« Baudelaire a été le premier à chanter la femme noire à Paris. Il voit dans la marginalité une rédemption. D’une certaine façon, il a choisi ce camp des gens déchus » (Emmanuel Richon, dans sa conférence sur les pieds nus. Il présente les pieds nus comme « des marqueurs identitaires de l’esclavage »).
Extrait de « À une Malabaraise » : « Tes grands yeux de velours sont plus noirs que ta chair. Aux pays chauds et bleus où ton Dieu t’a fait naître, Ta tâche est d’allumer le pipe de ton maître, De pourvoir les flacons d’eaux fraîches et d’odeurs, De chasser loin du lit les moustiques rôdeurs, Et, dès que le matin fait chanter les platanes, D’acheter au bazar ananas et bananes » (Charles Baudelaire).
Nota Bene (sur Wikipedia) : Une Malabaraise est au sens strict une habitante de la région de Malabar sur la côte sud-ouest de l’Inde (État actuel du Kerala). En français néanmoins, le mot « Malabar » a aussi servi à désigner tout habitant du sud de l’Inde et notamment aussi de la côte sud-est (pays tamoul) ainsi que, par extension, les habitants d’origine tamoule des îles Maurice et de la Réunion. Dans le contexte du poème, la « Malabaraise » fait référence à une Indienne d’un comptoir français en Inde du sud : Pondichéry probablement, ou alors Mahé sur la côte occidentale.
Parmi les fleurs du mal esclavagiste, il y a notre impossibilité de retracer l’origine et le nom de Jeanne dite Duval, cette Créole des îles qui fut le grand amour de Baudelaire. Le racisme est tel que toute leur correspondance est détruite, tandis qu’on met en lumière ses billets avec Mme Sabatier, une femme comme il lui faut, selon les critères de son entourage. La mère du poète et toute la famille refusant le couple interracial, lui rend la vie impossible, notamment en lui coupant les vivres.
Pourtant, malgré tout, c’est Jeanne qui illumine le cœur de Baudelaire. C’est pour elle qu’il écrit cette chanson d’après-midi :
Quoique tes sourcils méchants Te donnent un air étrange Qui n’est pas celui d’un ange, Sorcière aux yeux alléchants,
Je t’adore, ô ma frivole, Ma terrible passion ! Avec la dévotion Du prêtre pour son idole.
Le désert et la forêt Embaument tes tresses rudes, Ta tête a les attitudes De l’énigme et du secret.
Sur ta chair le parfum rôde Comme autour d’un encensoir ; Tu charmes comme le soir, Nymphe ténébreuse et chaude.
Ah ! les philtres les plus forts Ne valent pas ta paresse, Et tu connais la caresse Qui fait revivre les morts !
Tes hanches sont amoureuses De ton dos et de tes seins, Et tu ravis les coussins Par tes poses langoureuses.
Quelquefois, pour apaiser Ta rage mystérieuse, Tu prodigues, sérieuse, La morsure et le baiser ;
Tu me déchires, ma brune, Avec un rire moqueur, Et puis tu mets sur mon cœur Ton œil doux comme la lune.
Sous tes souliers de satin, Sous tes charmants pieds de soie, Moi, je mets ma grande joie, Mon génie et mon destin,
Mon âme par toi guérie, Par toi, lumière et couleur ! Explosion de chaleur Dans ma noire Sibérie !
Charles Baudelaire écrit ses poèmes pour Jeanne, son amour de Créole authentique. Bien plus que sa muse, elle est aussi et notamment le voyage qui continue, le moyen de ne jamais quitter l’île Maurice et les Mascareignes qui l’ont tant fasciné. Que ces moments demeurent immortels…
Le balcon : Mère des souvenirs, maîtresse des maîtresses, Ô toi, tous mes plaisirs ! ô toi, tous mes devoirs ! Tu te rappelleras la beauté des caresses, La douceur du foyer et le charme des soirs, Mère des souvenirs, maîtresse des maîtresses !
Les soirs illuminés par l’ardeur du charbon, Et les soirs au balcon, voilés de vapeurs roses. Que ton sein m’était doux ! que ton cœur m’était bon ! Nous avons dit souvent d’impérissables choses Les soirs illuminés par l’ardeur du charbon.
Que les soleils sont beaux dans les chaudes soirées ! Que l’espace est profond ! que le cœur est puissant ! En me penchant vers toi, reine des adorées, Je croyais respirer le parfum de ton sang. Que les soleils sont beaux dans les chaudes soirées !
La nuit s’épaississait ainsi qu’une cloison, Et mes yeux dans le noir devinaient tes prunelles, Et je buvais ton souffle, ô douceur ! ô poison ! Et tes pieds s’endormaient dans mes mains fraternelles. La nuit s’épaississait ainsi qu’une cloison.
Je sais l’art d’évoquer les minutes heureuses, Et revis mon passé blotti dans tes genoux. Car à quoi bon chercher tes beautés langoureuses Ailleurs qu’en ton cher corps et qu’en ton cœur si doux ? Je sais l’art d’évoquer les minutes heureuses !
Ces serments, ces parfums, ces baisers infinis, Renaîtront-il d’un gouffre interdit à nos sondes, Comme montent au ciel les soleils rajeunis Après s’être lavés au fond des mers profondes ? Ô serments ! ô parfums ! ô baisers infinis !
Voici le poème Le Léthé de Charles BAUDELAIRE, en hommage à Jeanne, dont il est fou amoureux, cette fille des îles (d’Haïti aux rivages mauriciens), au teint fauve et brun, si belle fleur du mal, trônant sur ce mal qu’est le fumier colonial :
Viens sur mon cœur, âme cruelle et sourde, Tigre adoré, monstre aux airs indolents ; Je veux longtemps plonger mes doigts tremblants Dans l’épaisseur de ta crinière lourde ;
Dans tes jupons remplis de ton parfum Ensevelir ma tête endolorie, Et respirer, comme une fleur flétrie, Le doux relent de mon amour défunt.
Je veux dormir ! dormir plutôt que vivre ! Dans un sommeil aussi doux que la mort, J’étalerai mes baisers sans remord Sur ton beau corps poli comme le cuivre.
Pour engloutir mes sanglots apaisés Rien ne me vaut l’abîme de ta couche ; L’oubli puissant habite sur ta bouche, Et le Léthé coule dans tes baisers.
À mon destin, désormais mon délice, J’obéirai comme un prédestiné ; Martyr docile, innocent condamné, Dont la ferveur attise le supplice,
Je sucerai, pour noyer ma rancœur, Le népenthès et la bonne ciguë Aux bouts charmants de cette gorge aiguë Qui n’a jamais emprisonné de cœur.
« Si tu ne saisis pas le petit grain de folie chez quelqu’un, tu ne peux pas l’aimer. Si tu ne saisis pas son point de démence, tu passes à côté. Le point de démence de quelqu’un, c’est la source de son charme » (Gilles Deleuze, Abécédaire).
Et si plutôt que de regarder vers le ciel, tu laissais le Ciel plonger à l’intérieur de toi, à la découverte de ces joyeux joyaux enfouis dans tes profondeurs ?
Le livre des Proverbes (31,10-31) offre un poème en acrostiches (l’alphabet hébreu défile par la première lettre de chaque verset) : 10 Aleph — Une femme de valeur est une véritable trouvaille ! Sa valeur est plus grande que celle des perles. 11 Beth — Son mari peut lui faire confiance : il ne manquera pas de ressource. 12 Gimel — Elle fait son bonheur, et non pas sa ruine, tous les jours de sa vie. 13 Daleth — Elle sait choisir la laine et le lin, et ses mains travaillent volontiers. 14 Hé — Pareille aux navires marchands, elle est comme les navires marchands, faisant venir ses vivres de très loin. 15 Waw — Elle se lève avant le jour, prépare le repas de sa famille et distribue à ses servantes leur travail. 16 Zaïn — Après avoir bien réfléchi, elle achète un champ et plante une vigne grâce à l’argent qu’elle a gagné. 17 Heth — Elle rayonne de force et retrousse ses manches ! 18 Teth — Elle s’assure de la bonne marche des affaires, sa lampe ne s’éteint pas de la nuit. 19 Yod — Ses mains s’activent à filer la laine, ses doigts à tisser des vêtements. 20 Kaph — Ses doigts s’ouvrent en faveur du pauvre, elle tend la main au malheureux. 21 Lamed — Elle ne craint pas la neige pour sa maisonnée, car tous les siens ont des vêtements doublés. 22 Mem — Elle s’est fait des couvertures, des vêtements de pourpre et de lin fin. 23 Noun — Aux portes de la ville, on reconnaît son mari siégeant parmi les anciens du pays. 24 Samek — Elle confectionne des vêtements et les vend, elle livre des ceintures au marchand qui passe. 25 Aïn — La force et la dignité sont sa parure, elle sourit en pensant à l’avenir. 26 Pé — Elle s’exprime avec sagesse, elle sait donner des conseils avec bonté. 27 Çadé — Attentive à la marche de sa maison, elle ne mange pas le pain de l’oisiveté. 28 Qoph — Ses enfants viennent la féliciter. Son mari chante ses louanges. 29 Resh — « Bien des femmes se montrent de valeur, disent-ils, mais toi, tu les surpasses toutes ! » 30 Shine — Le charme est trompeur, la beauté est passagère ; seule une femme qui reconnaît l’autorité du Seigneur est digne d’éloges. 31 Taw — Que l’on récompense son travail ! Que l’on chante ses mérites aux portes de la ville !
Ce poème a été lu à si bon escient à l’enterrement de ma chère marraine, Monique Jamar. Ses funérailles ont été de bout en bout des moments de grâce pour moi. J’ai eu comme des flashs d’être bercé par elle. Elle a si bien pris soin de moi, tout-petit, elle et son mari, et ses 5 enfants, tous plus grands que moi, à une période où Maman n’allait pas bien (revenant seule avc moi du Rwanda pour se faire soigner, elle m’a déposé chez eux plus d’1 semaine. Je ne marchais pas encore).
A la fin de la messe, le curé congolais (un de mes anciens étudiants) a lancé : avant que la famille ne rende hommage à Monique, y a-t-il quelqu’un qui souhaite s’exprimer ? J’ai senti que j’avais à dire merci et je me suis levé sans réfléchir, sans rien avoir préparé…
Et j’ai dit, entre les larmes, qq ch comme :
Marraine, tu as été un des plus beaux cadeaux que j’ai reçu. J’étais tout petit et tu as pris soin de moi, en maman douce et délicate. À chacun de mes séjours dans la famille, où chacun.e m’a si bien accueilli, tu as été pour moi une maman qui m’a fait respirer des parfums de douceur que je n’avais jamais respirés ; tu m’as fait vivre des chants / champs d’amour que je n’avais jamais expérimentés. Dans ta manière de me bercer et de me chanter la vie, tu as été une maman si précieuse pour le tout-petit d’homme que j’étais. Tu m’as engendré à la vie, à la manière si simple et si sacrée de tes grâces. Merci, de toujours à toujours, ma reine.
« Et lentement s’ouvrent, dans mes yeux ouverts, d’autres yeux mieux capables de voir » (Christiane Singer).
40 ans : l’âge dans la Bible du début de la sagesse, au sens de l’âge à partir duquel on se met à pénétrer les Écritures avec sagacité… Je suis né le 7 mai 1965. Porté par 40 ans de maturation, je célèbre donc, en ce jour béni, mes 18 ans ! 18 ans : l’ouverture aux promesses de la vie…
« Ce ne sont pas des contenus qu’il faut transmettre – les Cieux se rient de nos théories –, c’est une manière intense d’être. Ce qui manque le plus à notre vie d’aujourd’hui, c’est cette intensité surgie de l’intérieur. […] Seules les âmes ébranlées jusque dans leurs fondements par la passion ont la chance de voir s’écrouler l’édifice de leur moi, de devenir les chantiers du divin. Tant que tu attendras qu’il t’arrive bonheur et que ce bonheur se tienne devant toi avec ses cadeaux et ses oripeaux, tu n’entendras ni le vent dans les branches dehors, ni en toi le souffle lent qui te visite, son vrai langage et sa petite musique… Rien n’est plus contraire à l’expérience mystique que la routine et la sécurité » (Christiane Singer).
La voix de Sr Agathe : une pépite tombée du Ciel :
RESTE AVEC NOUS, Ô SEIGNEUR, QUAND LA NUIT VIENT. QUE TA PAIX VIENNE EN NOS COEURS, NE SOIS PAS LOIN. Veille sur ceux que j’aime. Garde-les en ta grâce. Protège chacun de leurs pas. Donne-leur ta paix, ta joie. Préserve ton serviteur, de l’orgueil qui détruit. Que je reste petit, même dans le bonheur.
« Alors j’avais quinze ans. Au sein des nuits sans voiles, Je m’arrêtais pour voir voyager les étoiles Et contemplais trembler, à l’horizon lointain, Des flots où leur clarté jouait jusqu’au matin. Un immense besoin de divine harmonie M’entraînait malgré moi vers la sphère infinie, Tant il est vrai qu’ici cet autre astre immortel, L’âme, gravite aussi vers un centre éternel.
Mais, tandis que la nuit marchait au fond des cieux, Des pensées me venaient, graves, silencieux, D’avenir large et beau, de grande destinée, D’amour à naître encor, de mission donnée, Vague image, pour moi, pareille aux flots lointains De la brume où nageaient mes regards incertains. — Aujourd’hui tout est su ; la destinée austère N’a plus devant mes yeux d’ombre ni de mystère, Et la vie, avant même un lustre révolu, Garde à peine un feuillet qui n’ait pas été lu. Humble et fragile enfant, cachant en moi ma flamme, J’ai tout interrogé dans les choses de l’âme. L’amour, d’abord. Jamais, le cœur endolori, Je n’ai dit ce beau nom sans en avoir souri.
Puis j’ai soudé la gloire, autre rêve enchanté, Dans l’être d’un moment instinct d’éternité ! Mais pour moi sur la terre, où l’âme s’est ternie, Tout s’imprégnait d’un goût d’amertume infinie. Alors, vers le Seigneur me retournant d’effroi, Comme un enfant en pleurs, j’osai crier : « Prends-moi ! Prends-moi, car j’ai besoin, par delà toute chose, D’un grand et saint espoir où mon cœur se repose, D’une idée où mon âme, à qui l’avenir ment, S’enferme et trouve enfin un terme à son tourment » (Louise Ackermann, Élan mystique).