Quand quelqu’un nous blesse, notre réflexe est de regarder ce qui ne tourne pas rond chez lui et de le lui dire. En collant une étiquette sur son front, nous escomptons trois bénéfices :
a) Cela nous donne l’impression de situer le problème, de le circonscrire. Le diagnostic nous fait du bien, nous croyons savoir. Nous trouvons là une explication bon marché qui semble nous permettre de comprendre ce qui se passe.
b) Mettre une étiquette sur l’autre, le mettre en boîte nous soulage sur le coup de la tension interne.
c) C’est une manière de prendre le dessus sur l’autre.
Les jugements semblent efficaces, ils sont pourtant contreproductifs. Dire ce qui ne va pas chez l’autre, c’est provoquer chez lui une réaction de défense (se justifier) ou de contre-attaque (par exemple dire à son tour ce qui ne tourne pas rond chez nous). Celui qui dit « Tu n’arrêtes pas de me juger » se rend-il compte qu’il juge à son tour ? Juger quelqu’un pour qu’il cesse de nous juger, est tout aussi inefficace que frapper son enfant pour qu’il arrête de frapper.
Les jugements ont le pouvoir de provoquer ce qu’ils dénoncent ! Le parent qui répète à son enfant « Tu es désordonné » renforce chez lui ce comportement. Les jugements sont des prophéties qui s’accomplissent d’elles-mêmes, car celui qui juge les autres s’attend à les voir agir selon l’image qu’il se fait d’eux. Il ne voit chez eux que ce qui confirme son diagnostic : « Je le savais, ils sont bien comme ça ! J’avais raison. » Il a le pouvoir de rendre réel ce qu’il abhorre le plus car les personnes étiquetées se vengent spontanément — et en bonne part inconsciemment — en se conformant au jugement porté sur elles. Les enfants jugés délinquants se montreront délinquants !
Ce genre de prophétie auto-réalisatrice constitue un des principaux saboteurs de nos échanges, dans les deux sens : nous faisons entrer les autres dans les moules que nous fabriquons pour eux et nous nous laissons définir par eux. « Ne vous posez pas en juge afin de n’être pas jugé. Car c’est de la façon dont vous jugez qu’on vous jugera » (Mt 7, 1). Cette parole nomme les conséquences concrètes du jugement sur les autres : juger, c’est finalement être jugé. C’est un appel à la lucidité : ouvrez les yeux, le jugement est aussi malin que le crachat en l’air à la verticale !
Extrait de mon livre La méthode C-R-I-T-E-R-E pour mieux gérer nos conflits, Presses universitaires de Louvain, 2009, p. 193-194.