Le Souffle créateur

La cinquième lettre de l’alphabet hébreu est ‘ה’ (se prononce /hɛ/).
Dans la Bible, ‘ה’ correspond au Souffle créateur. Cette lettre se
trouve deux fois dans ‘יהוה’ (YHWH = le tétragramme par lequel
le texte biblique pointe vers Dieu). Le seul être humain qui a
l’honneur (la force de vie) de porter aussi ce double ה, c’est חַוָּה = Ève.
Son nom signifie « dispensatrice de vie ». C’est par elle que Dieu
engendre les humains et c’est elle qui a
la vocation de leur faire reconnaître Dieu.

En hébreu, Adam est le terreux (Adama = la terre). Le sens donc, c’est qu’Ève, la vie (porteuse doublement deה , le souffle divin), féconde Adam et ensemence Adama, la terre. À deux, ils sèment la vie sur la terre, premiers parents d’une multitude : « Fructifiez ! Multipliez ! Remplissez la terre et cultivez-la ! » (Genèse 1,28). En hébreu, on fait tout de suite le lien entre « semence humaine » et « semence agricole ». Tout est ensemencé sous l’effet du souffle divin…

Et c’est ce fameux ‘ה’ que Dieu ajoute aux noms d’Abram et Saraï.
« Désormais, ton nom ne sera plus Abram (Père éminent),
mais AbraHam (Père d’une multitude), car je ferai de toi
le père d’une multitude de peuples » (Genèse 17,5).
« Saraï, ta femme, tu ne l’appelleras plus du nom de Saraï
car son nom est SaraH » (Genèse 17,15).
Dans la Bible, Dieu crée en nommant. Sa parole est performative :
« Dieu dit : “Que la lumière soit !” Et la lumière fut » (Gn 1,3).
Et quand il change le nom de quelqu’un, cela signifie qu’il l’invite
à une nouvelle vocation. Saraï (= ma princesse ; point de vue
d’Abram) est reconnue dans son essence :שָׂרָה , SaraH
(= princesse / noble dame, sans l’adjectif possessif),
qui devient la mère, la reine d’une multitude de nations,
une fois en couple avec AbraHam.

L’ajout du ה , H dans leurs noms n’est pas mince : AbraHam et SaraH,
enrichis ensemble par ces deux H, disent que homme et femme
ensemble sont à l’image de יהוה / JHVH.

Le couple SaraH-AbraHam est appelé à une mission commune de
porter la vie, sans fusion : Dieu enseigne à Abram que « sa » princesse
est appelée à ne pas lui appartenir… Elle est pour tous et porteuse de
la Vie divine, dans l’Histoire du salut/recréation ; Dieu donne un ordre
à Abraham : « Écoute tout ce que Sarah te dira, car c’est par Isaac
qu’une descendance portera ton nom » (Gn 21,12). Dans la Bible,
l’homme n’est pas supérieur à la femme,
des entrailles de laquelle il est sorti !

Vivent toutes les Ève, Sarah et nobles dames / nobles d’âme !

Mes derniers voeux 2024

«  Il y a des choses invisibles
que l’œil de chair ne voit pas,
qu’on peut saisir par l’esprit et par le cœur.
Ce qu’il y a de plus beau dans la création artistique,
c’est justement cette part féminine, cette musique
qui n’en finit pas de chanter.
[…] En cet instant unique, entre ciel et terre,
sans autre témoin, ils sont tous les deux là.
[…] Tout est métamorphose ; il y a
merveille au sein de la désolation même »
(François Cheng, L’éternité n’est pas de trop).

Fin janvier = fin de la période des vœux.
Du coup, dans l’image, un petit dernier
alexandrin holorime en fin ‘je veux’.

Le véritable amour ne possède pas, il se donne

« Une personne amoureuse devient généreuse, aime faire des cadeaux, écrit des lettres et des poèmes. Elle cesse de ne penser qu’à elle-même pour se projeter entièrement vers l’autre, que c’est beau ! Et si vous demandez à une personne amoureuse : « pour quel motif tu aimes ? », elle ne trouvera pas de réponse : à bien des égards, son amour est inconditionnel, sans aucune raison. Patience si cet amour si puissant, est aussi un peu « naïf » : l’amoureux ne connaît pas « vraiment » le visage de l’autre, il a tendance à l’idéaliser, il est prêt à faire des promesses dont il ne saisit pas immédiatement le poids… Ce « jardin » où se multiplient ces merveilles n’est pourtant pas à l’abri du Mal : il est souillé par le démon de la luxure, et ce vice est particulièrement odieux, pour au moins deux raisons. 1) Il dévaste les relations entre les personnes. Combien de relations qui avaient commencé dans les meilleures conditions se sont transformées en relations toxiques, de possession de l’autre, de manque de respect et du sens de limite ? Ce sont des amours où ‘la chasteté’ a fait défaut : une vertu qu’il ne faut pas confondre avec ‘l’abstinence sexuelle’ – la chasteté est « plus » que l’abstinence sexuelle –, elle doit plutôt être reliée avec la volonté de ne jamais « posséder » l’autre. Aimer, c’est respecter l’autre, rechercher son bonheur, cultiver l’empathie pour ses sentiments, se disposer à la connaissance d’un corps, d’une psychologie et d’une âme qui ne sont pas les nôtres et qui doivent être contemplés pour la beauté qu’ils portent. Aimer c’est cela, et c’est beau l’amour. 2) De tous les plaisirs humains, la sexualité a une voix puissante. Elle met en jeu tous les sens, elle habite à la fois le corps et la psyché, et c’est très beau, mais si elle n’est pas disciplinée avec patience, si elle n’est pas inscrite dans une relation et dans une histoire où deux individus la transforment en danse amoureuse, elle se transforme en une chaîne qui prive l’homme de sa liberté. Nous devons défendre l’amour, l’amour du cœur, de l’esprit, du corps, l’amour pur dans le don de soi, l’un à l’autre. Et c’est cela la beauté de la relation sexuelle. Gagner la bataille contre la luxure, contre la « chosification » de l’autre, peut être l’affaire de toute une vie. Mais le prix de cette bataille est absolument le plus important de tous, car il s’agit de préserver cette beauté que Dieu a inscrite dans sa création lorsqu’il a imaginé l’amour entre l’homme et la femme, qui n’est pas pour s’utiliser l’un, l’autre, mais pour s’aimer. Cette beauté qui nous fait croire que construire une histoire ensemble vaut mieux que partir à l’aventure – il y a tant de Don Juan ! –, cultiver la tendresse vaut mieux que céder au démon de la possession – le véritable amour ne possède pas, il se donne –, servir vaut mieux que conquérir. Car s’il n’y a pas d’amour, la vie est une triste solitude. Merci » (Pape François, extraits de l’Audience Générale du 17 janvier 2024, sur Th 4, 3-5).

Mettre mon chapeau

Voici un point-clé de la formation de base que je propose.

Derrière toute parole sur l’autre,
il y a une parole de moi.
Derrière toute parole ‘tu’ qui tue,
il y a un besoin non satisfait qui mérite d’être accueilli en ‘je’.

Quand monte en moi une parole-poison dirigée vers l’autre,
il est crucial de vivre un U-turn, de revenir à moi,
de mettre mon chapeau (càd lâcher l’autre et diriger mon attention vers ce qui est atteint en moi pour en prendre soin)
de descendre de la tête au coeur jusqu’à mes tripes,
pour aller rencontrer ce qui ne vit pas en moi
et lui offrir une présence telle que finalement,
cela se remet à vibrer et à vivre en moi…
Il est essentiel de s’abstenir de partager à l’autre
tant que je suis plein du jugement ou reproche
qui m’empoisonne et qui, s’il est dit tout haut,
va empoisonner la relation (et l’autre s’il n’a pas
appris non plus la CNV)…

Je ne reviens à l’autre que quand il  y a de l’espace
en moi pour accueillir et m’intéresser à son monde,
du fait que je suis au clair avec le vécu qui
m’appartient (triste, déçu, etc.) relié
à mon manque (verre à moitié vide)
= mon besoin (verre à moitié plein),
ce qui compte pour moi, ce qui me motive
= mes intentions et fondements profonds,
ce qui me donne des élans de vie et de joie, et
que je pourrai partager sereinement, au bon moment.

Cf. Chomé Étienne, La méthode C-R-I-T-E-R-E pour mieux gérer nos conflits, Presses universitaires de Louvain P.U.L., 2009, p. 197 et sq.

La féérie enneigée

La neige est tombée, des heures durant, tissant un épais manteau blanc à Dame Nature, sans ratures. Il y eut un soir d’engendrement, il y eut un matin ensoleillé. Nous voici tendrement enveloppés par cette neige fraîche si différente du givre : transformée en cristaux légers, l’eau prend 15 fois plus de place ; elle s’éclate dans l’espace, comme des cheveux ébouriffés, à la fois figés et aérés, si tant est qu’ils sont si tentés d’échapper à la pesanteur.

La neige s’est posée délicatement sur chaque tige, chaque brindille, ainsi ennoblies. Et, dès que le soleil s’y réverbère, elle se transfigure en mille diamants qui brillent de mille feux. La lumière est alors partout si étonnamment forte ! Comme si le soleil aveuglant de se réfléchir autant sur la neige désirait, le temps de cette féérie, compenser le déficit de lumière de ces longues nuits d’hiver…

Merci à la Personne qui a pu allumer une telle lumière parmi nous !

Je me love en ma pénombre

« Il faut parfois toute une existence pour
parcourir le chemin qui mène de la peur et l’angoisse
au consentement à soi-même,… à l’adhésion à la vie.
[…] Les seuls chemins qui valent d’être empruntés
sont ceux qui mènent à l’intérieur. […]
Mon village est sous la neige. Depuis quelques jours,
la température oscille entre moins quinze et moins vingt.
Je suis seul. J’apprécie ces journées d’hiver où le dehors
me repousse, où rien ne vient s’opposer
à ce que je me love en ma pénombre »
(Charles Juliet, Dans la lumière des saisons, p. 66).

Quel plaisir de marcher dans la neige qui crisse !
Par le principe physique dit de l’absorption hygrométrique, la neige absorbe l’humidité et les bruits : les sons sont ouatés,comme étouffés et l’air est plus sec !
Par contre, quand la neige devient de la glace, c’est le contraire : les sons sont davantage propagés.

Cyclone et âmes marquées par ses côtés sauveurs et ses côtés destructeurs

Les îles de La Réunion et de Maurice sont en alerte cyclonique. Le premier cyclone de la saison qui oblige tout le monde à se calfeutrer a été nommé Belal. Il va probablement passer entre les deux îles (ou sur La Réunion) ce lundi tôt matin.

L’approche lente du cyclone crée une ambiance si spéciale, où se mêlent le meilleur et le pire, ce double creuset de nos récits passionnés. Il y a les intenses peurs des dégâts et un insoutenable suspense : serons-nous cette fois dans les sinistrés ? On se souvient, tous – même les jeunes qui n’ont qu’entendu les récits – des cyclones destructeurs, qui nous sont passés dessus, comme Carol en 1960, avec des vents à 256 km/h., comme Gervaise avec des vents à 280 km/h. en 1979, des vagues de plus de 10 mètres… Avec leurs maisons de tôles qui peuvent être soufflées, les pauvres ont le plus à craindre !

Les cyclones destructeurs nous terrifient. Et pourtant, nous prions pour avoir de bons cyclones : ceux dont les pluies torrentielles vont remplir nos réservoirs, sans nous détruire ! Notre île a vitalement besoin de ces pluies pour que nos réserves d’eau tiennent l’année… Ce besoin d’eau crée une religiosité naturelle dans les esprits et les âmes qui appellent la venue de cette Force de la nature, avec gratitude pour ses côtés bienfaisants, et qui, en même temps, supplient d’être protégés de ses côtés terrifiants et destructeurs…

Pour ma petite famille, qui y a vécu 6 saisons cycloniques, à part la peine des heures fastidieuses à visser des panneaux contre tous les châssis de fenêtres et à part les divers désagréments, du style une coupure d’électricité (au cyclone Dina, elle a duré plusieurs semaines dans la Cité Barkly – non prioritaire – où nous vivions), ce furent des moments extraordinaires que nous n’oublierons jamais : quels bons souvenirs pour nous, calfeutrés dans la maison en famille, tout excités à suivre les infiltrations d’eau et à prendre du temps ensemble, autour de la radio-infos et des jeux de société à la bougie…

Trombes d’eau : recevoir plus d’un mètre d’eau en un jour, ce que reçoit un endroit comme Paris en plus d’un an !

Des si déments, décidément

« Mais il n’y aura pas pour toujours des ténèbres sur ce pays envahi par l’angoisse… Le peuple qui vivait dans les ténèbres verra briller une grande lumière… » (Isaïe 8,23 ; 9,1).

« La Parole est faite chair et la lumière de Dieu vient briller dans les ténèbres de notre humanité » (Isaïe 9,5-6 ; Jean 1,1-5).

Passages bibliques cités par Augustin Nkundabashaka dans le Bulletin de Noël 2023 du M.I.R.-France (branche française du Mouvement International de la Réconciliation), qui présente le travail de plusieurs des personnes avec qui je collabore étroitement :

cf. le bulletin de Noël du M.I.R.

Étoile filante : faites un voeu

« Il y avait une fois un couple, un soir, en hiver, au coin de leur feu. Apparut une belle dame, qui leur dit : « Je suis une fée, je vous promets de vous accorder les trois premières choses que vous souhaiterez mais, prenez-y garde, après avoir souhaité ces trois choses, je ne vous accorderai plus rien. »

La fée ayant disparu, cet homme et cette femme furent très embarrassés. « Y a-t-il mieux que d’être riche ? », dit la femme. « Être en bonne santé », enchaîna le mari. La femme prit les pincettes et raccommoda le feu. Voyant les charbons encore bien allumés, elle dit sans trop réfléchir : « Voilà un bon feu ! je voudrais avoir une aune de boudin pour notre souper, nous pourrions le faire cuire bien aisément. » À peine eut-elle achevé ces paroles, qu’il tomba une aune de boudin par la cheminée. « Peste soit de la gourmande avec son boudin ! dit le mari ; ne voilà-t-il pas un beau souhait ! nous n’en avons plus que deux à faire. Pour moi, je suis si en colère, que je voudrais que tu eusses le boudin au bout du nez. » Dans le moment, l’homme s’aperçut qu’il était encore plus fou que la femme ; car, par ce second souhait, le boudin sauta au bout du nez de cette pauvre femme qui ne put jamais l’arracher. « Que je suis malheureuse ! s’écria-t-elle ; tu es un méchant, d’avoir souhaité ce boudin au bout de mon nez. — Je te jure, ma chère femme, que je n’y pensais pas, répondit le mari. Mais que ferons-nous ? Je vais souhaiter de grandes richesses, et je te ferai faire un étui d’or pour cacher ce boudin. — Gardez-vous-en bien, reprit la femme ; car je me tuerais s’il fallait vivre avec ce boudin à mon nez. Croyez-moi, il nous reste un souhait à faire, laissez-le-moi, ou je vais me jeter par la fenêtre. » En disant ces paroles, elle courut ouvrir la fenêtre, et son mari, qui l’aimait, lui cria : « Arrête, ma chère femme ! je te donne la permission de souhaiter tout ce que tu voudras. — Eh bien, dit la femme, je souhaite que le boudin tombe à terre. » À l’instant le boudin tomba, et la femme, qui avait de l’esprit, dit à son mari : « La fée s’est moquée de nous, et elle a eu raison. Peut-être aurions-nous été plus malheureux étant riches que nous ne le sommes à présent. Crois-moi, mon ami, ne souhaitons rien, et prenons les choses comme il plaira à Dieu de nous les envoyer. En attendant, soupons avec notre boudin, puisqu’il ne nous reste que cela de nos souhaits. » Le mari pensa que sa femme avait raison ; ils soupèrent gaiement, et ne s’embarrassèrent plus des choses qu’ils avaient eu dessein de souhaiter » (Conte des trois souhaits, par Jeanne Marie Leprince de Beaumont et Eugénie Foa, 1843 ; j’ai raccourci le début).