L’enthousiasme donne du souffle

L’étymologie de « s’en-thou-siasmer » parle de Dieu (εν θεοῦ [èn théou]) et de son souffle de vie, présent dans toutes les sagesses du monde : Prāṇa hindou / Qi Chi Shū chinois / Ruah hébreu / Rûh musulman / Pneuma grec / Anima latin / Ankh égyptien / Mana polynésien / Orenda amérindien / Od germain…

Heureux qui rend grâce d’être insufflé et inspiré par ce Souffle, Présence qui oxygène et que tous respirent…

Trésor que nous portons dans des vases d’argile, lumière vacillante, jaillie de ma lampe à huile

« Peut-être Dieu n’est-il dans nos mains qu’une petite flamme qu’il dépend de nous d’alimenter et de ne pas laisser s’éteindre. […] Combien de malheureux qu’indigne la notion de son omnipotence accourraient du fond de leur détresse si on leur demandait de venir en aide à la faiblesse de Dieu ? » (Marguerite Yourcenar, L’œuvre au noir).

« Dieu a dit : « Que la lumière brille du sein des ténèbres ». Il a lui-même brillé dans notre cœur pour y faire resplendir la connaissance de la gloire de Dieu qui rayonne du visage de Jésus-Christ. Mais ce trésor, nous le portons dans des vases faits d’argile, pour que ce soit la puissance extraordinaire de Dieu qui se manifeste, et non notre propre capacité » (2 Corinthiens 4,6-7).

Anges & chêne de Mambré au quotidien

« Certains êtres ont la grâce d’avoir l’air de débarquer sur terre pour l’enchanter » (Anne Dufourmantelle).

Joie de les entrevoir à Pâques ou à la Trinité ? Grâce de les voir dans l’humble vie du quotidien ?…

« Un jour, Moïse aperçoit un buisson ardent, un arbre qui brûle mais ne se consume pas. Il regarde avec attention ce phénomène et interrompt tout pour observer.

Les commentateurs disent : c’est parce qu’il a su observer comme personne que Dieu s’adresse à lui. Et Moise répond alors d’un seul mot en hébreu. Il dit Hineni : « Me voici ! je suis là ! » » (Delphine Horvilleur, rabbin française).

Les vies dansent dans l’évidence de notre fraternelle appartenance

Lévi (en hébreu לוי ) est un des 11 frères de Joseph. Eux, jaloux, s’en débarrassèrent. Lui, résilient, se réconcilia des années plus tard…

Lévi dense : c’est en demandant pardon que Lévi a trouvé sa densité d’homme, qu’il a trouvé son poids, qu’il a pris de la valeur. C’est ainsi qu’il a manifesté sa richesse d’être, cette « gloire » reçue du Dieu de ses pères…

La densité d’un humain se trouve dans son cœur réconcilié, jusque dans ses ombres. « À vouloir nier sa partie obscure, on détruit la forme de toute une personnalité. Toute « forme vivante » nécessite une ombre dense pour pouvoir être plastique. Sans ombre, une forme n’est qu’un fantôme ou un mirage à deux dimensions, dans le meilleur des cas un enfant, plus ou moins bien élevé » (Carl Gustav Jung , Dialectique du moi et de l’inconscient, 1933).

Notre gloire n’est pas dans notre renommée, nos strass et paillettes ; elle est dans ce chantier en cours de réconciliation, d’intégration de notre ombre dans notre lumineuse divinité filiale, d’où jaillit l’évidence de notre fraternelle appartenance. Quelle joie quand, enfin, les vies dansent dans l’évidence fondatrice !

Sacré quand « ça-crée » des liens !

Ci-dessous mon post de dimanche dernier, qui a dérangé certains par son côté sacrilège. Ce qui me donne l’occasion d’une précision théologique / tes-hauts-logiques. Avant la révolution de la Révélation en Jésus-Christ, le sacré signifie « séparé », mis à part (du profane). Avec lui, je pense que la religion vit une inversion, dont je vais résumer un des aspects par le slogan : sacré quand « ça-crée » des liens !
(Je ne développe pas ici. Cf. mon chapitre de thèse de doctorat sur René Girard qui voit dans le christianisme le dépassement crucial, vital, définitif de la violence.)

2 jours après mon post, la tunisienne Emna Charki, 27 ans, est condamnée à 6 mois de prison pour atteinte au sacré. Elle avait relayé durant le confinement un post humoristique sur FB appelant à se laver les mains, tout en reprenant la rythmique coranique. Le Procureur a jugé cela sacrilège…

Qui est sacrilège, profanateur ? Celui qui crée des liens, avec la créativité humoristique qui lui a été donnée par le Créateur dans sa bonté divine, ou celui qui lance une fatwa de mort sur les blasphémateurs ?

« Ce n’est pas à l’habit qu’on reconnaît le moine mais à l’observation de la règle et à la perfection de sa vie. Il faut ainsi faire la distinction entre l’être et le paraître » (dixit le pape Grégoire IX en 1233, il y a 800 ans, citant Saint-Jérôme, 800 ans auparavant ; et je vous donne rendez-vous dans 800 ans, pour la suite !). Rira bien qui… ?
À chacun de finir la phrase…
Moi, je propose : rira bien qui aura converti sa violente possession de la vérité en amour non-violent, à même de rencontrer son frère, sa sœur, dans son humanité, au point de connecter ses intentions positives en amont de ses apparences culturelles et religieuses… C’est lui / elle, à mon sens, qui rira le premier et le dernier !
Je pense au rire de Julia Roberts dans Pretty Woman, quand le coffret à bijoux lui retombe sur les doigts. Ce rire qui n’était pas du tout prévu dans le scénario, a jailli spontanément de son coeur, au coeur duquel vit une âme d’enfant confiant et libre par rapport aux étiquettes (elle est en bonne relation avec Richard Gere et libre par rapport à son personnage de prostituée). C’est cela le trésor, la Bonne Nouvelle contenue dans « Abba » Papounet. حب الله Allah mohaba / Dieu-Amour.
Ce n’est pas par laxisme ou démission que j’accepte les caricatures sur la religion de mes contemporains. Ce n’est pas pour moi d’abord un signe de décadence civilisationnelle. C’est une occasion d’accueillir comment la Bonne nouvelle percole dans les âmes : même sacrés cons, nous sommes con-sacrés, l’homme est sacré, au point que la religion (ce qui relie à Dieu) interdit toute fatwa de mort et tout passage à l’acte violent ! Voilà un aspect du « nouveau paradigme de non-violence » (cf. mon livre qui porte ce titre + ma thèse, tous deux disponibles à l’onglet « Publications de fond »).

Remonter à la source de son existence

Le confinement n’empêche pas une excursion plus exaltante encore qu’une sortie : remonter, à l’intérieur de moi, du fleuve à la rivière, de la rivière au ruisseau, du ruisseau au filet d’eau, du filet d’eau à la source d’eau vive. 

« Dis-moi qui tu es ? »

Ezéchiel 47.

Photo : Beboy_Photography

Merci, les 92 cascades de Plitvice, en Croatie.

Les paraboles et le langage de changement : déconstruire et reconstruire

« La plupart attrapent une opinion comme on attrape la rougeole, par contagion » (Jules Payot, La faillite de l’enseignement, 1937).

« L’école de Palo Alto, dont Paul Watzlawick est la figure de proue, s’est intéressée aux paraboles évangéliques car elles contiennent toutes les caractéristiques du « langage de changement ». Elles opèrent un « re-cadrage », c’est-à-dire qu’elles ne se contentent pas de modifier des éléments à l’intérieur d’un système laissé intact mais elles réussissent à changer le système de référence lui-même. Le langage de changement cherche à faire bouger, à l’opposé du langage didactique qui relève en linguistique du langage de renforcement (celui-ci cherche à expliquer, à expliciter, à clarifier les tenants et les aboutissants d’une problématique).

[…] Jésus réalise un double mouvement 1) de déconstruction (il ébranle le schéma de pur/impur) et en même temps 2) de reconstruction (il lui substitue celui de pécheur pardonné/pécheur sauvé). Geert Hallback applique le concept de Jacques Derrida aux paraboles : elles ne sont pas destructives mais plutôt « déconstructives », elles dé-construisent et re-construisent tout à la fois. Une parabole fonctionne comme un métier à tisser à double navette : l’une dénoue les fils pendant que l’autre en noue d’autres.

[…] Au cœur du jeu parabolique, s’exerce un ressort en 3 temps : 1) la parabole détend d’abord et comprend son destinataire ; 2) puis, elle tend ailleurs et le surprend par un coup de théâtre, un renversement de situation ; 3) enfin, elle lui tend la perche en lui lançant un « prends position » ! Nous avons à chaque fois examiné comment la parabole, par ce jeu de recadrage, constitue un langage de changement d’une redoutable performativité pour appeler à un comportement nouveau.

[…] La parabole fonctionne comme une opération de sauvetage de quelqu’un qui est tombé dans un trou. 1) Elle commence par lui tendre la main. 2) Une fois qu’elle le tient bien, elle le tire vers le haut pour l’en sortir. 3) Enfin, elle lui demande de tenir debout par lui-même. Hélas, au moment où la parabole cherche à le sortir du trou, il arrive qu’il lâche la main et retombe au fond du trou. Il va alors comprendre la parabole à l’envers, lui faire dire son contraire. Incapable de voir le ressort de la parabole dans le deuxième mouvement, il va la réduire dans le mouvement premier. Il se convainc que la parabole légitime la conduite qu’en réalité, elle conteste. C’est le risque pris par l’art parabolique qui commence par entrer dans la perspective de son destinataire. Nous avons montré à chaque fois comment la parabole prend soin d’aménager d’abord un terrain d’entente, une plate-forme commune, en obtenant son assentiment sur un point, lequel sert alors de levier pour tenter de surmonter le dissentiment » (ChomÉ Étienne, Le jeu parabolique de Jésus, une étonnante stratégie non-violente, Éditions Lumen Vitae, Collection Connaître la Bible, n° 57, 2009, p. 28-29 & p. 74).

Du tend qui détend au prends position via comprend qui surprend !