Bartolomé de Las Casas était parti chercher fortune à Hispaniola (l’actuel Haïti) en 1502. Comme tout colon, il avait reçu une parcelle de terres (« repartimiento ») avec le droit d’utiliser le travail d’un groupe d' »Indiens » pour exploiter ces terres. Il se montrait bon colon traitant ces indigènes avec humanité. Il était désireux d’être bon avec eux et il soutenait les œuvres caritatives telles que la création d’écoles et d’hôpitaux mais, pendant 12 ans, il a été incapable de voir la violence dans la domination exercée sur les colonisés qui étaient spoliés de leurs terres et réduits à de la main d’œuvre en esclavage. Il resta longtemps insensible à l’iniquité du système d’exploitation en place, malgré les appels de quelques prêtres (comme le dominicain Antonio de Montesinos dont le sermon le dernier dimanche de l’Avent 1511 avait fait des remous jusqu’à la Couronne espagnole).
Il fallut l’intervention de l’Esprit pour que les écailles tombent de ses yeux. Il raconte que cette conversion radicale arriva à un moment précis, alors qu’il préparait un sermon pour la Pentecôte de 1514 (il fut retourné par ce verset biblique : « celui qui offre le sacrifice tiré de la substance des pauvres, agit comme s’il sacrifiait un fils en présence de son père » (Ecclésiastique 34,24)). Il réalisa que « tout ce qui se commet aux Indes vis-à-vis des Indiens est injuste et tyrannique ». Il renonça aussitôt à son repartimiento et comprit qu’aimer son prochain, c’est aussi refuser d’être complice des injustices structurelles. Il mobilisa alors toutes ses meilleures forces pour une réforme profonde des structures.
Pour approfondir, lire le bel article que je reprends ici :
de Marie-Alice Tihon qui vient de nous quitter ce 1/1/2025. Il fut publié dans la revue Lumen Vitae (1988, n°3, p. 285-294). Elle souligne que l’Évangile ne peut résonner que lorsque une liberté s’adresse à une autre liberté : « La conversion de Las Casas fut de passer d’une mentalité de propriétaire de l’Évangile au regard d’espérance de Dieu, qui fait confiance au monde et qui se livre à lui. Frère Bartolomé a fait confiance en ce peuple d’Amérique ; il l’a reconnu comme lieu où Dieu se révèle et il l’a passionnément aimé ».