Réforme du Conseil de sécurité de l’ONU

« L’incapacité du Conseil de sécurité à se réinventer face à un monde qui change a pour conséquence une perte de légitimité qui, bien qu’unanimement reconnue, reste sans solution. En 1963, a eu lieu la seule et unique réforme de la composition du Conseil de sécurité, en réaction à l’augmentation des membres de l’ONU, passés de 51 en 1945 à 113 cette année-là, augmentation qui nécrosait son fonctionnement. […] Les États se sont rassemblés en groupes plus ou moins conséquents, sur base de leurs intérêts communs. Chacun d’eux a proposé son projet, traitant tantôt des catégories des membres, tantôt de leur nombre ou encore du droit de veto. En fin de compte, ces travaux n’ont pas permis de débuter la moindre réforme. […] Une lueur d’espoir existe en ce que tous les États sont d’accord sur deux points : l’amélioration des méthodes de travail, qui ne nécessite pas de révision formelle de la Charte, et l’augmentation des membres non permanents. […] Pour que la réforme aboutisse, les États doivent user de la méthode classique de droit international public qu’est la négociation sur base d’un texte. […] On procèderait à la réforme petit à petit, question par question, en ne la mettant en route qu’une fois qu’une majorité se serait dégagée pour chacune des questions. […] Si le veto est le droit le plus controversé du Conseil, il est évident qu’il n’y sera pourtant apporté aucun changement, c’est-à-dire ni extension, ni limitation, ni a fortiori suppression pure et simple. Il faudra donc se contenter des assouplissements qu’il connaît déjà, tels que la méthode du consensus, l’abstention, le silence ou l’absence. […] Lorsque les intérêts divergent et que le besoin de coopération se fait impérieux, aucune sortie de crise n’est envisageable sans souplesse. Une négociation avec 193 parties autour de la table est sans précédent » (Tau Yory, La réforme du Conseil de sécurité et le droit de veto, Université de Liège, juin 2020).

Réformes de l’impôt des multinationales + du Conseil de sécurité des Nations unies

Ce samedi 10 juillet 2021, le G20 a consolidé l’accord sur « une architecture fiscale internationale plus stable et plus équitable », qui instaure un impôt mondial d’au moins 15 % sur les bénéfices des multinationales. Bravo aux diplomates qui ont œuvré dans l’ombre avec constance pour parvenir à cette avancée majeure dans notre village devenu planétaire.

Autre avancée à y faire : la réforme du droit de veto des 5 Grandes Puissances au Conseil de sécurité des Nations unies. Sa composition et son fonctionnement qui reflètent la Realpolitik au sortir de la Seconde Guerre mondiale, ne reflètent pas la Société internationale contemporaine.

Parmi les propositions de réforme, celles qui impliquent davantage chaque continent dans le fonctionnement du Conseil et qui responsabilisent les différents groupes géographiques dans le maintien de la paix et de la sécurité internationale. Dans cette perspective davantage inclusive, les États les plus importants de ces groupes pourraient occuper des mandats à long terme renouvelables.

À partir de leurs intérêts immédiats, à courte vue de myopes, les Grandes Puissances nucléaires sont tentées de s’accrocher à leurs droits acquis du passé et de bloquer cette indispensable réforme pour une meilleure gouvernance mondiale. Aidons nos amis de ces 5 pays, notamment les Français et Britanniques, à intelligemment comprendre leurs intérêts durables, en acceptant ces changements en temps de paix, sous peine de les subir, contraints et forcés, après des conflits mal gérés, voire après une guerre : ce serait le pire des scénarios… Ensemble, tirons les leçons de l’Histoire, apprenons des 2 Guerres mondiales du siècle dernier. Faisons mieux que la Société des Nations érigée en 1919 et l’ONU érigée en 1946.

Mon modèle de base

Dans un conflit complexe, trois dimensions sont à distinguer : les conflits de structures, de vécus et d’intérêts. Ces trois types de blocages ont chacun ses remèdes spécifiques :

 3 causes :    
Des structures déficientes

Des vécus dévalorisés

Des intérêts divergents
 3 compétences : 
Le cadre de droit

La communication vraie

La négociation efficace

1) La compétence « Cadre de Droit » (abrégé CD), c’est l’autorité ferme qui respecte et fait respecter les règles. La force du droit réside dans des sanctions effectivement contraignantes, contre l’impunité, contre le droit du plus fort.

2) La compétence « Communication Vraie » (abrégé CV), c’est l’intelligence émotionnelle qui respecte les personnes. La compréhension de leurs fondements (préoccupations, besoins, motivations, intentions profondes et valeurs) améliore la qualité des relations humaines.

3) La compétence « Négociation Efficace » (abrégé NE), c’est l’intelligence rationnelle qui respecte les intérêts en jeu. La créativité invente des solutions Win-Win qui optimisent l’accord.

Les champs propres de ces trois plans sont hélas souvent confondus. On ne parvient à les articuler qu’après les avoir clairement distingués. Chaque aspect et niveau du conflit requièrent l’usage de la compétence adéquate :

Dans mes sessions, à des fins pédagogiques, j’ai mis au point un schéma conceptuel qui clarifie les enjeux. À titre d’exemple, prenons le débat entre faucons et colombes, partisans de la force et militants de la paix : 

Niveau I : La droite horizontale met en scène le débat mal posé, en raison de l’ambigüité des formulations « recours à la force » et « refus de la violence », qui créent des quiproquos tant qu’on ne dégage pas leur part de vérité mais aussi leur part d’erreur respectives. Par ailleurs, la droite horizontale se fourvoie par l’écrasement du débat sur un seul axe. Il convient de quitter les faux dilemmes de la zone I et de travailler avec plus de relief en zone II, autour des deux barres verticales.

Niveau II : Ni colonne 1 (position Domination ; bellicisme militariste dans cet exemple)

      Ni colonne 4 (position Passivité ; pacifisme absolu de principe).

     Et colonne 2, et colonne 3 : les ingrédients d’une bonne gestion des conflits sont un Cadre de Droit (CD) + une Négociation Efficace (NE), et une Communication Vraie (CV). 

Niveau III : Vider la colonne des attitudes Passivité, en les remplaçant par des attitudes CD & NE

        Vider les attitudes en colonne Domination, en les remplaçant par des attitudes CV.

Cette schématisation a l’intérêt d’organiser la discussion, de clarifier les enjeux puis d’élaborer une position intégrative. Mais c’est avant tout pour son intérêt pratique d’aide au changement  que je l’ai forgée dans mon travail de formateur et coach en Gestion des conflits : le niveau III balise un programme d’actions, par lesquelles chaque participant transforme peu à peu ses réflexes contreproductifs (attitudes spontanées DOM et PASS) en compétences consciemment acquises à l’intérieur du cadre : CD et CV et NE. Apprendre comment abandonner les stratégies contreproductives des jeux de pouvoir est un art qui s’apprend : le pouvoir est domination quand il est pouvoir sur les autres ; il est source de progrès quand, d’une part, il est pouvoir pour garantir la justice (CD) et atteindre de manière pertinente les objectifs adéquats (NE), d’autre part il est pouvoir avec les autres (CV), en en faisant des alliés et non des ennemis. C’est en ne subissant plus un pouvoir sous un dominant qu’un acteur apporte le meilleur de lui-même dans la sortie de crise.

Tiré de CHOMÉ Étienne, Le nouveau paradigme de non-violence, p. 18-20.

Les policiers gardiens de la paix

À propos de la création d’une « École de guerre » destinée à la formation continue des policiers en France, les membres du réseau francophone de Church and Peace ont rédigé une lettre destinée aux Églises de France. Extrait :

« Pour nous, les policiers sont des gardiens de la paix, qui ne peuvent pas être formés dans une école de guerre, et nous jugeons très dangereux le développement d’une telle rhétorique guerrière qui installe l’idée de la possibilité ou de l’existence d’une guerre à l’intérieur de notre pays.

Nous avons conscience que les policiers sont régulièrement confrontés à diverses formes de violence dans l’exercice de leur fonction, qui exige du sang-froid et un grand professionnalisme, et nous considérons qu’il est par conséquent souhaitable qu’ils puissent recevoir une formation initiale et continue de grande qualité qui leur permette de pouvoir agir en toutes circonstances dans le respect des quatre principes de légitimité, de nécessité, de précaution et de proportionnalité. La multiplication ces derniers mois de violences policières avérées montre la nécessité de renforcer et d’améliorer cette formation des policiers afin qu’ils ne recourent pas à un usage excessif et illégal de la force mais qu’ils puissent apprendre et mettre en œuvre des techniques de désescalade et de désamorçage de situations de violence.

Il nous semble qu’une des priorités des pouvoirs politiques devrait être de garantir cette formation de qualité, pour renforcer les liens de confiance entre la police et la population, et non de développer une rhétorique guerrière à ce propos.

Nous souhaitons résister à une telle rhétorique de la peur qui conduit trop souvent à une escalade de la violence et qui peut fonctionner comme une prophétie auto-réalisatrice. Pour cela, nous voulons d’abord désarmer nos esprits et notre vocabulaire. Nous voulons également soutenir une éducation et une formation à la culture de paix et de non-violence tout au long de la vie. »

Pour lire l’ensemble de la lettre :

Les policiers gardiens de la paix dans une « École de guerre » ?

Emmanuel Macron qui avait martelé « nous sommes en guerre » il y a un an, a récemment annoncé la création d’une « École de guerre » à Montpellier pour la formation continue des policiers. Il fut suivi par le Ministre de l’Intérieur français, ce 10 mai 2021 : « La lutte contre le trafic de stupéfiants partout sur le territoire national s’apparente à une guerre, cette guerre nous la menons grâce à des soldats et ces soldats sont les policiers et les gendarmes de France ». Cette rhétorique guerrière cherche-t-elle à renforcer la force de frappe de la Force publique ?

Ma thèse de doctorat portait sur le défi de sortir de la violence. En voici un point crucial : les initiatives les plus à même de sortir de la violence sont d’un autre ordre que la violence, tant par leur point de départ que par leur finalité, tant par leur consistance que par leur esprit, tant par leur énergie que par leur intention. Ces initiatives vont éteindre les feux de la violence précisément parce qu’elles ne contiennent pas en elles-mêmes de produits inflammables violents.

Une déclaration d’état de guerre en temps de paix est source de confusions : les normes éthiques ne sont pas les mêmes en temps de paix et en temps de guerre. Cette déclaration est pire encore si elle sert à excuser plus de violences répressives : elle nourrit alors une escalade va-t-en-guerre, elle est alors du côté du problème et non de la solution. Les policiers n’ont pas vocation de va-t-en-guerre mais de gardien de la paix.

Ci-dessous : l’illustration de ‘se tirer une balle dans le pied’ à l’envers.

Le bruit des bottes après le silence des pantoufles

« La paix se gagne pas à pas, bien avant que ne retentissent les tambours de mobilisation. Il y a pire que le bruit des bottes : le silence des pantoufles car c’est celui-ci qui rend celui-là un jour irrémédiable. Les chrétiens sont régulièrement invités à « tout donner comme le Christ  ». Qu’est-ce que cela signifie en matière de guerre et paix ? Sommes-nous capables de nous sacrifier pour la paix comme nos arrières grands-parents se sont sacrifiés pour la guerre  ? Sommes-nous prêts à mettre le prix ?

Le Pape François souligne que l’indifférence de l’humanité à l’égard des problèmes de notre temps est l’une des menaces principales contre la paix dans le monde : « Gagne sur l’indifférence et remporte la paix » (Journée mondiale de la paix, 1er janvier 2016). L’indifférence ne peut être vaincue qu’en faisant face ensemble à ce défi. La paix est une conquête, nous dit le Pape François. Un tel bien ne s’obtient pas sans plusieurs choix lucides et courageux aujourd’hui. L’essentiel d’une bonne gestion des conflits se joue en amont de la violence : c’est aujourd’hui que nous sommes en train de perdre ou de gagner la paix de demain. Résister à la violence, c’est travailler à ne pas lui laisser le champ libre, alors même que nous disposons de nombreuses marges de manœuvre » (Chomé Étienne, La non-violence évangélique et le défi de la sortie de la violence, p. 300).

Réduits à de l’argent < > larges gens do ré mi…

« La bourgeoisie a joué dans l’histoire un rôle éminemment révolutionnaire. Tous les liens complexes et variés qui unissent l’homme féodal à ses « supérieurs naturels », elle les a brisés sans pitié pour ne laisser subsister d’autre lien, entre l’homme et l’homme, que le froid intérêt, les dures exigences du « paiement au comptant ». Elle a noyé les frissons sacrés de l’extase religieuse, de l’enthousiasme chevaleresque, de la sentimentalité à quatre sous dans les eaux glacées du calcul égoïste. Elle a fait de la dignité personnelle une simple valeur d’échange ; elle a substitué aux nombreuses libertés, si chèrement conquises, l’unique et impitoyable liberté du commerce. En un mot, à la place de l’exploitation que masquaient les illusions religieuses et politiques, elle a mis une exploitation ouverte, éhontée, directe, brutale. La bourgeoisie a dépouillé de leur auréole toutes les activités qui passaient jusque-là pour vénérables et qu’on considérait avec un saint respect. Le médecin, le juriste, le prêtre, le poète, le savant, elle en a fait des salariés à ses gages. La bourgeoisie a déchiré le voile des émotions qui recouvraient les relations de famille et les a réduites à n’être que de simples rapports d’argent. […] Poussée par le besoin de débouchés toujours nouveaux, la bourgeoisie envahit le globe entier. Il lui faut s’implanter partout, exploiter partout. Elle ressemble au magicien qui ne sait plus dominer les puissances infernales qu’il a évoquées. Les armes dont la bourgeoisie s’est servie pour abattre la féodalité se retournent aujourd’hui contre elle-même » (Marx, Le manifeste du Parti communiste, 1847).

La paix de l’Europe

«  En Europe, la tradition anglo-saxonne est un peu à la tradition latine ce que l’huile est au vinaigre. Il faut les deux pour faire la sauce, sinon la salade est mal assaisonnée » (Elisabeth II à Paris en juin 1992, professant son credo européen).

« L’Europe est trop grande pour être unie. Mais elle est trop petite pour être divisée. Son double destin est là » (Daniel Faucher).

« Et de l’union des libertés dans la fraternité des peuples naîtra la sympathie des âmes, germe de cet immense avenir où commencera pour le genre humain la vie universelle et que l’on appellera la paix de l’Europe » (Victor Hugo).

Tapoter sur nos oeillères idéologiques qui font voir la violence politique comme incontournable

« Napoléon, dans ses conquêtes, ne s’est jamais véritablement
préoccupé des pertes humaines. […] Nous avons ensuite, et
depuis lors, placé la valeur de la vie humaine plus haut que tout.
De l’Empire, nous avons renoncé au pire.
De l’empereur, nous avons embelli le meilleur » (Emmanuel Macron « commémorant » Napoléon Bonaparte, à l’Institut de France, 5/5/21).

Le discours écrit de l’Élysée prévoyait la formule : « De l’empereur, nous avons embelli nos meilleurs », ce qui est très différent du prononcé de Macron, parlant d’embellir le meilleur de l’empereur (hélas, le prononcé a, seul, autorité ; point l’écrit). Embellir nos meilleurs à nous, n’est-ce pas être lucide sur l’impasse de la logique de domination et de gloire à la racine même de la politique de Bonaparte ?

Comme tout civilisateur armé, Napoléon justifie ses propres violences de conquérant par ses projets de bâtisseur, qui répand les idées de la Révolution et débarrasse les peuples européens des tyrans qui les oppressent… En octobre 1813, il a refusé les bons services de Metternich, venu négocier une paix européenne raisonnable et durable, en lui rétorquant : « Votre Empereur et moi-même n’avons pas les mêmes contraintes. Il est l’héritier de ces familles qui se partagent l’Europe depuis des siècles. Vos maîtres peuvent se faire battre vingt fois et poursuivre tranquillement leur règne. Moi, je suis le fils de la fortune. Je ne suis que le Corse venu s’asseoir sur un de leurs trônes. Je ne puis m’y maintenir que par la force. Mon Empire est détruit si je cesse d’être redoutable » (Napoléon, Metternich, le commencement de la fin). Une course en avant, dont on connaît la fin avant même de commencer : implacable logique, chez bien des espèces animales, du mâle dominant qui s’impose par la force et qui est éliminé, aussitôt qu’il sera devenu âgé et moins fort qu’un autre…

Pour tapoter sur nos œillères idéologiques qui limitent nos regards et nous amènent à voir trop vite certaines violences comme incontournables voire même glorieuses, je cite Jean-Marie Muller qui poursuit le projet philosophique d’une délégitimation radicale de la violence, jusque dans les mots porteurs de l’idéologie de la violence nécessaire, légitime et honorable. Il s’attache à « déconstruire les mots justifiant la violence et, dans le même mouvement, inventer et créer les mots qui honorent la non-violence. Trouver les mots justes pour dénommer la violence, c’est déjà nous déprendre de son emprise. De même, trouver les mots justes pour dénommer la non-violence, c’est déjà lui ouvrir un espace où elle puisse exister. […] En réalité, l’opposé de la vérité, c’est l’erreur de la violence et déjà l’erreur de toute doctrine qui prétend justifier la violence, c’est-à-dire faire de la violence un droit de l’homme. Car la violence est déjà victorieuse, elle a déjà imposé son ordre dès lors qu’elle a obtenu la complicité intellectuelle de l’homme. […] Il ne suffit pas de juger la violence, il s’agit de la penser. Penser la violence, c’est dé-couvrir son inhumanité. Penser la violence, c’est la dis-qualifier, la dé-légitimer, la dis-créditer, la dé-considérer, la dés-honorer. Penser la violence, c’est comprendre qu’elle nie et renie les vertus qui fondent et structurent l’humanité de l’homme. Penser la violence, c’est la voir ir-respectueuse, ir-réfléchie, in-juste, in-digne, in-civile, im-morale, im-polie, in-intelligente, im-prudente, in-délicate, in-clémente, in-élégante, in-considérée, in-souciante, in-décente, in-correcte, in-conséquente, in-capable, in-apte, im-propre, in-convenable, in-opportune, in-congrue, in-cohérente, in-continente, in-disciplinée, in-docile, in-tempérante, in-contrôlable, in-gérable,   im-puissante, in-opérante, in-fructueuse, in-compétente, in-habile, in-salubre, in-efficace. ir-réaliste, in-tolérable, in-fréquentable, in-soutenable, in-supportable, in-tenable, in-vivable, in-acceptable, in-désirable, ir-recevable, in-admissible, in-défendable, in-justifiable, Penser la violence, pour chacune de ces raisons et pour beaucoup d’autres encore, c’est lui opposer un non catégorique. Connaître la vérité, c’est, face au scandale de la violence qui dé-figure le visage de l’homme, re-connaître l’évidence de la non-violence » (Muller Jean-Marie, Penser la violence, 2006).

Membre de la grande famille, citoyen de la grande patrie

Dans l’accouchement de la démocratie, on commença par couper le cordon ombilical avec la tribu-Matrie (liens sacrés). Les humains devinrent alors les enfants de la cité-Patrie (Nation séculière). Puis, ils passèrent par l’acné juvénile du patriotisme nationaliste va-t’en-guerre. Puis, ils se mirent à étendre la patrie à l’ensemble du genre humain. Ce sont les Grecs qui ont coupé le cordon ombilical, avec leur idée que la démocratie passe par un dépassement de liens claniques et tribaux, lesquels nous enchaînent et nous empêchent de réussir la paix (Aristote, La Politique, Paris, Hermann Éditeur des Arts et des Lettres, Livre I, 1996, p. 1-27). Dans l’article La saine famille (Études, n° 418, février 2013, p. 161-172), Michel Serres montre comment, notamment par son option de célibat des clercs, l’Église catholique a bouleversé les fondements de la société traditionnelle, fondée sur les liens du sang, les tribus, les castes et les clans. Puis vinrent les pensées cosmopolites du XVIIIe siècle. « Chacun doit infiniment plus au genre humain, qui est la grande patrie, qu’à la patrie particulière dans laquelle il est né. […] La terre entière n’est qu’une seule patrie commune, où tous les hommes des divers peuples devraient vivre comme une seule famille. […] Toutes les guerres sont civiles, car c’est toujours l’homme qui répand son propre sang » (Fénelon, Dialogues des Morts). « Qu’est-ce que l’amour de la patrie ? Un composé d’amour-propre et de préjugés dont le bien de la société fait la plus grande des vertus.  Il est triste que souvent, pour être bon patriote, on soit l’ennemi du reste des hommes. […] Telle est donc la condition humaine, que souhaiter la grandeur de son pays, c’est souhaiter du mal à ses voisins. Celui qui voudrait que sa patrie ne fût jamais ni plus grande, ni plus petite, ni plus riche, ni plus pauvre, serait le citoyen de l’univers » (Voltaire). « Cette vertu supérieure à l’amour de la patrie, c’est l’amour de l’humanité » (Gabriel de Mably, toujours au XVIIIe siècle).  « Le patriotisme le plus parfait est celui qu’on possède quand on est si bien rempli des droits du genre humain qu’on les respecte vis-à-vis de tous les peuples du monde ».

La Deuxième Guerre mondiale provoqua une profonde bascule dans les esprits, rejetant le vers de Corneille, dans Horace : « Mourir pour le pays est un si digne sort, qu’on briguerait en foule une si belle mort. » « L’idée de patrie est liée à l’idée de guerre. Étant donné ce qu’est devenue la guerre dans le monde actuel, elle fait de la Patrie la force la plus immédiatement dangereuse qui circule au milieu de nous » (Andreu Pierre, Drieu témoin et visionnaire, Grasset, 1952, p. 160). Sur fond d’un antimilitarisme radical, les peuples européens rejetèrent alors des expressions comme le « peuple en armes » ou « la défense de la patrie ». 

Extrait de Chomé Étienne, Le nouveau paradigme de non-violence, p. 103.