L’aïkido : la force légitime qui déjoue la violence

Comment, en cas d’agression, optimiser nos chances de déjouer la violence? Comment mettre la violence hors d’état de nuire par des forces qui relèvent d’un autre registre que la violence ? C’est ce qu’enseigne à faire par exemple l’aïkido (do signifie voie, méthode en japonais) en quatre phases : l’absorption, l’entrée, le déséquilibre et l’immobilisation ou la projection. L’aïkidoka (personne qui pratique cet art) commence par absorber l’énergie dégagée par l’agresseur en s’esquivant par un pivot, en ouvrant un champ qui modifie la cible ou la trajectoire de l’attaque. Puis il prend la conduite des opérations, d’un côté il s’avance et consolide sa stabilité autour de son centre de gravité, de l’autre, il dévie la force de l’attaquant et l’exploite afin d’entraîner son déséquilibre. L’aïkidoka exploite l’énergie de l’agresseur non pas contre lui mais pour empêcher l’agression de parvenir à ses fins. C’est l’énergie de l’agresseur qui sert à réaliser le mouvement. Plus on est expérimenté, moins on dépense ses propres forces et plus on exploite intelligemment celles de l’autre, en connaissant les lois de la gravité, de l’inertie et des leviers.

L’aïkidoka neutralise et dissuade l’agression, démarche très différente des « sumos [qui] cherchent à impressionner l’adversaire, à l’hypnotiser, à l’empoigner et à le balancer hors du cercle  ». S’entraîner chaque semaine à l’aïkido est une piste parmi bien d’autres. De nombreuses organisations non-violentes proposent des stages pratiques sur les moyens de sortir de la violence. En guise d’exemple, une semaine de stage intensif consacré entièrement aux parades pertinentes contre une agression en rue ne suffit pas à explorer le champ des possibles, les alternatives au coup de sang chaud et à la peur qui paralyse. Les stagiaires apprennent comment garder leurs moyens, accéder à toutes leurs ressources, intégrer les bons gestes, qui commencent par les bonnes dispositions d’esprit, les énergies « pour » (et non « contre » ou « sur »). Ils apprennent à repérer les réflexes contreproductifs en crise (qui alimentent les logiques de contre-violence / de passivité) et aussi à s’exercer hors crise aux gestes et paroles les plus à même d’enrayer la spirale de la violence . On n’a jamais fini d’approfondir l’acquisition des bonnes compétences et leur renforcement au moyen d’entrainements réguliers.

Le déficit n’est pas d’abord doctrinal, il est pratique et méthodologique. La force est dans la méthode et dans les exercices. La compétence de ne pas se laisser trop vite enfermer par la fatalité du dernier recours s’acquiert et requiert des années de pratique, bien avant le jour funeste de l’agression. Personne n’a fini d’apprendre à surmonter ses réflexes, à saisir comment, quand et où le conflit est en train de déraper dans la violence, comment, quand et où celle-ci peut être déjouée. Dès lors, la problématique contemporaine telle que posée par les praticiens de la non-violence active n’est pas tant de justifier des exceptions à la règle morale que de trouver les méthodes et les moyens à la hauteur des principes moraux. Sans tout ce travail de création des possibles entre céder ou se battre violemment, on en arrive si vite à la nécessité du dernier recours ! À vrai dire, le scénario le plus courant de la légitime défense violente n’est pas celui du dernier recours réfléchi : pris de court par l’agresseur, on court à la violence comme on attrape une bouée de secours. L’histoire donne bien des exemples de pacifistes qui, par un mouvement de bascule, tombent de Charybde en Scylla : une non-violence incapable de défense fait le lit d’une défense qui en vient trop vite à la violence . L’incapacité à gérer un affrontement est complice de la violence.

Extrait de mon livre La non-violence évangélique et le défi de la sortie de la violence, p. 256.

Un cas de non-violence active freinant la déportation des Juifs

Imaginez que vous êtes en 1940. Votre pays a été envahi par l’Allemagne. Les Nazis exigent que les Juifs portent l’étoile de David au bras, sans dire que c’est la première étape en vue de leur déportation et de leur extermination. Vous êtes un simple citoyen, pauvre et démuni. Que faites-vous ? Comme vous êtes créatif et résolument engagé dans la non-violence active, c’est-à-dire dans l’art d’empêcher tout groupe humain d’abuser de son pouvoir, de l’empêcher d’en tirer le moindre profit, vous réfléchissez, de cette intelligence imaginative qui crée des solutions nouvelles. Vous vous dites : ils veulent distinguer les Juifs et nous préparer à les mettre à part de notre société.

Que faire, pour ne pas tomber dans leur panneau de basse-quête ?

Eureka,

allons donc tous porter l’étoile. Comment faire ?

J’ai trouvé : je vais trouver le roi du pays, je lui en parle. Quand il est convaincu, je lui demande de convaincre les élites aux pouvoirs politiques et économiques + l’intelligentsia que tous se mettent à porter le brassard à l’étoile en même temps.

Et que tous invitent à faire de même, autour d’eux : conjoint, enfants, voisins, etc., etc.,…

« L’Union fait la force » (devise de la Belgique et de ce petit village/pays qui a la gaule/potion magique de la créativité pour résister encore et toujours à l’envahisseur).

« Personne ne peut obtenir notre infériorité sans notre consentement » (Éléonore Roosevelt).

La voie de résolution dans l’impasse Ukraine-Russie

L’impasse actuelle en Ukraine a des points de ressemblance avec la guerre que se menaient les Égyptiens et les Israéliens dans les années 70. Israël avait envahi le Sinaï, territoire égyptien, en riposte aux attaques arabes, et l’occupait par les armes pour se prémunir de toute attaque surprise des avions de chasse arabes.

Tant que le débat se résumait à déterminer qui va occuper le Sinaï, les pourparlers étaient complètement dans l’impasse, aucune des parties n’acceptant de perdre ! L’Égypte exigeait de recouvrer son entière souveraineté nationale sur le Sinaï. Pour elle, ce point est non négociable. Mais la sécurité l’est tout autant pour Israël !

L’impasse est dans le soit…, soit… : SOIT Israël continue d’occuper le Sinaï, SOIT l’Égypte le récupère. La solution est dans un ET…, ET… : comment faire pour que l’intégrité nationale de l’Égypte soit restaurée ET la sécurité israélienne garantie.  

En 1978, Jimmy Carter invite à Camp David les Égyptiens et les Israéliens, où ils passent plusieurs jours. Les médiateurs ont travaillé séparément avec chaque délégation, en se concentrant sur l’explicitation de ses intérêts. Ils en vinrent ainsi à négocier sur les intérêts légitimes et non sur les positions intransigeantes, en se demandant comment faire pour que l’intégrité nationale de l’Égypte soit restaurée et la sécurité israélienne garantie. Cette manière de formuler le problème ouvrit un processus de négociation sans perdant. Dans l’accord signé à Camp David, le Sinaï est retourné entièrement à l’Égypte et la sécurité d’Israël a été assurée par une vaste zone démilitarisée à la frontière et des dispositifs d’alerte rapide, au moyen des radars sophistiqués déployés par les forces des Nations Unies. Ceci est extrait de mon livre La méthode C-R-I-T-E-R-E pour mieux gérer nos conflits, Presses universitaires de Louvain, 2009, p. 275.

Plus la guerre tuera de personnes et détruira à tous les niveaux, plus les belligérants calculeront leurs progrès non pas selon leurs gains mais selon les pertes infligées à l’ennemi, plus ils s’éloigneront de ce processus de résolution Win-Win et plus il faudra du temps et de l’énergie pour revenir à ce processus incontournable d’honorer les besoins profonds et légitimes des parties.

Choisir l’essentiel : « Tu ne tueras pas », même si les autres le font

Une habitante de Kiev a eu cette semaine une vision dans un rêve : dans une ville détruite par la guerre, elle cherche sa famille. Jésus se rapproche d’elle et celle-ci lui demande de lui donner un coup de main. Jésus, de la croix, répond : « Tu ne peux pas faire les deux choses ensemble ; tu ne peux pas me crucifier et en même temps demander mon aide. Tu dois choisir : l’un ou l’autre. »

Quand cette personne s’est réveillée, après cette vision, elle a dit à tout son entourage qu’elle avait décidé de choisir l’essentiel. C’est le nonce apostolique à Kiev qui partage ce témoignage ce 11 mars 2022.


Choisir l’essentiel : « Tu ne tueras pas », même si les autres le font.


La non-violence choisit l’essentiel : si tous les habitants d’un pays décident de se tenir la main pour ne pas coopérer avec l’envahisseur, celui-ci ne pourra pas les soumettre et tirer profit de ses agressions violentes, d’autant plus si des milliards d’humains de la planète leur tiennent aussi la main, de là où ils sont. Ce ne sont pas les armes qui font la grandeur et l’héroïsme d’une personne, d’une nation, c’est 1) sa fermeté courageuse à ne pas coopérer aux injustices dont elle a conscience (et la guerre en fait partie), 2) sa capacité à comprendre et à reconnaître la vérité profonde de chaque partie, 3) l’art de créer un accord qui en tienne compte : cadre de droit, communication vraie et négociation efficace, pour une paix juste. Ne pas perdre le cap.

L’économie au service du bien commun

« L’économie n’est ni au service de la propriété privée et des intérêts individuels, ni au service de ceux qui voudraient utiliser l’État pour imposer leurs valeurs ou faire prévaloir leurs intérêts. Elle récuse le tout-marché comme le tout-État. L’économie est au service du bien commun, elle a pour objet de rendre le monde meilleur. À cette fin, elle a pour tâche d’identifier les institutions et les politiques qui promouvront l’intérêt général. Dans sa recherche du bien-être pour la communauté, elle englobe les dimensions individuelle et collective du sujet. Elle analyse les situations où l’intérêt individuel est compatible avec cette quête de bien-être collectif et celles où au contraire il constitue une entrave » (Jean Tirole, Économie du bien commun, 2016).

Je souhaite à chacun.e de nous du discernement dans cette tâche d’identifier et de contribuer aux institutions et aux politiques, autour de nous, qui rendent davantage l’économie au service du bien commun. Bon choix de vote présidentiel aux Français !

Pessimiste avec l’intelligence, mais optimiste par la volonté

« Le pessimisme est d’humeur, l’optimisme est de volonté » (Alain, Propos sur le bonheur, 1928).

« Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres. […] Je suis pessimiste avec l’intelligence, mais optimiste par la volonté » (traduction littérale de l’italien : phrase d’Antonio Gramsci, extraite d’une lettre à son frère Carlo écrite en prison, le 19 décembre 1929 et reprise dans Cahiers de prison, 1948).

Antonio Gramsci se dit inspiré par Romain Rolland : « La conception socialiste du processus révolutionnaire est caractérisée par deux traits fondamentaux que Romain Rolland a résumé dans son mot d’ordre : pessimisme de l’intelligence, optimisme de la volonté » (Antonio Gramsci, Discours aux anarchistes, dans Ordine Nuovo, 3-10 avril 1920).

 La vie est une expérience de créativité

« La réussite n’est pas toujours une preuve d’épanouissement, elle est souvent même le bénéfice secondaire d’une souffrance cachée » (Boris Cyrulnik).

« La vie est une expérience de créativité, dans laquelle nous recevons en retour ce que nous y envoyons. Quand nous y projetons de la peur, nous recevons en retour toute une palette d’expériences associées à cette vibration, cette énergie. Il en est de même pour l’amour.

À la fin, quand nous passons de l’autre côté du voile, les épreuves parfois terribles de cette vie nous apparaitront comme les sursauts d’un Rire Cosmique, dont les mouvements nous auront douloureusement secoués.

Certains d’entre nous, sourds au grand rire de la vie, et aveugles à son caractère illusoire, prendront le jeu très au sérieux en en multipliant les règles, les masques et les lois.

Les autres, plus rares, se découvrent la capacité de réaliser la nature de ce rire avant la fin, et se mettent à jouir de la même blague, et à danser cette éphémère expérience dont la musique ne cesse jamais » (Stephan Schillinger).

Liberté, créativité é ternité

« Au-dessus de ce bout de route qui nous reste ouvert, le ciel s’étale tout entier. On ne peut rien nous faire, vraiment rien. On peut nous rendre la vie assez dure, nous dépouiller de certains biens matériels, nous enlever une certaine liberté de mouvement tout extérieure, mais c’est nous mêmes qui nous dépouillons de nos meilleures forces par une attitude psychologique désastreuse. En nous sentant persécutés, humiliés, opprimés. En éprouvant de la haine. En crânant pour cacher notre peur. On a bien le droit d’être triste et abattu, de temps en temps, par ce qu’on nous fait subir ; c’est humain et compréhensible. Et pourtant, la vraie spoliation c’est nous-mêmes qui nous l’infligeons. Je trouve la vie belle et je me sens libre. En moi des cieux se déploient aussi vastes que le firmament. Je crois en Dieu et je crois en l’homme, j’ose le dire sans fausse honte. La vie est difficile mais ce n’est pas grave. Il faut commencer par « prendre au sérieux son propre sérieux », le reste vient de soi-même. Travailler à soi-même, ce n’est pas faire preuve d’individualisme morbide. Si la paix s’installe un jour, elle ne pourra être authentique que si chaque individu fait d’abord la paix en soi-même, extirpe tout sentiment de haine pour quelque race ou quelque peuple que ce soit ou bien domine cette haine et la change en autre chose, peut-être même à la longue en amour ou est-ce trop demander ? C’est pourtant la seule solution. Je pourrais continuer ainsi des pages entières. Ce petit morceau d’éternité qu’on porte en soi, on peut l’épuiser en un mot aussi bien qu‘en dix gros traités » (Etty Hillesum, juive hollandaise emprisonnée et morte à Auschwitz en 1943, dans Une vie bouleversée, 1941-1943, p. 132 dans l’édition Points).

Voir de plus haut et sortir par le haut

Face au mal et à l’injustice, la solution n’est pas dans la réaction ni dans l’absence de réaction, elle est dans l’action qui part d’un autre registre, prenant les choses de plus haut. Voici un exemple donné par le grand réalisateur de films, Steven Spielberg : « L’année de mes 13 ans, un petit dur du quartier ne cessait de me harceler. Il me mettait K.O. dans l’herbe, me plongeait la tête dans l’eau de la fontaine, me collait le visage dans la boue et me faisait saigner du nez quand nous jouions au football… Il me terrifiait. Alors, je me suis dit, si tu ne peux pas l’abattre, mets-le dans ton camp. Je lui ai donc annoncé : « J’essaie de faire un film sur la guerre contre les nazis, et j’aimerais que tu en sois le héros. » Il commença par me rire au nez, puis il accepta. C’était un grand gaillard de 14 ans qui ressemblait à John Wayne. J’en fis le chef de l’escouade, avec casque, corvées et sac à dos. Après cela, il devint mon meilleur ami » (tiré de William Ury, Comment négocier avec les gens difficiles, p. 131).