Rendez-vous réguliers et privilégiés de dialogue

La méthode C-R-I-T-E-R-E, première étape : le CADRE ; outil « Espace et moment de qualité »

Toute organisation sociale a besoin d’habitudes communicationnelles facilitant la démarche d’aller trouver l’autre lorsque ça coince. Sans un cadre incitatif, la marche d’escalier est trop haute pour bien des individus qui se dégonflent. Dans une famille / école / entreprise, l’autorité joue un rôle important dans la mise en place de ces lieux et ces moments où chacun réussira à dire ce qui doit l’être, aux différents niveaux du groupe (parfois seulement à deux, parfois à trois, parfois avec toute l’équipe ou en réunion de délégués d’équipes). La spontanéité ne suffit pas, ni les échanges informels, ni même un budget fêtes et détentes. Ce n’est pas lors du cocktail organisé par la direction, la coupe de champagne à la main, qu’un employé ira trouver le collègue avec qui il ferait bien de mettre à plat une difficulté relationnelle. Il a besoin d’un espace de parole prévu à cet effet dans l’emploi du temps. Cette structuration des espaces et des moments relève de la compétence du responsable. La règle d’or de la communication est qu’au sein de notre groupe, chacun puisse dire ce qu’il vit mal 1) à la bonne personne, 2) au bon endroit et 3) au bon moment + de la bonne manière. C’est un art qui ne s’improvise pas : éviter d’éviter au moyen de rendez-vous réguliers et privilégiés de dialogue. Le groupe trouvera alors les ressources pour s’auto-réguler et régler ses problèmes. On a moins peur de nos désaccords quand on est d’accord sur la procédure à suivre en cas de désaccord !

Extrait de mon livre La méthode C-R-I-T-E-R-E pour mieux gérer nos conflits, Presses universitaires de Louvain, 2009, p. 33.

Les effets du jugement

Quand quelqu’un nous blesse, notre réflexe est de regarder ce qui ne tourne pas rond chez lui et de le lui dire. En collant une étiquette sur son front, nous escomptons trois bénéfices :

a) Cela nous donne l’impression de situer le problème, de le circonscrire. Le diagnostic nous fait du bien, nous croyons savoir. Nous trouvons là une explication bon marché qui semble nous permettre de comprendre ce qui se passe.

b) Mettre une étiquette sur l’autre, le mettre en boîte nous soulage sur le coup de la tension interne.

c) C’est une manière de prendre le dessus sur l’autre.

Les jugements semblent efficaces, ils sont pourtant contreproductifs. Dire ce qui ne va pas chez l’autre, c’est provoquer chez lui une réaction de défense (se justifier) ou de contre-attaque (par exemple dire à son tour ce qui ne tourne pas rond chez nous). Celui qui dit « Tu n’arrêtes pas de me juger » se rend-il compte qu’il juge à son tour ? Juger quelqu’un pour qu’il cesse de nous juger, est tout aussi inefficace que frapper son enfant pour qu’il arrête de frapper.

Les jugements ont le pouvoir de provoquer ce qu’ils dénoncent ! Le parent qui répète à son enfant « Tu es désordonné » renforce chez lui ce comportement. Les jugements sont des prophéties qui s’accomplissent d’elles-mêmes, car celui qui juge les autres s’attend à les voir agir selon l’image qu’il se fait d’eux. Il ne voit chez eux que ce qui confirme son diagnostic : « Je le savais, ils sont bien comme ça ! J’avais raison. » Il a le pouvoir de rendre réel ce qu’il abhorre le plus car les personnes étiquetées se vengent spontanément — et en bonne part inconsciemment — en se conformant au jugement porté sur elles. Les enfants jugés délinquants se montreront délinquants !

Ce genre de prophétie auto-réalisatrice constitue un des principaux saboteurs de nos échanges, dans les deux sens : nous faisons entrer les autres dans les moules que nous fabriquons pour eux et nous nous laissons définir par eux. « Ne vous posez pas en juge afin de n’être pas jugé. Car c’est de la façon dont vous jugez qu’on vous jugera » (Mt 7, 1). Cette parole nomme les conséquences concrètes du jugement sur les autres : juger, c’est finalement être jugé. C’est un appel à la lucidité : ouvrez les yeux, le jugement est aussi malin que le crachat en l’air à la verticale !

Extrait de mon livre La méthode C-R-I-T-E-R-E pour mieux gérer nos conflits, Presses universitaires de Louvain, 2009, p. 193-194.

Une belle présence dans une juste distance

Elle a du bon, la robe à crinoline (élargie par des jupons à armature cerclée), elle offre un large périmètre de sécurité à la personne qui la porte, pendant le bal. Elle rend visible l’enjeu d’une juste distance, où chacun.e habite son propre espace et veille à ne pas empiéter sur l’espace de l’autre.

Cela me parle de prendre soin dans mon quotidien de ma propre parcelle : l’aligner par en haut et par en bas, la fleurir à gauche et à droite… Tout le reste vient en surcroît, y compris la prise et de conscience et l’accueil compréhensif de mes parts sauveuses qui, avec la meilleure intention du monde, ont tendance à prendre en charge des bouts de parcelle d’autrui, dans l’illusion de les servir. Il est bon de grandir en conscience sur mes élans généreux, de sentir quand ils viennent d’un endroit en moi non libre, chargé, tentant de combler un manque de présence, une peur de ne pas avoir ma place, une angoisse de rejet, une angoisse d’abandon.

Quand nous nous emmêlons à l’autre en conflit, il me semble utile d’avoir l’humilité d’imaginer porter des cerceaux, comme ces enfants au début de la pandémie, qui étaient ainsi aidés à visualiser la distance d’1,50 m. à respecter…

Tabou levé

Est-il tabou de toucher au mot tabou ? C’est en tous les cas un des rares mots qui signifient la même chose dans toutes les langues. What about tabou (anagrammes !) ? C’est un mot polynésien qui désigne les interdits sacrés. Le terme est parvenu à l’ensemble des humains via les carnets de voyage du capitaine Cook : sous l’influence des missionnaires chrétiens, la reine Elizabeth Kaahumanu a eu le courage, à la mort de son époux, en 1819, de lever le tabou interdisant les femmes de manger avec les hommes lors d’un banquet. Sa manière à elle d’honorer la mémoire de son époux sans laids poux !

Le couple, laboratoire de croissance

« Le couple est notre laboratoire de croissance le plus intense, le plus complet, le plus complexe, potentiellement le plus dangereux comme le plus fertile. Il y a des moments aveugles. On a besoin d’outils, on a besoin de guides. Je trouve extraordinaire que notre pulsion de vie, notre instinct, notre intuition, notre désir nous poussent à essayer cette paire de vie, à la chercher, à la faire durer, à travailler pour la construire. Après, il nous reste à devenir compétents » (Florentine d’Aulnois-Wang).

Ramenée à son essentiel, la vie de couple est somme toute très simple :
1) Avant le mariage, éprouver l’unité, secouer le cocotier, en vérifiant bien qu’il n’y a pas erreur de casting.
2) Une fois mariés, nourrir l’accord des cœurs (l’accorité est un des plus beaux mots que j’apprécie dans le vocabulaire du créole mauricien), prendre soin de nos cœur-à-cœur et âme-à-âme, accueillir nos parts dans tous leurs manques et étroitesses, jusqu’à ce qu’elles se laissent combler par l’Amour et qu’elles s’ordonnent à la vie et à l’avis de nos âmes…

C’est dans la relation que nous sommes blessés et guéris

« C’est dans la relation que nous naissons. C’est dans la relation que nous sommes blessés. Et c’est dans la relation que nous pouvons être guéris » (Harville Hendrix, fondateur d’Imago).

Ne laisse pas tes ombres me réduire à mes ombres,
laisse la compassion nous ouvrir à moins sombre.
Appelle-moi par mon vrai nom qui est tien É-tienne,
marié à Christ-in pour que l’Amour advienne
dans nos vases d’argile, dans notre foyer fragile.
Laisse l’Amour ouvrir les portes peu agiles
de nos cœurs endurcis, obscurcis par Pénombre.
Que Christ, troisième Larron, balaie ce qui encombre.

S’épouser, le travail de toute une vie

Le 6 mai 1988, assis adossé au mur extérieur de la chapelle de l’abbaye de Chimay, j’ai entendu en moi, après des mois de prière intense : « Ne crains pas de prendre Christine pour épouse, elle va t’apprendre à aimer, vraiment et jusqu’au bout » et j’ai quitté le Séminaire qui me préparait à devenir prêtre. Douze jours plus tard, pour la première fois, de nos cœurs embrasés, nos lèvres se sont embrassées. Derrière nos corps enlacés, nos inconscients se sont électriquement choisis, avec la vocation de nous libérer de nos réflexes archaïques limitants, ceux que chacun.e a adopté, tout petit.e, pour être ajusté.e à l’amour imparfait de ses parents.

Pour cette mission de redevenir pleinement nous-même, Christine, je ne pouvais pas trouver meilleure partenaire et tu ne pouvais pas trouver meilleur partenaire. Ces vieilles casseroles enfilées à nos pattes, quel mémorable chemin déjà parcouru pour les lâcher… S’épouser, ce n’est pas moins qu’une longue nouvelle naissance, le travail de toute une vie… Vive l’amour !

Le couple, un chemin initiatique

Le couple, ça fait parfois très mal mais ce n’est pas du masochisme ; ça nous fait souffrir pour nous guérir de nos blessures d’enfance, pour nous libérer des programmes de survie qui s’y rattachent. La vie de couple est un chemin initiatique, un long chemin de délivrance progressive, qui nous met en route vers la plénitude de la complétude : il ne s’agit pas moins de retrouver notre intégrité, l’intégralité de notre Essence créée, de savourer à nouveau nos nombreuses ressources et divers possibles.

Toi, mon épouse (avec qui mon nez-pousse, de temps en temps = de décennie en décennie), tu as l’art d’aller appuyer précisément là où ça fait mal en moi. Mes parts à la perspective étriquée te le reprochent mais moi, qui vois au-delà de l’immédiat, je te remercie. À vrai dire, quand j’ai eu le coup de foudre, le 21 septembre 1987, tout mon être t’a embauchée inconsciemment pour cela : pour le meilleur et pour le pire, tu réveilles mes blessures, tant qu’elles ne sont pas encore pleinement guéries. Tu me ramènes en vérité à moi-même, à mes ombres et au chemin encore à faire, aux conversions encore à vivre. Avec une redoutable justesse, tu es le témoin authentique de ce qui n’est pas encore réglé dans ma vie. Et moi aussi, comme je suis doué pour aller appuyer pile poil là où ça réagit en toi, mon amoureuse, pour t’inviter à ne pas en rester là, dans cet état d’âme-moureuse/mourante. Mon caca, que j’essaie désespérément d’enfuir, tu le mets sous mon nez, jusqu’à ce que je le sente, puis jusqu’à ce que je le digère et l’évacue de ma vie. Ce que tu essaies désespérément de fuir, je te le mets sous les yeux et dans les oreilles, tant que tu fais la sourde et l’aveugle. Je t’aime, je m’aime même ; tu m’aimes, tu t’aimes-thème ! Nous nous souhaitons le meilleur jusque dans le pire : nous nous voulons pleinement vivants !