Avec ma gueule, t’es pas tout seul

Quoi, ma gueule ?
Qu’est-ce qu’elle a ma gueule ?
Quelque chose qui ne va pas ?
Elle ne te revient pas ?
On n’va pas y passer la nuit
Ma gueule et moi on est d’sortie
On cherchait plutôt des amis
De galères en galères
Elle a fait toutes mes guerres
Chaque nuit blanche, chaque jour sombre
Chaque heure saignée y est ridée
Elle ne m’a pas lâché d’une ombre
Quand j’avais mal, même qu’elle a pleuré
Je m’en fous qu’elle soit belle
Au moins elle est fidèle…
(Ma gueule, chanson de Johnny Hallyday).

Vive le retour des hirondelles !

Qui donc filent à tire d’ailes,
Toujours fendant le ciel ?
Ce sont les hirondelles !

Le printemps les rappelle,
Chaque année plus fidèles,
Dans nos contrées si belles.

Elles y retrouvent, tels quels,
Leurs vieux nids qu’elles s’attellent
A restaurer nickel.

Avec science, elles emmêlent
Pailles sèches et vieilles ficelles,
Pendant leur lune de miel.

Bientôt, leurs becs mamelles
Vont répondre aux appels
Des nichées jouvencelles.

Tous leurs cris de crécelles
Cesseront quand leurs ailes
Découvriront le ciel.

Du coup, mâles et femelles,
Toute la journée, harcèlent
De pauvres insectes rebelles.

Leurs beaux ballets cruels
Sans cesse chassent, de plus belle,
Des becquées substantielles.

Mais, bien avant qu’il gèle,
Sur les fils parallèles,
Elles s’assemblent et s’appellent.

Car, dans ce rituel,
Elles préparent leur nouvel
Envol sempiternel.

Et cette heure solennelle,
Tristement, me révèle
La fin des journées belles.

Poème de Robert CASANOVA

Cultivons notre jardin

« Je sais aussi, dit Candide, qu’il faut cultiver notre jardin. Vous avez raison, dit Pangloss ; car, quand l’homme fut mis dans le jardin d’Éden, il y fut mis ut operaretur eum, pour qu’il travaillât. Toute la petite société entra dans ce louable dessein. Chacun se mit à exercer ses talents. Cultivons notre jardin » (finale de Voltaire, Candide, 1759). Voltaire invite à laisser là les principes métaphysiques du philosophe Pangloss qui mâche du brouillard et à mettre les mains dans la terre de notre parcelle, en améliorant ce qui est à notre portée…

Je pense à ce Sans-Domicile-Fixe qui trouve dans les ordures d’une maison cossue un panier vieilli. Il le vide, le nettoie et l’embellit. Puis, il le remplit de bonne terre et y sème diverses graines de fleurs multicolores. Une fois celles-ci écloses, il offre le panier à sa camarade de rue.

Silence-Présence, désert dessert

« Qu’est-ce qui nous amène au désert ? Et si une chance supplémentaire m’est donnée d’être davantage moi-même, d’entrer dans ma profondeur, dans cette profondeur où je peux rencontrer la part divine qui m’habite, au-dehors des identités apprises, au-dehors des identités quotidiennes, de ce que je suis dans la vie de chaque jour et qui est, au fond, si peu ce que je suis vraiment. Entrer dans cette profondeur… » (Christiane Singer).

Parfums de l’amitié

« Parfois nos cœurs ont besoin de se briser pour s’ouvrir en grand, de façon à être capable de contenir plus de vie.

Laisse ta chaude présence rappeler à ton ami sa propre présence chaleureuse, si stable, si dénuée de peur, si libre, si profondément enracinée, ici. Sache que ce que nous sommes vraiment ne peut être détruit, même par les énergies les plus intenses et ne peut être réparé, et que la vie ne peut pas faire d’erreurs même si la vie ressemble à une erreur.

L’amour est tout ce qui importe ici. La pluie tombe, les étoiles explosent dans le Silence quelque part, et ici sur cette minuscule planète que quelqu’un a appelé Terre, parfois nous nous rencontrons et nous nous tenons l’un l’autre »
(Jeff Foster).

Souplesse adaptative pas contre, plutôt avec

« La pratique du surf m’a appris à glisser sur la vague avec le plus de légèreté possible, en m’accommodant des événements plutôt qu’en essayant de les tordre. J’ai expérimenté que la résistance génère de la résistance et qu’il faut accepter la vague pour ne pas couler » (Priscille Déborah, la première Française bionique, surmontant l’amputation des 2 jambes et du bras droit en 2006, dans Une vie à inventer, p. 92, paru le 21/4/21).

Une belle présence dans une juste distance

« Se rencontrer, c’est apprécier la proximité à bonne distance. Pour être suffisamment proche de manière adéquate et aidante, il faut être suffisamment loin » (Jean Furtos, (D)oser la relation : entre « bonne distance » et juste présence, Congrès de l’Association Parole d’Enfants, 1 & 2 décembre 2014).

Membre de la grande famille, citoyen de la grande patrie

Dans l’accouchement de la démocratie, on commença par couper le cordon ombilical avec la tribu-Matrie (liens sacrés). Les humains devinrent alors les enfants de la cité-Patrie (Nation séculière). Puis, ils passèrent par l’acné juvénile du patriotisme nationaliste va-t’en-guerre. Puis, ils se mirent à étendre la patrie à l’ensemble du genre humain. Ce sont les Grecs qui ont coupé le cordon ombilical, avec leur idée que la démocratie passe par un dépassement de liens claniques et tribaux, lesquels nous enchaînent et nous empêchent de réussir la paix (Aristote, La Politique, Paris, Hermann Éditeur des Arts et des Lettres, Livre I, 1996, p. 1-27). Dans l’article La saine famille (Études, n° 418, février 2013, p. 161-172), Michel Serres montre comment, notamment par son option de célibat des clercs, l’Église catholique a bouleversé les fondements de la société traditionnelle, fondée sur les liens du sang, les tribus, les castes et les clans. Puis vinrent les pensées cosmopolites du XVIIIe siècle. « Chacun doit infiniment plus au genre humain, qui est la grande patrie, qu’à la patrie particulière dans laquelle il est né. […] La terre entière n’est qu’une seule patrie commune, où tous les hommes des divers peuples devraient vivre comme une seule famille. […] Toutes les guerres sont civiles, car c’est toujours l’homme qui répand son propre sang » (Fénelon, Dialogues des Morts). « Qu’est-ce que l’amour de la patrie ? Un composé d’amour-propre et de préjugés dont le bien de la société fait la plus grande des vertus.  Il est triste que souvent, pour être bon patriote, on soit l’ennemi du reste des hommes. […] Telle est donc la condition humaine, que souhaiter la grandeur de son pays, c’est souhaiter du mal à ses voisins. Celui qui voudrait que sa patrie ne fût jamais ni plus grande, ni plus petite, ni plus riche, ni plus pauvre, serait le citoyen de l’univers » (Voltaire). « Cette vertu supérieure à l’amour de la patrie, c’est l’amour de l’humanité » (Gabriel de Mably, toujours au XVIIIe siècle).  « Le patriotisme le plus parfait est celui qu’on possède quand on est si bien rempli des droits du genre humain qu’on les respecte vis-à-vis de tous les peuples du monde ».

La Deuxième Guerre mondiale provoqua une profonde bascule dans les esprits, rejetant le vers de Corneille, dans Horace : « Mourir pour le pays est un si digne sort, qu’on briguerait en foule une si belle mort. » « L’idée de patrie est liée à l’idée de guerre. Étant donné ce qu’est devenue la guerre dans le monde actuel, elle fait de la Patrie la force la plus immédiatement dangereuse qui circule au milieu de nous » (Andreu Pierre, Drieu témoin et visionnaire, Grasset, 1952, p. 160). Sur fond d’un antimilitarisme radical, les peuples européens rejetèrent alors des expressions comme le « peuple en armes » ou « la défense de la patrie ». 

Extrait de Chomé Étienne, Le nouveau paradigme de non-violence, p. 103.

Le bourbier militaire, une paix civile en l’air

Près de 20 ans d’intervention américaine en Afghanistan : plus de 160.000 Afghans tués, plus de 2.300 soldats US tués, plus de 1.000 milliards de dollars déboursés par l’État américain… Cf. Gilles Dorronsoro, Le gouvernement transnational de l’Afghanistan: Une si prévisible défaite.

Voici des prises de parole autorisées (que j’avais consignées dans Le nouveau paradigme de non-violence, p. 237) : Le 7 octobre 2001, en représailles aux attentats du 11 septembre 2001, « en attaquant l’Afghanistan pour en chasser les talibans, les experts du Pentagone estimaient que le conflit se terminerait au printemps 2002. On sait ce qu’il en est advenu » (Lemoine Maurice, Empire, stratèges et conflits, dans Le Monde diplomatique,  juin 2007, p. 28).

« En Afghanistan, deux ans après la « victoire », le pays est toujours aux mains des seigneurs de la guerre, inclus les Talibans ; la culture du pavot est florissante et les enrichit ; aucune région du pays n’est sécurisée; et le « terrorisme international » est toujours bien vivant. On ne l’éradiquera donc jamais en faisant la « guerre » » (Général d’armée Briquemont Francis, Irak – Afghanistan. La guerre asymétrique totale, dans La Libre Belgique, 5 septembre 2003).

Le 14 février 2003, un mois avant l’attaque américaine sur l’Irak, Dominique de Villepin prononce un discours à l’ONU pour dire l’opposition de la France : « L’option de la guerre peut apparaître a priori la plus rapide. Mais n’oublions pas qu’après avoir gagné la guerre, il faut construire la paix. » La France affirme alors que pour préserver l’unité de l’Irak, rétablir de manière durable la stabilité dans ce pays et cette région durement affectés par l’intrusion de la force, la stratégie la plus efficace est de concentrer toutes les pressions sur le désarmement efficace de l’Irak. « Au bout du compte, ce choix-là n’est-il pas le plus sûr et le plus rapide ? » Et dix ans plus tard, le 10 février 2013, alors que la France intervient militairement au Mali, de Villepin solda les échecs de la politique va-t-en-guerre des Américains et des Britanniques mais aussi des Français en Libye : « Tirons les leçons de la décennie des guerres perdues, en Afghanistan, en Irak, en Libye. Jamais ces guerres n’ont bâti un État  solide et démocratique. Au contraire, elles favorisent les séparatismes, les États faillis, la loi d’airain des milices armées. Jamais ces guerres n’ont permis de venir à bout de terroristes essaimant dans la région. Au contraire, elles légitiment les plus radicaux. Jamais ces guerres n’ont permis la paix régionale. Au contraire, l’intervention occidentale permet à chacun de se défausser de ses responsabilités. Pire encore, ces guerres sont un engrenage. Chacune crée les conditions de la suivante. Elles sont les batailles d’une seule et même guerre qui fait tache d’huile, de l’Irak vers la Libye et la Syrie, de la Libye vers le Mali en inondant le Sahara d’armes de contrebande » (de Villepin Dominique, Discours prononcé à l’ONU, 14 février 2003).

Voici le constat d’échec tiré par un autre général, Jean-René Bachelet : « La doctrine américaine d’intervention militaire est l’emploi préalable, massif et écrasant d’une puissance de feu destructrice, notamment aérienne. Mais les réponses des États-Unis d’Amérique, en situation de monopole hégémonique – au-delà de leur efficacité militaire de premier degré grâce à une écrasante supériorité, en particulier technologique –, sont tout aussi incapables de restaurer véritablement la paix, quand elles n’ajoutent pas au malheur des gens. L’Irak apparaît ainsi comme un cas d’école. On ne fait pas mieux en Afghanistan. À une moindre échelle, il en est de même du conflit israélo-palestinien » (Maîtriser la violence guerrière dans un monde globalisé, op. cit., p. 12).

« Vivant, Napoléon a manqué le monde. Mort, il le possède

Où est-il donc « le plus puissant souffle de vie qui jamais anima l’argile humaine » ? Cette formule est de Chateaubriand qui fit le meilleur résumé du destin de Napoléon Bonaparte : « Vivant, il a manqué le monde. Mort, il le conquiert, le possède ». Ce que développe Mathieu Schwartz dans son film Napoléon, la destinée et la mort. À Sainte-Hélène, « ce roc noir que le diable a chié entre deux voyages », sans évasion possible, « Napoléon tient à poser en martyr face à la postérité. Artiste de son destin, il a pressenti qu’en devenant une victime, on le verrait d’une façon différente. Pour que le despote se mue en victime, il lui faut un bourreau ; ce sera le gouverneur anglais Hudson Lowe. Napoléon n’avait pas envie d’avoir un geôlier compatissant ou clément. Il lui fallait un geôlier impitoyable qui s’en prenne à lui et restreigne ses libertés. Il va ainsi complètement inverser son image, en cherchant à créer l’image d’un Christ de l’époque moderne. Le 19e siècle en fait un nouveau Messie. L’homme qui croyait en son destin est devenu une légende ».

Voici des propos de Napoléon lui-même dans ses Mémoires à Sainte-Hélène :

« Si je fusse mort sur le trône, dans les nuages de la toute-puissance, je serais demeuré un problème pour bien des gens ; aujourd’hui, grâce au malheur, chaque heure me dépouille de ma peau de tyran. […] La Révolution a été la cause de la vraie régénération de nos mœurs, comme les plus sales fumiers provoquent la plus noble végétation. Dans une grande affaire, on est toujours forcé de donner quelque chose au hasard… Dans l’imagination comme dans le calcul, la force de l’inconnu est incommensurable. […] Je demande ma liberté ou un bourreau. Je me dois à ma gloire et, si je la sacrifie, je ne suis plus rien. Le pouvoir absolu n’a pas besoin de mentir ; il se tait. Le gouvernement responsable, obligé de parler, déguise et ment effrontément.

Le malheur a aussi ses bons côtés, il nous apprend des vérités… C’est seulement maintenant qu’il m’est donné d’examiner les choses en philosophe. […] Les grands hommes aiment la gloire de ceux qui leur ressemblent. L’infortune seule manquait à ma renommée ; j’ai porté la couronne impériale de la France, la couronne de fer de l’Italie ; et maintenant l’Angleterre m’en a donné une autre plus grande encore et plus glorieuse -celle portée par le sauveur du monde- une couronne d’épines. Mon grand talent c’est de voir clair. C’est la perpendiculaire plus courte que l’oblique. Il faut que je meure ici ou que la France vienne me chercher. Si Jésus Christ n’était pas mort sur la croix, il ne serait plus Dieu. »

En disant « Je m’offre en sacrifice à la haine des ennemis de la France. Je proclame mon fils sous le nom de Napoléon II, empereur des français » (22 juin 1815, au lendemain de la défaite de Waterloo), Napoléon inverse encore le sens authentique du sacrifice, lui qui a sacrifié des dizaines de milliers de vie sur les champs de bataille pour la gloire de son pays, qu’il confond avec sa propre gloire.