Du 20 au 23 octobre 2022, j’ai pris part à la Conférence internationale de Church and Peace à Crikvenica (en Croatie), qui a réuni plus de 100 participant.e.s d’une vingtaine de pays : l’occasion d’apprendre des artisan.e.s de la paix de la région des pays des Balkans de l’Ouest et de l’Europe du Sud-Est. Tous et toutes, chrétien.ne.s et musulman.e.s, ont l’expérience de l’action non-violente pendant la guerre ainsi que dans le travail de réconciliation de l’après-guerre, qui est encore nécessaire 25 ans plus tard pour empêcher une nouvelle guerre : « Si vous regardez la guerre à partir du début, la résistance militaire semble plausible, cela semble une solution possible. Si vous la regardez à partir de la fin, la « solution militaire » est un désastre. Nous avons vraiment l’expérience de ce que signifie la guerre. Dans une guerre, il n’y a jamais de « gagnants » ».
La conférence a souligné que la guerre en Ukraine ne peut pas servir de preuve pour l’inefficacité de la non-violence, car une politique cohérente de sécurité occidentale réellement non-violente n’a pas encore été développée.
La Bible rapporte que Noé a envoyé la colombe et qu’elle n’est revenue que la deuxième fois avec un rameau d’olivier, signe de l’espoir d’un nouveau départ. La colombe n’apporte pas encore de rameau d’olivier ! Nous espérons, prions et ne nous laissons pas décourager en mettant notre confiance dans le Dieu de paix.
Ce sont là des morceaux choisis extraits du communiqué de presse, disponible en entier ici :
https://www.church-and-peace.org/wp-content/uploads/2022/10/PM-Conference-26102022.pdf
J’ajoute que le Pouvoir allemand ne cesse d’augmenter son budget militaire. Les prochaines années, ce pays compte investir plus de 2 % de son PIB dans sa défense. Il a créé un fonds spécial d’un montant de 100 milliards d’euros pour équiper davantage son armée. De nombreuses Forces vives de la société civile plaident pour que 10 % de ces augmentations de budget aille aux formations dans lesquelles les citoyens apprennent comment une défense civile non-violente, basée sur la non-coopération du plus grand nombre, peut être d’une efficacité redoutable.
Voici le lien pour accéder à un livre numérisé, écrit début des années 70, sur la pertinence de la défense civile non-violente. Son argumentaire est solide, les pieds bien sur terre, avec notamment plusieurs exemples historiques de résistance non-violente efficace pendant l’occupation nazie en Europe, début des années 40 :
https://fr.wikibooks.org/wiki/Arm%C3%A9e_ou_d%C3%A9fense_civile_non-violente_%3F.
Extraits : Le Major Stephen King-Hall, officier supérieur anglais, préconise dans son livre « Defence in the nuclear age »[25] la renonciation à l’armement nucléaire et la création d’un système de défense fondé sur la non-violence.
En 1964, Alastair Buchan, directeur de l’institut des Études Stratégiques de Londres, écrivait : « Puisque les stratégies directes classiques pour protéger l’intégrité des nations perdent de leur réalité avec le développement d’armes capables de détruire des civilisations, et puisque les vieilles stratégies défensives sont devenues complètement démodées, à cause des découvertes techniques, il est essentiel que nous accordions une attention de plus en plus grande aux stratégies indirectes pour préserver nos sociétés de la domination ou de l’autorité étrangère ».
« Il est possible en effet, que ce soit dans des concepts comme celui de la défense non-violente que réside la clé de la sauvegarde de la société, dans un monde qui contient tellement de formes explosives de puissance que les armes vont devenir trop dangereuses pour être employées »[26].
Il faut lire également (voir annexe en fin de volume) la déclaration du stratège britannique Sir Basil Liddell Hart, sur la défense civile non-violente.
Le gouvernement suédois, d’autre part, a demandé à Adam Roberts, une étude très détaillée sur ce sujet. En Norvège enfin, les objecteurs de conscience sont officiellement initiés à la théorie et à la pratique de la défense non-violente.
L’heure est venue où les responsables politiques et les citoyens français doivent enfin prendre en considération ce mode de défense.
…
Pendant l’occupation militaire.
Une fois les troupes stabilisées, commencerait la deuxième phase de la résistance qui comporterait elle-même deux aspects : l’un défensif, l’autre offensif.
L’entraînement à la défense non-violente consisterait notamment, nous y reviendrons, à provoquer dans la population une prise de conscience très approfondie de ce qui doit être défendu.
La défense non-violente porte non pas, nous l’avons vu, sur des frontières territoriales, mais sur des frontières morales et politiques ; il s’agit de défendre la vie de la population et ses droits fondamentaux : droit à la liberté de parole et de réunion, droit de presse, de vote, de grève, mode de vie, croyances.
La tactique défensive consisterait donc à interdire à l’envahisseur toute atteinte aux droits de l’homme et à défendre pied à pied les libertés publiques. Un système de liaison et de transmission rapide devrait être organisé d’avance, de telle façon que la moindre atteinte aux droits de l’homme, la moindre arrestation soient immédiatement suivies de manifestations adaptées aux circonstances et destinées à informer à la fois l’ensemble de la population et les agents de la répression.
Une précision importante : ce système de liaison devrait être décentralisé au maximum de façon à interdire à l’envahisseur de le prendre en main (multiplication des émetteurs de radio, des imprimeries, des machines à polycopier, au fonctionnement desquels le plus grand nombre possible de gens devrait être initié).
Cette information, autant que faire se peut, s’effectuerait au grand jour, et le droit à l’information est de ceux qu’il faudrait défendre avec le plus d’intransigeance. Néanmoins, si les circonstances l’exigeaient, le recours à ces moyens d’information pourrait devenir clandestin (on sait l’importance des émetteurs clandestins durant la résistance tchécoslovaque et des « Samizdat », textes polycopiés circulant sous le manteau en U.R.S.S.).
Une population habituée à ne pas tolérer les atteintes aux droits des personnes et à réagir immédiatement, devient, pour un envahisseur ou un pouvoir dictatorial, un mur sur lequel sa violence se brise.
Le pire dictateur, en effet, quel que soit son mépris pour les droits de l’homme, ne peut, nous l’avons vu, se passer de la collaboration d’une bonne part de la population. Dès que cette collaboration lui manque, sa puissance est compromise et il est faux de dire qu’il peut tout se permettre.
Le pouvoir hitlérien était l’un des moins soucieux des droits de l’homme que l’histoire ait connu. Or, à plusieurs reprises, sur des points précis, ce pouvoir s’est brisé sur le refus d’obéissance de personnes ou de peuples désarmés qui lui refusaient leur collaboration. Et Hitler a dû reculer.
[Exemples1Debut]
Ainsi, le 1er septembre 1939, Hitler ordonne de tuer sur le territoire allemand tous les aliénés et les incurables. Ces exécutions se poursuivent jusqu’en 1941, malgré les diverses protestations émises en privé par certains évêques. Le 3 août 1941, Mgr Galen, évêque de Munster, décide de dénoncer publiquement ces meurtres. Son sermon, prononcé à l’église Saint-Lambert de Munster est distribué dans toute l’Allemagne et sur le front parmi les soldats. Plusieurs officiels proposent de faire supprimer Mgr Galen et Bormann acquiesce, mais Goebbels est d’un avis contraire : « Si quoi que ce soit était tenté contre l’évêque, il serait à craindre que la population de Munster ne doive être considérée comme perdue pour toute la durée de la guerre et que soit perdue à coup sûr la Westphalie tout entière ». Peu après le sermon, le programme d’euthanasie est officiellement arrêté et ne sera jamais repris[28].
En mars 1941, une conférence d’experts nazis décide la dissolution forcée des mariages inter-raciaux : le conjoint juif sera déporté. En février 1943, lors de la déportation des derniers Juifs allemands, la Gestapo s’empare de plusieurs milliers de chrétiens d’origine juive. Le 17 février à Berlin, la Gestapo en arrête environ 6.000. Mais alors se produit une chose inattendue : les épouses aryennes suivent leurs maris jusqu’au lieu de détention provisoire et les réclament pendant des heures en hurlant : le secret du mécanisme de destruction étant menacé, la Gestapo cède et les israélites mariés à des chrétiennes sont relâchés[29].
Au Danemark, le refus de collaboration du peuple danois et de son roi, s’il ne put empêcher la persécution contre les Juifs, la retarda considérablement et en limita les conséquences. Dès que les Allemands ordonnèrent aux Juifs de porter l’étoile jaune, le roi Christian X poussa les Danois à se solidariser avec les Juifs. Lorsque la menace se précisa, les Danois aidèrent les familles menacées à fuir en Suède. Grâce à la non-coopération de ce peuple désarmé, le génocide nazi fut beaucoup moins ressenti au Danemark que dans les autres pays occupés. Sur plus de 7.800 Juifs danois, écrit Hannah Arendt, la police allemande ne put arrêter que 477 personnes. L’effet de la résistance non-violente sur les responsables nazis les amena à demander eux-mêmes que les Juifs danois soient envoyés dans un ghetto relativement privilégié : celui de Theresienstadt en Tchécoslovaquie. Or, là encore, les Juifs danois « jouissaient plus que tout autre groupe, de privilèges spéciaux parce que les institutions et des particuliers danois ne cessaient de s’enquérir de leur sort ». Quarante-huit d’entre eux moururent chiffre relativement bas étant donné l’âge moyen de ce groupe. Lors de son procès, Eichmann opina, après avoir mûrement réfléchi, que, « pour différentes raisons, les opérations projetées à l’endroit des Juifs du Danemark avaient échoué ».
Il enregistra un échec semblable en Bulgarie où la population et les autorités prirent ouvertement le parti des Juifs. Dans ce pays, raconte Hannah Arendt, le résultat fut encore plus spectaculaire : malgré les efforts des nazis, aucun Juif ne fut déporté, aucun ne mourut de cause autre que naturelle.
En Norvège, enfin, s’est déroulée une des plus remarquables actions de résistance non-violente pour sauver une institution fondamentale : l’école.
En février 1942, alors que la Norvège est occupée depuis près de deux ans, Vidkun Quisling, homme de confiance des nazis, devient chef du gouvernement. Il décide de fonder un État corporatif qui aurait eu pour base le corps enseignant et un mouvement de jeunesse semblable aux jeunesses hitlériennes. Tous les enseignants doivent devenir membres d’un nouveau syndicat dirigé par la Hird, Gestapo norvégienne.
Le 20 février, à la demande des leaders de la résistance, de 8 à 10.000 professeurs sur 11.000 envoient une lettre par laquelle ils refusent d’adhérer à cette nouvelle organisation des enseignants. Quatre jours plus tard, les évêques, par solidarité, démissionnent de leurs fonctions officielles et 150 professeurs d’Université protestent contre le nouveau mouvement de jeunesse.
La répression s’abat alors : 1.300 professeurs sont arrêtés et déportés dans un camp de concentration, à 200 kilomètres au nord d’Oslo ; quelques semaines plus tard, la moitié d’entre eux est envoyée à l’extrême nord de la Norvège, à 400 kilomètres au-delà du cercle polaire arctique. Mais, pendant ce temps, un réseau de solidarité soutient leurs familles, et les professeurs demeurés en liberté continuent à refuser d’adhérer à l’organisation créée par le gouvernement.
Finalement, au bout de huit mois, Quisling, sur l’ordre d’Hitler, s’avoue battu et libère les professeurs déportés : « Vous les professeurs vous avez tout ruiné pour moi », devait-il reconnaître.
[Exemples1Fin]
Ces quatre exemples de résistance non-violente face au système le plus dictatorial que l’Europe ait jamais connu, montrent que cette forme de défense donne aux populations un réel pouvoir face aux adversaires les plus décidés. Et pourtant, dans ces quatre cas, la résistance non-violente a été improvisée, la population n’y ayant été nullement préparée. Si un peuple consacrait à la préparation de la résistance non-violente le dixième des efforts et des ressources que l’on réserve à la défense militaire, il serait, presque sans aucun doute, beaucoup mieux défendu que par un système de défense armée[30].
Le stratège britannique Sir Basil Liddell Hart rapporte d’ailleurs à ce sujet le témoignage de généraux allemands qu’il a eu l’occasion d’interroger après la deuxième guerre mondiale : « Leur témoignage, écrit-il, tendait à montrer que les formes de résistance violente n’avaient été efficaces au point de leur causer des difficultés que dans les régions désertiques ou montagneuses, comme en Russie ou dans les Balkans. Leur témoignage montrait aussi l’efficacité de la résistance non-violente… Il apparaissait encore plus clairement qu’ils avaient été incapables d’y faire face, ils étaient des experts de la violence entraînés à affronter des adversaires qui utiliseraient la violence. Devant d’autres formes de résistance, ils s’étaient trouvés déconcertés, d’autant plus que les méthodes employées gardaient un caractère subtil et caché. Ils étaient soulagés en voyant la résistance devenir violente »[31].
Ajoutons qu’en cas d’extrême péril (tentative de déportation massive par exemple) la défense non-violente n’interdirait pas de recourir à des actes de sabotage non meurtrier, réalisés de telle façon qu’ils paralysent les moyens de transport sans donner aux soldats d’occupation le sentiment d’une menace contre leur personne.
La tactique non-violente, toutefois, n’est pas seulement défensive. Elle comporte aussi un aspect offensif.
La stratégie défensive militaire, qui consiste à répondre par la violence armée aux troupes d’invasion, renforce par l’instinct de conservation qu’elle exacerbe en elles, la chaîne hiérarchique qui unit ces troupes à leur gouvernement. Elle cimente, en quelque sorte l’union entre l’armée et l’État agresseur et également entre l’armée, l’État et la population du pays agresseur. Ainsi, les bombardements de villes ouvertes provoquent une terreur qui, loin de couper la population de son gouvernement, l’en rapproche. Elle voit alors en lui sa seule protection.
La tactique non-violente, au contraire, consiste à affaiblir la liaison entre l’État agresseur et les individus qui composent son armée en privant cette liaison du ciment de la peur, il s’agit de faire prendre conscience aux militaires de l’État adverse qu’ils ne courent aucun risque en tant que personnes, qu’il ne leur sera fait aucun mal, mais qu’on leur opposera systématiquement le plus ferme des refus d’obéissance toutes les fois qu’ils agiront en tant qu’agents de l’État qui les envoie.
Cette attitude a un véritable pouvoir corrosif. La population envahie devient, pour le moral des troupes, un bain d’acide dans lequel aucun gouvernement ne peut se permettre de faire tremper plus longtemps son armée de peur d’ennuis sérieux au moment du retour des soldats dans leur pays.
[Exemples2Debut]
Ainsi, lors de l’invasion de la Tchécoslovaquie, les États du pacte de Varsovie ont dû rapatrier des troupes complètement démoralisées par la résistance non-violente à laquelle elles s’étaient heurtées.
Mais c’est au Danemark que les effets de la résistance non-violente sur les Allemands eux-mêmes furent les plus stupéfiants. En août 1943, Himmler décide de s’attaquer au « problème juif » dont la solution attendait, selon lui, depuis longtemps. Mais, écrit Hannah Arendt, « ce qu’il n’avait pas prévu, c’est que les responsables allemands qui habitaient le Danemark depuis des années n’étaient plus les mêmes ! Le général Von Hannecker, chef militaire de la région, refusa de mettre ses troupes à la disposition du plénipotentiaire du Reich, le Dr Werner Best ; à plusieurs reprises les unités spéciales de S.S. affectées au Danemark, les Einsatz Kommando, protestèrent contre les « ordres des agences centrales » selon le témoignage de Best à Nuremberg. Quant à Best lui-même, on ne pouvait plus lui faire confiance, encore qu’à Berlin on ne sut jamais à quel point il était devenu « irresponsable ». Le service d’Eichmann expédia au Danemark un de ses meilleurs hommes, Rolf Günther, que personne ne pouvait accuser de manquer de « dureté sans pitié », Günther ne fit aucune impression sur ses collègues de Copenhague. Et voici que Hannecker refusait même de décréter que les Juifs pointent lorsqu’ils allaient au travail ! Best se rendit à Berlin et obtint la promesse que tous les Juifs du Danemark, quelle que fut leur catégorie, seraient déportés à Theresienstadt[32].
Du point de vue nazi, c’était là une concession de taille.
L’on décida que les Juifs seraient capturés et aussitôt évacués dans la nuit du 1er octobre. Dans le port les bateaux étaient prêts. Comme on ne pouvait compter ni sur les Danois, ni sur les Juifs, ni sur les troupes allemandes affectées au Danemark, il fallut importer des unités de police d’Allemagne pour procéder à la recherche des Juifs, maison par maison.
Au dernier moment Best informe ces policiers qu’ils n’avaient pas le droit de défoncer les portes, parce que la police danoise pourrait alors intervenir. Or les deux polices ne devaient pas s’affronter. Les policiers allemands ne pouvaient donc capturer que les Juifs qui les laissaient entrer de plein gré. Sur un total de plus de 7.800 Juifs, la police allemande trouva très exactement 477 personnes chez elles et prêtes à ouvrir leur porte.
C’est que quelques jours avant la date fatidique, un agent de transport allemand Georg F. Duckwitz, probablement renseigné par Best lui-même, avait révélé tous les projets allemands à des fonctionnaires danois (…) Politiquement et psychologiquement l’aspect le plus intéressant de cet incident est le comportement des autorités allemandes affectées au Danemark, il est évident qu’elles ont saboté les ordres de Berlin.
[Exemples2Fin]
Autant que nous le sachions, poursuit Hannah Arendt, c’est l’unique occasion qu’eurent les nazis d’apprécier la résistance déclarée des populations autochtones. Et il semble que ceux des nazis qui l’ont constatée aient simplement changé d’avis ; qu’eux-mêmes en soient venus à croire que l’extermination d’un peuple entier n’allait pas de soi. Rencontrant une résistance de principe, leur « dureté » fondit comme beurre au soleil et certains nazis eurent même quelques velléités de courage authentique »[33].
Or, là encore, la résistance non-violente était improvisée par des populations qui n’y étaient nullement préparées.
On peut légitimement penser qu’un peuple aguerri à la pratique de la non-violence constituerait un danger redoutable pour le moral d’une armée d’invasion, il serait en tout cas très risqué d’ordonner à celle-ci une répression féroce.
Mais le but de l’action non-violente est précisément d’obliger l’adversaire soit à réprimer, soit à laisser faire. S’il laisse faire, il se ridiculise et paraît faire preuve de faiblesse. S’il veut réprimer, il se heurte à une population déterminée dans sa désobéissance et devra avoir recours à un nombre important de militaires et de policiers dont le contrôle idéologique sera d’autant plus difficile qu’ils seront en contact constant avec une population amicale, toujours prête au dialogue en même temps que fermement déterminée dans son refus d’obéissance.
En somme, la population doit garder l’initiative et obliger l’adversaire à employer la menace tout en le rendant incapable de la mettre en pratique.
S’il est vrai que l’action non-violente exige parfois de l’héroïsme, il serait faux d’en conclure qu’elle n’est pratiquement accessible qu’à une minorité.
Il existe, en effet, divers degrés dans la lutte non-violente. Certaines formes d’action ne peuvent efficacement être employées que par des groupes entraînés à aller jusqu’au bout. Ce sont les actions d’intervention ou de non-coopération qui supposent une confrontation directe avec l’adversaire ou qui comportent un risque sérieux pour ceux qui les exécutent (sit-in, obstruction. grève de la faim, contrôle ouvrier, sabotages non meurtriers qui peuvent être associés à la résistance non-violente dans les cas d’extrême péril).
Mais l’action non-violente comporte toute une gamme d’actions très efficaces et dont certaines sont en grande partie anonymes.
Ainsi le « hartal », journée de grève générale où toute la population est invitée à déserter les lieux de travail, les rues, les lieux de distraction, et à rester chez elle ; le renvoi de titres et de décorations, geste essentiellement symbolique ; le boycott, par lequel le pouvoir d’achat des consommateurs devient un véritable pouvoir social qui s’oppose au pouvoir de l’adversaire ; le refus collectif, total ou partiel, de l’impôt.
Sont également accessibles à tous, bien des formes de protestation civile dont le caractère est en général symbolique, mais qui ont pour effet d’entretenir la volonté de résistance de la population. Ainsi, les Norvégiens, au début de l’occupation allemande, exprimaient leur union contre l’occupant au moyen d’insignes qu’ils portaient jusqu’au moment où le gouvernement s’apercevait de leur signification. Les occupants se sont trouvés alors contraints de sévir contre le port d’agrafes à papier à la boutonnière. Cette répression les ridiculisait et renforçait la cohésion de la population.
Le risque majeur, dans une résistance de ce type, serait la provocation : attentats (ou pseudo-attentats) commis contre les troupes d’invasion ou contre la population, pour provoquer une révolte violente de celle-ci qui permettrait ensuite une répression impitoyable. Mais la résistance à la provocation fait partie des rudiments de la discipline non-violente.
Pour un citoyen initié à la non-violence, un attentat contre les troupes adverses est un acte de trahison qui pourrait être suivi de manifestations de deuil pour confirmer, dans l’esprit des soldats, le sentiment qu’ils ne sont nullement détestés en tant qu’hommes.
De même toute violence exercée sur la population serait suivie de manifestations de masse et surtout chacun devrait être bien conscient que même si la résistance non-violente devait coûter des vies humaines, ce qui ne peut être exclu, toute forme de résistance violente en coûterait bien davantage.
Certes une telle forme de résistance ne peut, ainsi d’ailleurs que la résistance militaire, être assurée d’un succès immédiat. Mais on voit mal comment elle pourrait avoir des résultats aussi catastrophiques que la défense armée. Les conséquences de l’échec apparent de la résistance non-violente en Tchécoslovaquie n’ont rien de comparable avec celles qu’auraient eues une résistance armée. Il ne s’agissait pourtant que d’une résistance improvisée. Or, dans ce pays, la suppression physique des adversaires du néo-stalinisme n’a pu avoir lieu ; la population est toujours hostile aux occupants, et il n’y a guère de doute que le « Printemps de Prague » refleurira un jour. Quant au colosse soviétique, il a été profondément ébranlé, la résistance des intellectuels est devenue plus vive malgré la répression, et le soutien des partis communistes des pays étrangers est devenu beaucoup moins inconditionnel.
De plus, comme le reconnaît Michel Tatu dans « Le Monde » (27 août 1973) « la forme de résistance non violente adoptée spontanément par la population aurait pu se prolonger beaucoup plus longtemps et conduire à une situation bien différente, si les dirigeants n’y avaient pas mis fin volontairement par une politique de collaboration synonyme de capitulation ». Si les six jours de résistance non-violente en Tchécoslovaquie ont suffi à mettre en difficulté l’État soviétique, on peut imaginer l’efficacité que pourrait avoir une résistance non-violente dûment préparée pendant des années, par une population maîtresse d’elle-même et consciente de ce qu’elle veut défendre.