‘je’ & ‘tu’ s’engendrent mutuellement

« « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Deutéronome 6,6). Dans ce « comme toi-même », nous sommes à la recherche d’un droit à l’amour de nous-même ; c’est la première pulsion éthique. Je peux me percevoir moi-même comme une histoire de vie qui a de la valeur, qui mérite d’exister…

Le souci d’autrui, deuxième composante de l’exigence morale, est un point sans doute plus évident. Mais je ne peux vraiment le formuler que si j’ai droit au premier. Parce que, respecter autrui –  « traiter autrui comme une fin en soi, disait Kant, et non pas seulement comme un moyen » – c’est vouloir que ta liberté ait autant de place sous le soleil que la mienne. Je pense que toi aussi, comme moi, tu agis, tu penses, tu es capable d’initiative, de donner des raisons pour tes actes, de faire des projets à longue distance, de composer le récit de ta propre vie.

Par conséquent, le ‘je’ et le ‘tu’ s’engendrent mutuellement. Je ne pourrais pas tenir autrui pour une personne si je ne l’avais fait d’abord pour moi-même. L’estime de soi et le respect de l’autre se produisent réciproquement, et c’est là le premier socle de l’éthique » (Paul Ricoeur, L’éthique, la morale et la règle, dans Autres Temps, 1989, p. 54).