Les forces jugulant la violence sont d’une autre nature que celle-ci

Ma thèse de doctorat s’intéressa à l’émergence d’un nouveau paradigme : les forces efficientes à même de juguler durablement la violence destructrice sont d’une autre nature, d’un autre ordre que celle-ci. Ces forces non-violentes méritent, à ce titre, d’être qualifiées autrement que par la formule « violence légitime ». L’enjeu est bien plus profond que la terminologie. Il s’agit de connaître la nature de ces forces dites non-violentes et reconnaître leurs qualités, leurs caractéristiques, distinctes de la violence.

Parmi celles-ci, 1) les forces du droit, à même de mettre hors-la-loi les violences ; 2) les forces sociopolitiques, à même de gérer le conflit sans qu’il ne dérape en violence ; 3) les forces psychologiques et spirituelles, à même de créer une bonne relation entre les uns et les autres, par le respect de chacun.e dans sa dignité et dans sa vérité profonde.  

« Il faut s’arrêter, nous dit le général Jean-René Bachelet, à l’expression de « violence légitime« , introduite en son temps par Max Weber pour exprimer certaines capacités du pouvoir de l’État, dont les capacités militaires. Car j’ai l’outrecuidance de penser que l’expression, aujourd’hui curieusement admise sans discussion comme un lieu commun, doit être récusée, sauf à nous engager dans une impasse. En effet, la violence étant le plus communément définie comme « abus de la force », qui ne voit que l’idée de légitimité d’un abus comme prérogative d’État, outre qu’elle s’accommode mal du principe démocratique, porte en germe les déviances les plus funestes, au rang desquelles les « comportements barbares » que nous voulons précisément éradiquer ? De fait, la force que nous allons opposer à la violence, une force nécessaire dès lors qu’ont été épuisées toutes autres solutions face à l’inacceptable, ne saurait être elle-même violence, sauf à trahir les valeurs au nom desquelles son emploi est jugé nécessaire. Face à la violence déchaînée, la force est d’une nature différente » (Bachelet Jean-René, La formation des militaires à l’éthique dans le métier des armes, dans International Review of the Red Cross, n° 870, 2008, reprenant l’adresse qu’il prononça à l’ouverture de la Rencontre internationale sur le rôle des sanctions dans le renforcement du respect du droit international humanitaire, tenue à Genève, du 15 au 17 novembre 2007. Il a été général d’Armée ER et Inspecteur général des Forces Armées de la France.

ET autorité ferme ET compréhension empathique . . . NI autoritarisme NI laisser faire

Donald Trump menace d’envoyer l’armée pour « dominer les rues ».

Réaction de manifestants : « Il veut nous dominer mais il ne pourra jamais nous dominer. »

Le projet de dominer quelqu’un (exercer un pouvoir sur une personne) entraîne des coûts, tombe dans des pièges, mène à des impasses. La méthode C-R-I-T-E-R-E apprend l’attitude juste qui articule les projets de 1) comprendre en profondeur les personnes dans la rue (pouvoir d’être avec elles) ET 2) garantir la justice (pouvoir pour le respect du bien commun).

Quitter le faux dilemme entre faucons et colombes. Éliminer tout geste, toute parole de type « pouvoir sur/sous l’autre » et déployer les pouvoirs « pour » et « avec »…

La méthode C-R-I-T-E-R-E, deuxième étape ; outil : ET autorité ferme sur le respect des règles ET compréhension empathique quant au respect des personnes NI autoritarisme NI laisser faire.

Cf. CHOMÉ Étienne, Le nouveau paradigme de non-violence, p. 149 sq. & La méthode C-R-I-T-E-R-E pour mieux gérer nos conflits, Presses Universitaires de Louvain PUL, p. 50 sq.

Trouver l’initiative gorgée de vie plutôt qu’alimenter le jeu de pouvoir par une contre-violence

Hommage à cet arbre résilient :

Danser avec ma progéniture,
en paix avec mon voisin
alors même qu’il me triture,
et me taille au gré de ses besoins.

La sagesse 1) de ne pas contrer ton pouvoir dans le même registre (ce que tu exploiteras en justifiant ton pouvoir dans un soi-disant droit de légitime violence), mais plutôt 2) de déployer des initiatives gorgées de vie, dans un tout autre registre que le jeu de pouvoir et la contre-violence…

Exemples :

Mon âme qui cohabite en moi avec ma part contrôle, qui agit parfois en tyran et qui est alors convaincue d’agir pour le bien des autres membres de ma famille intérieure

La vie qui rebondit partout dans la nature, malgré les obstacles sur le chemin, et qui trouve de nouveaux chemins de vie, montrant qu’elle est plus originelle que la mort

À l’échelle collective : le Tibet, voisin de la grande Chine…

Cf. pour approfondir la méthode D-I-A-P-O-S, qui est la suite sociopolitique de la méthode C-R-I-T-E-R-E. Après avoir appris à gérer mes conflits intérieurs et mes conflits interpersonnels, comment je peux contribuer efficacement à faire tomber les injustices sociétales ? Voir Publications de fond > Sociopolitique > Article « Réussir une mobilisation collective ».

Non au monopole de la violence légitime

Voici un schéma traditionnel que le nouveau paradigme de non-violence met en cause : « La violence, c’est le rôle de la police, par définition. Pour protéger la paix, il faut le monopole de la violence légitime. Le débat porte sur la proportionnalité  » (Pierre-Henri Tavoillot, auteur de « Traité nouveau d’art politique, Comment gouverner un peuple roi? », parlant des violences policières sur le plateau de Yann Barthes, émission « Quotidien » du 4 juin 2020).

Voici comment Jean-René Bachelet, le général d’armée, s’y prend pour dépasser ce schéma du passé : « Il faut s’arrêter à l’expression de « violence légitime », introduite en son temps par Max Weber pour exprimer certaines capacités du pouvoir de l’État, dont les capacités militaires. Car j’ai l’outrecuidance de penser que l’expression, aujourd’hui curieusement admise sans discussion comme un lieu commun, doit être récusée, sauf à nous engager dans une impasse. En effet, la violence étant le plus communément définie comme « abus de la force », qui ne voit que l’idée de légitimité d’un abus comme prérogative d’État, outre qu’elle s’accommode mal du principe démocratique, porte en germe les déviances les plus funestes, au rang desquelles les « comportements barbares » que nous voulons précisément éradiquer ? De fait, la force que nous allons opposer à la violence, une force nécessaire dès lors qu’ont été épuisées toutes autres solutions face à l’inacceptable, ne saurait être elle-même violence, sauf à trahir les valeurs au nom desquelles son emploi est jugé nécessaire. Face à la violence déchaînée, la force est d’une nature différente » (Bachelet Jean-René, La formation des militaires à l’éthique dans le métier des armes, dans International Review of the Red Cross, n° 870, 2008, reprenant l’adresse qu’il prononça à l’ouverture de la Rencontre internationale sur le rôle des sanctions dans le renforcement du respect du droit international humanitaire, tenue à Genève, du 15 au 17 novembre 2007). Il a été général d’Armée ER et Inspecteur général des Forces Armées de la France.

Sacré quand « ça-crée » des liens !

Ci-dessous mon post de dimanche dernier, qui a dérangé certains par son côté sacrilège. Ce qui me donne l’occasion d’une précision théologique / tes-hauts-logiques. Avant la révolution de la Révélation en Jésus-Christ, le sacré signifie « séparé », mis à part (du profane). Avec lui, je pense que la religion vit une inversion, dont je vais résumer un des aspects par le slogan : sacré quand « ça-crée » des liens !
(Je ne développe pas ici. Cf. mon chapitre de thèse de doctorat sur René Girard qui voit dans le christianisme le dépassement crucial, vital, définitif de la violence.)

2 jours après mon post, la tunisienne Emna Charki, 27 ans, est condamnée à 6 mois de prison pour atteinte au sacré. Elle avait relayé durant le confinement un post humoristique sur FB appelant à se laver les mains, tout en reprenant la rythmique coranique. Le Procureur a jugé cela sacrilège…

Qui est sacrilège, profanateur ? Celui qui crée des liens, avec la créativité humoristique qui lui a été donnée par le Créateur dans sa bonté divine, ou celui qui lance une fatwa de mort sur les blasphémateurs ?

« Ce n’est pas à l’habit qu’on reconnaît le moine mais à l’observation de la règle et à la perfection de sa vie. Il faut ainsi faire la distinction entre l’être et le paraître » (dixit le pape Grégoire IX en 1233, il y a 800 ans, citant Saint-Jérôme, 800 ans auparavant ; et je vous donne rendez-vous dans 800 ans, pour la suite !). Rira bien qui… ?
À chacun de finir la phrase…
Moi, je propose : rira bien qui aura converti sa violente possession de la vérité en amour non-violent, à même de rencontrer son frère, sa sœur, dans son humanité, au point de connecter ses intentions positives en amont de ses apparences culturelles et religieuses… C’est lui / elle, à mon sens, qui rira le premier et le dernier !
Je pense au rire de Julia Roberts dans Pretty Woman, quand le coffret à bijoux lui retombe sur les doigts. Ce rire qui n’était pas du tout prévu dans le scénario, a jailli spontanément de son coeur, au coeur duquel vit une âme d’enfant confiant et libre par rapport aux étiquettes (elle est en bonne relation avec Richard Gere et libre par rapport à son personnage de prostituée). C’est cela le trésor, la Bonne Nouvelle contenue dans « Abba » Papounet. حب الله Allah mohaba / Dieu-Amour.
Ce n’est pas par laxisme ou démission que j’accepte les caricatures sur la religion de mes contemporains. Ce n’est pas pour moi d’abord un signe de décadence civilisationnelle. C’est une occasion d’accueillir comment la Bonne nouvelle percole dans les âmes : même sacrés cons, nous sommes con-sacrés, l’homme est sacré, au point que la religion (ce qui relie à Dieu) interdit toute fatwa de mort et tout passage à l’acte violent ! Voilà un aspect du « nouveau paradigme de non-violence » (cf. mon livre qui porte ce titre + ma thèse, tous deux disponibles à l’onglet « Publications de fond »).

Où est notre mobilisation collective pour diminuer nos injustices structurelles / « structures de péché » ?

Au téléphone, une de mes connaissances partageait sa souffrance de vieillir. Je l’ai accueillie avec empathie là où elle se situait (oui, c’est rude, la décrépitude!). À la fin de l’échange, elle pouvait à nouveau célébrer la Vie bel et bien là, généreusement, en elle.

Peu après ce coup de téléphone, moi, j’étais avec le fait que vieillir est un privilège que n’ont pas ceux qui meurent de faim : plusieurs milliers de morts chaque jour, dont une majorité d’enfants, plusieurs millions chaque année, plusieurs dizaines de millions chaque décennie. Où est-il notre état d’urgence pour les 800 millions de personnes menacées par le manque de nourriture et d’eau potable ?

Sur cette planète, les inégalités consolidées en injustices fauchent chaque jour bien plus de vies humaines que le coronavirus… Face à celui-ci, notre Première Ministre belge disait ce 27/3/20 qu’il semblerait que quelques-uns ne comprennent pas ou font mine de ne pas comprendre la gravité de la situation.  Tout en respectant scrupuleusement les mesures de mobilisation collective, j’exerce mon droit de pensée critique et de recadrage à partir de la vue d’ensemble : où est notre mobilisation collective et notre état d’urgence pour le fléau de nos injustices structurelles, de nos « structures de péché » (Jean-Paul II, Sollicitudo rei socialis, 1985, § 36), qui tue des milliers de fois plus que le coronavirus chaque minute qui passe ?

Crise = danger d’éviter le conflit, en restant sourds et aveugles ou danger de mal gérer & opportunité de bien gérer le conflit

La méthode C-R-I-T-E-R-E, première étape : bien gérer le conflit, plutôt que subir nos conflits mal gérés ou évités

Le mot chinois « crise » conjugue les mots « wei » (danger) et « ji » (opportunité de changement), pour signifier un point de basculement, un moment décisif : le rôle de la crise est de rendre encore plus obvie la nécessité de faire les bons changements, qui demandent du courage car il s’agit de renoncer à des choses auxquelles on s’est habitué. Les sirènes d’alarme du conflit s’arrêtent quand on a investi dans les opportunités de paix, au point que le danger est passé, sans nous faire tomber dans les violences de la guerre. C’est alors que nous pouvons célébrer d’avoir bien géré la crise, d’avoir échappé à un conflit qui dégénère en guerre. Cf. Étienne Chomé, La méthode C-R-I-T-E-R-E pour mieux gérer nos conflits, Presses Universitaires de Louvain, 2009, p. 39.

Les paraboles et le langage de changement : déconstruire et reconstruire

« La plupart attrapent une opinion comme on attrape la rougeole, par contagion » (Jules Payot, La faillite de l’enseignement, 1937).

« L’école de Palo Alto, dont Paul Watzlawick est la figure de proue, s’est intéressée aux paraboles évangéliques car elles contiennent toutes les caractéristiques du « langage de changement ». Elles opèrent un « re-cadrage », c’est-à-dire qu’elles ne se contentent pas de modifier des éléments à l’intérieur d’un système laissé intact mais elles réussissent à changer le système de référence lui-même. Le langage de changement cherche à faire bouger, à l’opposé du langage didactique qui relève en linguistique du langage de renforcement (celui-ci cherche à expliquer, à expliciter, à clarifier les tenants et les aboutissants d’une problématique).

[…] Jésus réalise un double mouvement 1) de déconstruction (il ébranle le schéma de pur/impur) et en même temps 2) de reconstruction (il lui substitue celui de pécheur pardonné/pécheur sauvé). Geert Hallback applique le concept de Jacques Derrida aux paraboles : elles ne sont pas destructives mais plutôt « déconstructives », elles dé-construisent et re-construisent tout à la fois. Une parabole fonctionne comme un métier à tisser à double navette : l’une dénoue les fils pendant que l’autre en noue d’autres.

[…] Au cœur du jeu parabolique, s’exerce un ressort en 3 temps : 1) la parabole détend d’abord et comprend son destinataire ; 2) puis, elle tend ailleurs et le surprend par un coup de théâtre, un renversement de situation ; 3) enfin, elle lui tend la perche en lui lançant un « prends position » ! Nous avons à chaque fois examiné comment la parabole, par ce jeu de recadrage, constitue un langage de changement d’une redoutable performativité pour appeler à un comportement nouveau.

[…] La parabole fonctionne comme une opération de sauvetage de quelqu’un qui est tombé dans un trou. 1) Elle commence par lui tendre la main. 2) Une fois qu’elle le tient bien, elle le tire vers le haut pour l’en sortir. 3) Enfin, elle lui demande de tenir debout par lui-même. Hélas, au moment où la parabole cherche à le sortir du trou, il arrive qu’il lâche la main et retombe au fond du trou. Il va alors comprendre la parabole à l’envers, lui faire dire son contraire. Incapable de voir le ressort de la parabole dans le deuxième mouvement, il va la réduire dans le mouvement premier. Il se convainc que la parabole légitime la conduite qu’en réalité, elle conteste. C’est le risque pris par l’art parabolique qui commence par entrer dans la perspective de son destinataire. Nous avons montré à chaque fois comment la parabole prend soin d’aménager d’abord un terrain d’entente, une plate-forme commune, en obtenant son assentiment sur un point, lequel sert alors de levier pour tenter de surmonter le dissentiment » (ChomÉ Étienne, Le jeu parabolique de Jésus, une étonnante stratégie non-violente, Éditions Lumen Vitae, Collection Connaître la Bible, n° 57, 2009, p. 28-29 & p. 74).

Du tend qui détend au prends position via comprend qui surprend ! 

La paix universelle : unis vers elle.

« Le loup et l’agneau brouteront ensemble, le lion, comme le bœuf, mangera du fourrage. Quant au serpent, la poussière sera sa nourriture. Il ne se fera ni mal ni destruction sur toute ma montagne sainte, dit יהוה» (Is 65,25).

Fin des carnivores dans la vision biblique ?

L’exégète André Wenin montre les liens que fait le livre de la Genèse entre alimentation carnée et violence et entre végétarisme à non-violence. Cf. notamment son livre « Pas seulement de pain : violence et alliance dans la Bible« .