Voici un poème qui use et abuse de l’imparfait du subjonctif :
« Oui, dès l’instant que je vous vis, Beauté féroce, vous me plûtes ; De l’amour qu’en vos yeux je pris, Sur-le-champ vous vous aperçûtes ; Mais de quel air froid vous reçûtes Tous les soins que pour vous je pris ! Combien de soupirs je rendis ! De quelle cruauté vous fûtes ! Et quel profond dédain vous eûtes Pour les vœux que je vous offris ! En vain je priai, je gémis : Dans votre dureté vous sûtes Mépriser tout ce que je fis. Même un jour je vous écrivis Un billet tendre que vous lûtes, Et je ne sais comment vous pûtes De sang-froid voir ce que j’y mis. Ah ! fallait-il que je vous visse, Fallait-il que vous me plussiez, Qu’ingénument je vous le disse, Qu’avec orgueil vous vous tussiez ! Fallait-il que je vous aimasse, Que vous me désespérassiez, Et qu’en vain je m’opiniâtrasse, Et que je vous idolâtrasse Pour que vous m’assassinassiez ! » (Alphonse Allais, Complainte amoureuse).
NB : Alphonse Allais est l’expert des vers holorimes :
Yannis Ritsos, Notre pays : « Nous sommes allés sur la colline pour voir notre pays : quelques pauvres terrains, des pierres, des oliviers, des vignes qui descendent le long de la mer. Près de la charrue, fume un petit feu. Les habits du grand-père, nous en avons fait un épouvantail pour les corneilles. Nos journées s’en vont leur chemin pour un peu de pain et beaucoup de lumière. Sous les peupliers, brille un chapeau de paille, l’oiseau sur la clôture, la vache dans le jaune. Comment se fait-il que d’une main de pierre nous ayons pu aménager nos maisons, notre vie ? Sur les chambranles de nos portes, il y a encore la fumée des cierges de Pâques, de toutes petites croix noires tracées, d’année en année, par les morts qui venaient de fêter la Résurrection. On l’aime beaucoup, ce pays, avec patience, avec fierté. Toutes les nuits, du puits asséché, les statues sortent avec précaution et montent sur les arbres. »
Dans un mouvement de religiosité spontanée, les êtres humains produisent de la religion : ils font divers sacrifices aux dieux pour que ceux-ci les protègent, leur donnent sécurité, santé, richesses, prospérité, etc.
Dans la Révélation biblique, c’est l’inverse : Dieu vient toucher le cœur et la conscience d’une personne pour l’appeler à cheminer ensemble et à vivre une aventure à ses côtés. Le Dieu biblique n’offre pas la tranquillité, Il met la personne en route, Il lui envoie un Souffle qui gonfle généreusement ses voiles mais qui peut gonfler ses boules car les appels divins à la mission font éclater ses sécurités et ses conforts… au point que bien des personnes ferment leurs oreilles, yeux, cœur ; au point que des prophètes dans la Bible fuient Dieu (cf. Jonas envoyé à Ninive et qui n’en veut pas).
Nos projections de religiosité spontanée : je fais des sacrifices pour que Dieu fasse attention et me donne des faveurs. Les injections de l’Esprit (Révélation en cours) : j’accepte de me sacrifier parce que Dieu me comble de son amour et m’envoie en mission ! Mais parfois, Il me les gonfle : à me prier de perdre ma vie ainsi…
« Ce qui me permet de suivre aujourd’hui Jésus comme un Maître, c’est précisément qu’il ne promet pas l’évitement du risque. C’est ce crédit qu’il accorde au réel, sa plongée inconditionnelle dans la complexité du monde et de l’âme humaine, sans tenter de nous y soustraire, de la résoudre ou de la contourner. Voilà les seules paroles qui puissent me toucher, me rejoindre. Vivre la paix d’une bénédiction originelle pour ne pas céder aux tranquillités qui nous privent de la grâce de savoir être dérangés » (Marion Muller-Colard, L’intranquillité).
« Fâchée avec mon Dieu imaginaire qui avait rompu sans préavis mon contrat inconscient de protection, je manquais de secours spirituel. Je ne trouvais pas de prière qui puisse être autre chose qu’une immense contradiction, une négociation régressive avec la peau morte d’un Dieu qui ne tenait pas.
Pourtant, lorsque je caressais, du bout des doigts, le visage bleu et enflé de cet enfant presque étranger, dans le roulis devenu rassurant de l’oxygène qui lui parvenait machinalement, j’étais parfois saisie par une sérénité démente. Il arrive que l’impuissance ouvre sur des paysages singuliers.
La détresse m’avait dilatée et, en quelque sorte, elle avait élargi ma surface d’échange avec la vie. Et près de ce petit corps, se superposait à ma supplication muette pour qu’il vive, la conviction profonde que, ‘quoi qu’il arrive’, ce qui était incroyable et sublime, c’était qu’il fût né. Et que cela, jamais, ne pourrait être retiré à quiconque. Ni à lui, ni à moi, ni au monde, ni à l’histoire.
Je mis du temps à comprendre que cette clairvoyance fulgurante était peut-être la première véritable prière de ma vie.
[…] En dépit des relents de superstition qui me saisissent parfois, en dépit de mon petit négoce intérieur qui n’en finira jamais tout à fait de marchander avec un Dieu imaginaire, j’ai entrevu un Autre Dieu qui ne se porte pas garant de ma sécurité, mais de la pugnacité du vivant à laquelle il m’invite à participer. » (Marion Muller-Colard, L’autre Dieu).
Histoire juive : deux personnes en litige plaident leur cause devant le rabbi. Après que le premier ait parlé, le rabbi lui dit : « Tu as raison ». Après que le deuxième se soit exprimé, le rabbi lui dit aussi: «Tu as raison». Un des élèves du Rabbi s’exclame : « Rabbi, il n’est pas possible que les deux aient raison ». Alors le rabbi, après un moment de réflexion : « C’est vrai, toi aussi, tu as raison ».
Distinguer soigneusement la vérité subjective des personnes où chacune a raison, sans que l’autre ait tort, de la vérité objective de la situation (que personne n’a le droit à s’approprier, que seul le groupe peut définir de manière juste). La vérité subjective des personnes évolue sur la planète de la communication vraie, sincère, authentique, où chacun.e a ses raisons, goûts, perceptions, vécus, valeurs propres…
« Pour atteindre la vraie profondeur, il faut suivre des sentiers pleins de méandres, longer des bosquets riches de secrets. Il y a encore par-delà les feuillages, l’humble étang avec des libellules qui l’effleurent, des fleurs de lotus qui l’abritent. Sauras-tu t’asseoir près de cet étang, prêter l’oreille à ce qui y murmure, prêter le coeur à ce qui y palpite ? » (François Cheng, L’éternité n’est pas de trop).
Pour rendre compte du mal-être lié aux « effets cumulatifs des changements climatiques et environnementaux sur la santé mentale, émotionnelle et spirituelle », Glenn Albrecht a forgé le terme de solastalgie (du latin ’solacium’ / ‘réconfort’ et du grec ‘algie’ / ‘douleur’) : la douleur de perdre son lieu de réconfort, la nostalgie de son habitat naturel en mutation, territoire de vie en pleine dégradation. On ne reconnaît plus le paysage où l’on a grandi, on est dépossédé de son environnement. On ne reconnaît plus son « chez soi » en plein changement et on en souffre ; c’est le « mal du pays sans exil » (Baptiste Morizot).
« Quand vous écrivez une phrase, vous ne la réussissez pas au premier jet. Il s’agit alors de la reprendre jusqu’à ce qu’elle passe de quelque chose de mécanique à quelque chose d’organique » (Christophe Claro).
« Déjà essayé. Déjà échoué. Peu importe. Essaie encore. Échoue encore, échoue mieux » (Samuel Beckett, Cap au pire, 1991).
À l’école et à l’unif, jusqu’à 21 ans, j’ai été un matheux à 100 %, ma famille regorgeant d’ingénieurs. Progressivement, de décennie en décennie, je découvre les joies de la poésie !…