L’épée va-t-elle sans cesse dévorer ? Ne sais–tu pas que cela finira tristement ? (2 Sam 2,26)
« Que signifie la non-violence pour nous, chrétien.ne.s, au milieu des guerres et de l’escalade des conflits qui nous interpellent aujourd’hui ? » a demandé Antje Heider-Rottwilm, présidente de Church and Peace, lors de l’ouverture de la conférence européenne de Church and Peace qui s’est tenue à Bruxelles du 24 au 27 octobre 2024. « Face à la brutalité de la violence militaire et à la misère des personnes touchées par la violence, nous ne pouvons aborder le sujet qu’avec humilité. Nous le faisons en écoutant les personnes qui souffrent de la violence et celles qui tentent d’y résister. Nous le faisons en nous tournant vers Dieu avec des lamentations, en plaidant pour la fin de la violence et en aspirant à la paix. » « Priez pour nous, les habitants de la région des Grands Lacs. Depuis plus de 30 ans, les conflits armés ont coûté la vie à plus de 15 millions de personnes, et 7 millions de personnes déplacées vivent dans la seule région de l’est du Congo. Et faites campagne pour que vous, en Europe, cessiez d’exploiter nos pays en tant que fournisseurs de matières premières », a demandé un participant originaire du Rwanda qui vit actuellement en France en tant que réfugié politique. Plus de 120 personnes venues de 16 pays européens et de 5 pays africains se sont réunies pour explorer le thème « Résister à la guerre aujourd’hui – préparer des alternatives collectives non-violentes ». « Pour la première fois, je me suis sentie écoutée et soutenue en tant qu’Européenne de l’Est ; c’était un espace sûr pour moi », a déclaré une participante de Lituanie.
La Bible nous enseigne que la lumière de la Vérité et de l’Amour l’emporte sur les Forces du Mal à la manière de l’aube : un doux lever de jour dissipant les ténèbres, sans combat, sans fracas, sans bruit, humblement ET en même temps irrésistiblement, dans la force tranquille de la bonne puissance. Cela nous est raconté dans le tout dernier livre de la Bible. Cf. mon article : L’Apocalypse révèle la radicale asymétrie de fins et de moyens entre le Dieu de Jésus-Christ et le Prince de ce monde. Extrait :
« La « der des der » des guerres ressemblera à l’implosion d’un château de cartes. Le dernier Livre de la Bible, l’Apocalypse de Saint Jean, évoque à la fin des temps la bataille d’Armageddon. Spontanément, nos imaginaires s’attendent à ce que cette bataille finale entre les Forces du Bien et du Mal soit grandiose, à la hauteur des récits mythologiques les plus sanglants. Le septième art l’a mis en spectacle, les effets spéciaux des films les plus récents en accroissent l’horreur. Pourtant, le texte biblique raconte sobrement un non-combat : « Les esprits de démons les rassemblèrent à Armageddon. Du temple, sortit une voix forte venant du trône : c’en est fait ! La grande cité se brisa en 3 parties et les cités des nations s’écroulèrent » (Ap 16,16-19). La voix forte signale la venue de Dieu, devant laquelle tout ce qui n’a pas valeur d’éternité s’écroule comme un château de cartes, fragile intérieurement. Il implose à partir de son ventre creux, de son inanité. En voici le commentaire de Wilbert Kreiss : « Étrange ! On assiste à une mobilisation générale et on s’attend à un affrontement terrible, une guerre proprement apocalyptique, et il ne se passe rien ! Il n’y a pas de combat. Il n’y a pas de guerre eschatologique entre le Christ entouré de ses anges et les hordes infernales mobilisées par Satan. Il n’y a jamais eu et il n’y aura jamais de bataille sur la montagne de Megiddo. La bataille d’Armageddon, violon d’Ingres des millénaristes, n’est pas un événement, mais un non-événement, et c’est bien la raison pour laquelle elle n’est pas racontée dans le texte. Pas plus que n’est raconté le simulacre de guerre évoqué dans Apocalypse 20,7-10 qui n’est qu’une farce. »
Dans les chapitres qui précèdent cette drôle de guerre, la Lettre johannique nous avait plongé dans un effroyable déchaînement de violences, avec son cortège de souffrances et d’oppressions. Mais leur rage frénétique, mimée jusqu’à son paroxysme, est l’annonce même de leur imminente autodestruction, à la manière d’un feu qui meurt d’inanition. Ne trouvant plus rien à brûler, il s’épuise au bout de sa course folle. À la fin des temps, le Mal ne trouvera plus le répondant dont il a besoin pour survivre. Tout le temps de l’Histoire, il a réussi à enflammer les cœurs et les esprits, qui ont alimenté son brasier infernal. Il a séduit le monde, il a dévoyé également des Forces de l’Église, les entraînant dans cette course qui mène à sa perte. Dans la même veine apocalyptique, le livre de Daniel avait aussi prévenu de cette fureur liée à la fin du monde, de ces ultimes soubresauts d’une bête qui meurt après avoir craché son venin. Après les gesticulations de son dernier baroud d’honneur, le mal ne pourra plus atteindre son but, qui est de générer du mal. Il se retrouvera seul, dans la prison qu’il s’est construite.
[… Le prince des ténèbres et ses émissaires ne peuvent rien donner, sinon des choses reçues de leur Créateur, dévoyées. Satan voudrait tant qu’on le prenne pour le Sauveur du monde mais il est le loup déguisé en grand-mère du petit Chaperon rouge… L’Apocalypse nous met en garde en révélant l’inconsistance et la malfaisance de son anti-projet de dé-création. Ses œuvres sont singerie et duperie. C’est du toc. Il sera telle une bête qui meurt après avoir craché son venin. »
« Le courage n’est pas une vertu mais une qualité commune aux scélérats et aux grands hommes » (Voltaire).
« Avoir du cœur n’est pas la même chose qu’avoir du courage ! On peut avoir du courage, c’est-à-dire affronter les dangers, même la mort, et avoir peu de cœur. On peut avoir beaucoup de cœur, comme de ressentir vivement une offense, et ne pas avoir le courage d’en exiger réparation » (Benoît Champy).
En temps de paix, il semble facile de déclarer que nous prônons la non-violence. Mais en temps de guerre ? C’est alors que nos convictions, notre foi, nos attitudes et notre capacité à agir sont mises à l’épreuve.
La guerre en Ukraine, sur le sol européen, comme les guerres dans tant d’autres endroits du globe, nous interpelle. D’un autre côté, le siècle dernier nous a apporté des expériences et une connaissance approfondie de la résistance non-violente. Et la résistance non-violente est également inventée et pratiquée jour après jour par des personnes confrontées à la guerre.
Venez rencontrer deux militants expérimentés !
Le panel et la discussion se tiendront en français et en anglais. Traduction en anglais, allemand et français disponible.
Souvenons-nous qu’en 2020, Donald Trump a menacé d’envoyer l’armée pour « dominer les rues ».
Réaction de manifestants : « Il veut nous dominer mais il ne pourra jamais nous dominer ».
Le projet de dominer quelqu’un (exercer un pouvoir sur une personne) entraîne des coûts, tombe dans des pièges, mène à des impasses. La méthode C-R-I-T-E-R-E apprend l’attitude juste qui articule les projets de 1) comprendre en profondeur les personnes dans la rue (pouvoir d’être avec elles) ET 2) garantir la justice (pouvoir pour le respect du bien commun).
Quitter le faux dilemme entre faucons et colombes. Éliminer tout geste, toute parole de type « pouvoir sur/sous l’autre » et déployer les pouvoirs « pour » et « avec »…
Cf. CHOMÉ Étienne, Le nouveau paradigme de non-violence, p. 149 sq. & La méthode C-R-I-T-E-R-E pour mieux gérer nos conflits, Presses Universitaires de Louvain PUL, p. 50 sq.
Voici un schéma traditionnel que le nouveau paradigme de non-violence met en cause : « La violence, c’est le rôle de la police, par définition. Pour protéger la paix, il faut le monopole de la violence légitime. Le débat porte sur la proportionnalité » (Pierre-Henri Tavoillot, auteur de « Traité nouveau d’art politique, Comment gouverner un peuple roi? », parlant des violences policières sur le plateau de Yann Barthes, émission « Quotidien » du 4 juin 2020). Voici comment Jean-René Bachelet, le général d’armée, s’y prend pour dépasser ce schéma du passé : « Il faut s’arrêter à l’expression de « violence légitime », introduite en son temps par Max Weber pour exprimer certaines capacités du pouvoir de l’État, dont les capacités militaires. Car j’ai l’outrecuidance de penser que l’expression, aujourd’hui curieusement admise sans discussion comme un lieu commun, doit être récusée, sauf à nous engager dans une impasse. En effet, la violence étant le plus communément définie comme « abus de la force », qui ne voit que l’idée de légitimité d’un abus comme prérogative d’État, outre qu’elle s’accommode mal du principe démocratique, porte en germe les déviances les plus funestes, au rang desquelles les « comportements barbares » que nous voulons précisément éradiquer ? De fait, la force que nous allons opposer à la violence, une force nécessaire dès lors qu’ont été épuisées toutes autres solutions face à l’inacceptable, ne saurait être elle-même violence, sauf à trahir les valeurs au nom desquelles son emploi est jugé nécessaire. Face à la violence déchaînée, la force est d’une nature différente » (Bachelet Jean-René, La formation des militaires à l’éthique dans le métier des armes, dans International Review of the Red Cross, n° 870, 2008, reprenant l’adresse qu’il prononça à l’ouverture de la Rencontre internationale sur le rôle des sanctions dans le renforcement du respect du droit international humanitaire, tenue à Genève, du 15 au 17 novembre 2007). Il a été général d’Armée ER et Inspecteur général des Forces Armées de la France.
I am these days in Nairobi, training a session about Conflict Resolution for 17 Peace Builders from all over Africa, English and French speakers together, in this 19th University of Peace in Africa (UPA).
My doctoral thesis was interested in the emergence of a new paradigm: efficient forces capable of lastingly curbing destructive violence are of another nature, of another order than this. These non violent forces deserve, as such, to be qualified otherwise than by the formula « legitimate violence ». The issue is much deeper than the terminology. It is a question of knowing the nature of these so-called non-violent forces, and recognizing their qualities, their characteristics, distinct from violence.
Among these,
1. the forces of law, capable of outlawing violence;
2. sociopolitical forces, able to manage the conflict without it drifting into violence;
3. psychological and spiritual forces, able to create a good relationship between one another, by respecting each in their dignity and their deep truth.
Ma thèse de doctorat s’intéressa à l’émergence d’un nouveau paradigme : les forces efficientes à même de juguler durablement la violence destructrice sont d’une autre nature, d’un autre ordre que celle-ci. Ces forces non-violentes méritent, à ce titre, d’être qualifiées autrement que par la formule « violence légitime ». L’enjeu est bien plus profond que la terminologie. Il s’agit de connaître la nature de ces forces dites non-violentes et reconnaître leurs qualités, leurs caractéristiques, distinctes de la violence. Parmi celles-ci, 1) les forces du droit, à même de mettre hors-la-loi les violences ; 2) les forces sociopolitiques, à même de gérer le conflit sans qu’il ne dérape en violence ; 3) les forces psychologiques et spirituelles, à même de créer une bonne relation entre les uns et les autres, par le respect de chacun.e dans sa dignité et dans sa vérité profonde.
Comment apprenons-nous à honorer la sensibilité et l’intelligence émotionnelle en nous ET aussi celles des animaux capables de détecter les émotions humaines et d’y répondre de manières empathique et affectueuse, prédatrice ou protectrice selon le niveau de présence de l’humain en face d’eux ?…
« L’épée va-t-elle sans cesse dévorer ? Ne sais-tu pas que cela finira tristement ? » (2 Samuel 2,26) Résister à la guerre aujourd’hui : préparer des alternatives collectives non-violentes
Il semble facile d’adopter une position non-violente en temps de paix mais en temps de guerre ? La guerre à nos portes nous met au défi : quelles sont alors les possibilités et les limites de la résistance non-violente ? En octobre, plus de 150 acteurs de paix se réuniront à Bruxelles pour examiner cette question, dans une Conférence Internationale de 3 jours organisée par Church and Peace, le réseau œcuménique européen des Églises résolument engagées pour une paix juste, dont les membres sont des individus autant que des communautés, centres de formation, services pour la paix, etc., originaires de 16 pays européens, dans une grande diversité de traditions chrétiennes. Nous offrons un espace de rencontres, stimulant le dialogue et la réflexion ; nous sommes catalyseur d’initiatives personnelles et de projets communs.
Avec les guerres notamment en Ukraine et Palestine, nous déplorons les militarismes va-t-en-guerre, comme s’il n’y avait d’alternative à l’escalade de la violence que la surenchère. L’histoire nous enseigne que faire la guerre ne fait qu’augmenter la souffrance, la mort et l’injustice. Elle nous enseigne aussi que la force de la non-violence réside dans une mobilisation du plus grand nombre. « Pendant la guerre, le groupe a renforcé sa capacité de s’organiser ; il a agi comme un mur de protection, à l’image d’une colonie de fourmis », témoigne l’Ukrainien Pavel Kaliuk dans l’étude Résistance civile non-violente face à la guerre.
En tant que chrétien.nes, nous sommes appelés à résister collectivement à l’injustice et à la violence, en suivant l’exemple de Jésus. Que faire bien avant que le conflit n’en vienne à des bombes nous tombant sur la tête, à l’usage d’armes dans notre propre ville ? Comment la résistance peut-elle être efficace pour un changement durable ? Comment exploitons-nous l’impressionnant savoir-faire en matière d’actions non-violentes aux quatre coins de la planète et dans l’histoire ? Comment en apprendre plus sur cette multitude de formes de résistance civile expérimentées ces dernières décennies ? Où sont pour chacun.e de nous les grains de sable dans les engrenages de la violence ? Et pour ceux, parmi nous, qui tiennent beaucoup à une action qui ne porte pas le flanc à la passivité d’un pacifisme trop idéaliste, où sont leurs petits cailloux davidiques devant Goliath, alternatives pas moins rusées que les cutters des terroristes qui ont frappé les USA le 11/09/2001 ?
Lors de cette conférence, nous explorerons l’intersection de la foi et de la responsabilité civique dans le contexte de la guerre.
Nous découvrirons des exemples récents et des potentiels de résistance à la guerre, de mouvements non-violents et de transformation des conflits (y compris dans deux ateliers avec des acteurs engagés en Ukraine et en Russie).
Nous (re)découvrirons des méthodes et des approches sur la façon dont l’engagement communautaire peut remettre en question les structures de pouvoir existantes. Nous serons encouragés et équipés pour agir consciemment et stratégiquement grâce à des idées partagées, enracinées dans notre foi : objections de conscience, interventions civiles de paix au niveau international, campagnes pour stopper la production des armes et leur exportation, façons de repenser la sécurité.
Réunis à Bruxelles au centre de la prise de décision européenne, nous allons nous connecter à des organisations partenaires à Bruxelles qui œuvrent pour une Europe solidaire et en paix. Avec elles, nous chercherons comment mettre notre expertise au service des Institutions européennes, avec l’intention que nos expériences soient davantage au fondement de leurs considérations stratégiques.
Cette conférence se prépare activement sur le terrain. Nous nous sommes ainsi activement engagés dans un dialogue avec des Ukrainiens et des Russes. Ce dialogue nous met régulièrement dans une situation inconfortable car les Ukrainiens n’ont qu’un mot à la bouche : « Armement”, répètent-ils sans cesse, comme un langage unique de Babel. Cette réaction nous interpelle. Alors que la puissance de l’argumentation n’a ici pas de poids, c’est comme s’il nous fallait entrer dans la puissance de la présence. Nous mettre à leurs côtés, et attendre. Une image nous vient à l’esprit. Celle d’un blessé grave, à la suite d’un accident de la route. Il ne peut directement être admis en rééducation. Il lui faudra d’abord sortir de cet événement traumatisant, puis passer par les urgences, puis par la chirurgie, entrer en salle de réveil, avant de prendre le temps de la convalescence. La non-violence n’a rien d’une idéologie. C’est quelque chose de très concret. Ce n’est qu’avec le temps que la vie et le dialogue redeviendront possibles pour les Ukrainiens. Car la guerre rend le message de la raison inaudible. Cela ne doit pas nous empêcher, nous, de réfléchir, d’agir là où nous sommes. Continuons à apprendre pour faire apprendre.
Pour favoriser la prise de conscience collective et l’engagement proactif après avoir réalisé le contraire du « que cela finira tristement » (2 S 2,26), nous vous invitons à nous rejoindre à une conférence publique (en anglais, avec des traductions simultanées en français et en allemand), ce jeudi 24 octobre 2024, à 16h30, au Chant d’Oiseau, av. des Franciscains 3, 1150 Bruxelles. Il y aura aussi une diffusion en direct sur le net.
Cette Conférence internationale y continuera ses travaux, du jeudi 24 au dimanche 27 octobre.
Étienne Chomé (chome@communicactions.org), avec la complicité de Maria Biedrawa, coorganisateurs et membres du Board international de Church and Peace
publié aussi sur https://www.cathobel.be/2024/09/opinion-resistons-a-la-guerre-avec-des-alternatives-collectives-non-violentes/