« Vous avez entendu qu’il a été dit aux anciens… . Or moi, je vous dis… » est le refrain qui rythme Mt 5, 21-48, avec six couplets, qui disent crescendo : la loi dit non à toutes les formes de violence, du plus proche au plus lointain, de celles que nous faisons subir aux autres (meurtre, mensonge, concupiscence) à celles que nous subissons des autres (5ème et 6ème antithèses). Jésus accomplit la loi, il la fait tenir debout à partir de sa racine, il l’établit définitivement selon son intention propre : « Il a été dit…, moi je donne le sens fondamental », à partir de la justice du Royaume du Père (ce sont les 3 mots qui reviennent le plus dans ce ‘Sermon sur la montagne’, en Mt 5, 6 et 7). Que nous soyons tous ses filles et fils, donc frères et sœurs change radicalement les relations entre humains…
Les six antithèses, les six racines fonctionnent toutes selon le même mouvement : « Pas seulement le meurtre mais déjà les jugements diabolisant l’autre et les paroles de haine qui y conduisent. Pas seulement la finalité de la justice, juste œil contre œil, mais encore l’importance de choisir d’autres moyens que la violence. Non seulement un combat juste mais déjà les moyens d’une paix juste. Non seulement la vérité sur l’idéologie guerrière du voisin qui nous agresse mais déjà un regard d’amour de l’ennemi.
Hélas, les théologiens jusqu’au 20ème siècle ont compris que la joue tendue était un appel à ne pas résister, à renoncer à ses droits propres, à supporter patiemment l’injustice. Comme cette non-violence-là est socialement et politiquement impraticable, il est logique et sage de limiter sa portée et d’en dénier le caractère obligatoire et collectif. Cette constante interprétation a ainsi mis en place le schéma : « oui à la non-violence évangélique mais pas dans certains cas », mouvement très différent du « non seulement… mais déjà et encore… ». D’où les apories dans la conciliation entre un tel amour oblatif qui se sacrifie et une politique de la Cité réaliste.
Tout change si l’Évangile de la joue tendue invite à résister avec réalisme, lucidité et amour ! Alors, il peut inspirer une politique responsable. Ce fut l’objet de mon doctorat en théologie. Assurément, non seulement le laisser-faire est toxique, la passivité fait le lit des abus de pouvoir des ‘méchants’, sans scrupules, mais encore la résistance à l’oppression a intérêt à inventer des alternatives à la violence…