essentiel : « Tu ne tueras pas », même si les autres le font

Une habitante de Kiev a eu cette semaine une vision dans un rêve : dans une ville détruite par la guerre, elle cherche sa famille. Jésus se rapproche d’elle et celle-ci lui demande de lui donner un coup de main. Jésus, de la croix, répond : « Tu ne peux pas faire les deux choses ensemble ; tu ne peux pas me crucifier et en même temps demander mon aide. Tu dois choisir : l’un ou l’autre. »

Quand cette personne s’est réveillée, après cette vision, elle a dit à tout son entourage qu’elle avait décidé de choisir l’essentiel. C’est le nonce apostolique à Kiev qui partage ce témoignage ce 11 mars 2022.


Choisir l’essentiel : « Tu ne tueras pas », même si les autres le font.


La non-violence choisit l’essentiel : si tous les habitants d’un pays décident de se tenir la main pour ne pas coopérer avec l’envahisseur, celui-ci ne pourra pas les soumettre et tirer profit de ses agressions violentes, d’autant plus si des milliards d’humains de la planète leur tiennent aussi la main, de là où ils sont. Ce ne sont pas les armes qui font la grandeur et l’héroïsme d’une personne, d’une nation, c’est 1) sa fermeté courageuse à ne pas coopérer aux injustices dont elle a conscience (et la guerre en fait partie), 2) sa capacité à comprendre et à reconnaître la vérité profonde de chaque partie, 3) l’art de créer un accord qui en tienne compte : cadre de droit, communication vraie et négociation efficace, pour une paix juste. Ne pas perdre le cap.

L’économie au service du bien commun

« L’économie n’est ni au service de la propriété privée et des intérêts individuels, ni au service de ceux qui voudraient utiliser l’État pour imposer leurs valeurs ou faire prévaloir leurs intérêts. Elle récuse le tout-marché comme le tout-État. L’économie est au service du bien commun, elle a pour objet de rendre le monde meilleur. À cette fin, elle a pour tâche d’identifier les institutions et les politiques qui promouvront l’intérêt général. Dans sa recherche du bien-être pour la communauté, elle englobe les dimensions individuelle et collective du sujet. Elle analyse les situations où l’intérêt individuel est compatible avec cette quête de bien-être collectif et celles où au contraire il constitue une entrave » (Jean Tirole, Économie du bien commun, 2016).

Je souhaite à chacun.e de nous du discernement dans cette tâche d’identifier et de contribuer aux institutions et aux politiques, autour de nous, qui rendent davantage l’économie au service du bien commun. Bon choix de vote présidentiel aux Français !

Demande d’asile et racisme

Le jour où je me suis retrouvé étranger en difficulté en terre inconnue, loin de chez moi, et que j’ai trouvé refuge chez des gens d’une hospitalité simple et spontanée, leur humanité m’a humanisé, elle m’a ouvert les yeux du cœur sur les réflexes européens de forteresse se croyant assiégée par ‘’toute la misère du monde’’…

« Il a fait fleurir le désert comme une rose, il m’a arraché à l’amertume solitaire de l’exil pour me mettre en harmonie avec le grand cœur blessé et brisé du monde » (Oscar Wilde, De Profundis).

« Secours-moi, sois mon ami, ô Bien-aimé, ne dors pas !
Ô rossignol enivré, ne t’endors pas dans la roseraie.
Protège les amis exilés, ne dors pas !
Cette nuit est la nuit de la libéralité,
sois attentif, ne dors pas.
Si tu désires l’éternité et la victoire, ne dors pas.
Brûle-toi à la flamme de l’amour de l’Ami, ne dors pas.
Plonge comme le seau dans les ténèbres du puits,
il se peut que tu arrives à la margelle du puits ;
ne dors pas » (Rûmi).

Image tirée de https://www.facebook.com/WearThe PeaceClothing/

Appel à la solidarité pour les victimes de la guerre au Nord-Kivu

Je reçois le cri déchirant d’un de mes proches, vivant à Butembo-Béni à l’Est de la RDCongo, qui fait partie de mon équipe de formateurs  :

« Nous vivons des massacres au quotidien. Tous nos frères qui viennent de mourir égorgés chaque jour au Nord-Kivu n’ont-ils pas la même valeur humaine que ceux des autres provinces du pays, que ceux d’Ukraine ? Qu’est-ce qui fait qu’ailleurs, dans la majeure partie du pays, les activités et la vie peuvent se dérouler normalement alors que nous, poussés par la faim qui nous est imposée, nous risquons la mort chaque fois que nous allons dans nos propres champs, qui nous reviennent de droit ? C’est souvent une mort tragique qui nous y attend, tel un agneau isolé au milieu de loups, une mort planifiée par des hommes comme nous, qui s’infiltrent pour s’accaparer nos terres. Est-ce vraiment ça ce que nous méritons ? Nos larmes n’ont-elles pas encore suffi pour que les Puissants de ce monde nous écoutent et nous viennent urgemment en aide pour stopper ce massacre ? Est-ce parce que dans leurs veines coule de la sève et non du sang ? Nos gouvernants, nos députés, nos sénateurs, la soit-disant Communauté internationale, MONUSCO, UE, etc., ont-ils du sang en or à protéger tandis que le nôtre coule sous les pieds de nos arbres, en pleurant nuit et jour ? Qui se soucie de savoir comment nous trouvons à manger, comment nous nous vêtissons ? Comment ferment-ils l’œil ici, alors qu’ils se préoccupent tant de la paix à l’Est de l’Europe ? Qu’avons-nous fait à l’humanité pour être ignorés comme ça ? Comment des personnes responsables peuvent aller danser dans des hôtels, ou aller contenter des voisins, pendant qu’ils savent que les corps de leurs propres enfants sont en train de se décomposer dans une des chambres de leur appartement ?

Croyez-moi, s’il vous plait, les gens sont en train de mourir. Ne faites pas semblant comme si tout va bien au Congo-Kin. Merci pour votre solidarité à nos côtés ».

Je retourne là-bas dans 3 mois et j’y donnerai des ateliers sur l’art de mobiliser la société civile en vue de faire tomber les injustices sociétales. Nous avons besoin de soutien et nous préférons rester indépendants de la plupart des organismes officiels. Si vous sentez en vous que c’est juste et prioritaire de soutenir ce projet, voir 

http://etiennechome.site/parrainage-de-formateurs-en-formation-dans-la-region-des-grands-lacs/ dont le message de 2021 et le n° de compte restent valables. Je vous remercie pour chaque euro précieux. À mes côtés, mes sœurs et frères du Nord-Kivu vous remercient, moi aussi. Étienne

Ci-dessous le tableau « Agnus » par le russe Konstantin Korobov.

De la guerre subie à la guerre menée

« Pendant la Seconde Guerre Mondiale, un soldat russe revint des lignes de combat à la maison, pour une courte pause. Approchant de l’appart où il vivait avec sa femme, il vit un tas de corps empilés dans la rue que des hommes chargeaient sur un camion, en vue de les enterrer. Arrivé tout près, il vit une jambe de femme portant une chaussure qu’il reconnut : c’était sa femme. La prenant dans ses bras, il réalisa qu’elle était encore en vie. Dans l’appart, il en prit soin et elle survécut. 8 ans plus tard, en 1952, leur fils naquit : Vladimir Putin » (Hillary Clinton, Hard Choices).

Je reçois cette histoire comme l’invitation à regarder en conscience l’enchainement souvent inconscient et sourd des violences, qui commencent dans le concret de nos drames personnels traumatisés par la guerre…

« Les guerres prenant naissance dans l’esprit des hommes, c’est dans l’esprit des hommes que doivent être élevées les défenses de la paix » (préambule de l’Acte constitutif de l’UNESCO, 1945).

Militaire chrétien ?

« L’éthique n’est pas une variable d’ajustement. Céder sur l’éthique, c’est déjà, automatiquement, accepter une défaite. […]. Nous sommes détenteurs du pouvoir d’user de la force, nous sommes détenteurs d’armes que nos concitoyens nous confient, pour pouvoir exercer la force qui n’est pas la violence… C’est là, notre honneur et c’est là, l’éthique de l’armée de terre, mais pas seulement de l’armée de terre » (Général Bernard Thorette, chef d’état-major de l’armée de terre française, en 2002-2006).

« Le soldat a pour vocation d’assurer par les armes la défense de son pays. L’officier chrétien cherche à vivre ce service comme l’accomplissement de sa mission de baptisé. Opposant la force à la violence, il s’efforce de respecter chez l’adversaire sa dignité d’homme et sa vocation à devenir un partenaire. […] Il sait que la paix dont il veut être l’artisan n’est pas un état, mais une dynamique qui, pour rayonner, doit d’abord régner dans sa propre conscience » (Général 5 étoiles Bertrand de Lapresle).

Tous 2 cités (avec les références exactes) dans Chomé Étienne, La non-violence évangélique et le défi de la sortie de la violence, p 108. Cf. l’onglet thélogique de ce site.

Voir de plus haut et sortir par le haut

Face au mal et à l’injustice, la solution n’est pas dans la réaction ni dans l’absence de réaction, elle est dans l’action qui part d’un autre registre, prenant les choses de plus haut. Voici un exemple donné par le grand réalisateur de films, Steven Spielberg : « L’année de mes 13 ans, un petit dur du quartier ne cessait de me harceler. Il me mettait K.O. dans l’herbe, me plongeait la tête dans l’eau de la fontaine, me collait le visage dans la boue et me faisait saigner du nez quand nous jouions au football… Il me terrifiait. Alors, je me suis dit, si tu ne peux pas l’abattre, mets-le dans ton camp. Je lui ai donc annoncé : « J’essaie de faire un film sur la guerre contre les nazis, et j’aimerais que tu en sois le héros. » Il commença par me rire au nez, puis il accepta. C’était un grand gaillard de 14 ans qui ressemblait à John Wayne. J’en fis le chef de l’escouade, avec casque, corvées et sac à dos. Après cela, il devint mon meilleur ami » (tiré de William Ury, Comment négocier avec les gens difficiles, p. 131).

Les pièges de la violence, ses illusions

Connaître les pièges de la violence et ses illusions. Les repérer à l’œuvre partout dans le monde et de tout temps, dans l’histoire de l’humanité :

1er piège : La violence se cache, se maquille, s’habille, se déguise. Elle se donne de bonnes raisons, elle est très douée pour se justifier.

Et à l’inverse, tout chemin non-violent commence par la prise de conscience et la reconnaissance de sa propre violence, puis il se joue essentiellement à l’intérieur de nous-mêmes, en apprenant à déployer d’autres formes de forces, non-violentes.

2ème piège : Ma violence est toujours seconde, en réaction à la tienne, qui est première.

Ma violence est légitime défense. Le problème, c’est que tous, nous sommes convaincus que notre violence est seconde, qu’elle réagit à l’agression de l’autre. Comprendre comment les violences s’enchaînent.

3ème piège et illusion : Ma violence va être la dernière, elle est en mesure de mettre un point final à la violence, elle réussira à faire taire la violence. Alors qu’en fait, chercher à vaincre une violence par une autre violence, c’est offrir une victoire de plus à la violence.

Étienne Chomé, extrait du document n°17 sur

http://etiennechome.site/outils-pour-de-meilleures-relations-humaines/ .