La joue tendue mal comprise

Comprenant que la joue tendue (Mt 5,38-42) est un appel à ne pas résister, à renoncer à ses droits propres, à supporter patiemment l’injustice, les coryphées de la Tradition ont été obligés de limiter la non-violence évangélique du mieux qu’ils pouvaient :

1) Oui à l’esprit évangélique mais en assurant une défense efficace, pense Augustin. Alors que l’Église devient religion officielle de l’Empire, il organise la solution intériorisante qui distingue les actes des intentions : les commandements de Mt 5,38-42 adressés à tous ne nous enseignent pas le comportement à avoir mais seulement « l’esprit » dans lequel nous devons nous défendre. Ces textes ne disent pas : « laissez les méchants faire » mais bien « corrigez les méchants, tout en les aimant pleinement, dans l’intention droite de votre cœur ».

2) Oui à la joue tendue mais pas pour tous, se dit Thomas d’Aquin, en reflétant bien l’esprit de son temps. À l’époque médiévale qui marque nettement les différences entre les clercs et les laïcs, Mt 5,38-42 s’applique différemment aux uns et aux autres : commandement pour ceux qui ont tout quitté pour témoigner anticipativement du Royaume, conseil de perfection subordonné au devoir de défendre son prochain pour ceux qui ont la charge de protéger leur famille, leur entreprise, leur pays. Les religieux peuvent témoigner de cet amour radical qui va jusqu’à donner sa vie pour son ennemi, tandis que c’est en défendant leurs proches que les laïcs exercent leur vocation d’amour. C’est la solution de la vocation personnelle et libre.

3) Oui à ce précepte impossible mais par grâce et seulement pour les chrétiens dans leurs relations interpersonnelles, affirme Luther. La Réforme protestante se centre sur le Sauveur, seul apte à donner la grâce d’accomplir ce qu’il demande en Mt 5,38-42. C’est la solution christologique. Mt 5,38-42 énonce des commandements pour tout chrétien, qu’il soit clerc ou laïc. Mais ils valent seulement dans le rapport de chrétien à chrétien, honorant le Royaume de Dieu qui vient en Christ. Ils ne valent pas, comme tels, pour les gouverneurs, les juges, les dirigeants économiques dans l’organisation de la Cité.

Ces trois théologies qui expriment l’idéal de la société dans laquelle elles sont produites, s’accordent sur le schéma : oui autant que possible aux préceptes évangéliques de non-violence en Mt 5,38-42 mais il faut en limiter les destinataires et/ou le caractère obligatoire et/ou la portée du champ d’application, vu la nécessité de protéger les innocents contre la violence et de résister à l’injustice. D’où le dilemme qui s’est posé à toute pensée chrétienne au cours de ces deux millénaires, entre d’une part le devoir d’assistance et de protection de son prochain et d’autre part la fidélité à la non-violence prônée par Jésus dans ses paroles comme dans ses actes. Ambroise de Milan parle déjà au IVe siècle de ce conflit de devoirs pour tout chrétien, que le jésuite Joseph Joblin reprend : ou bien il observera le précepte selon lequel il doit s’abstenir de toute violence mais il manquera à l’obligation qui est la sienne de venir en aide à la victime de l’agression injuste (cela sous peine de devenir complice de l’injuste agresseur) ; ou bien il mettra sa force à la disposition de la victime de l’injustice et il manquera au précepte de non-violence contenu dans l’Évangile.

De nos jours, les ressources en gestion des conflits révèlent que ce dilemme est très mal posé. Voir le schéma ci-dessous : quitter le dilemme traditionnel car la meilleure défense possible n’est pas dans la contre-agression ni dans la passivité, elle est dans une mobilisation de nos meilleures forces vives et une optimisation des ingrédients dénouant effectivement la crise. Et, côté Évangile, si on comprend que la joue tendue est un appel à résister, à se battre contre l’injustice en prenant une initiative déroutante qui ne tombe pas dans le piège de la contre-violence, mais qui enraye effectivement la domination, alors devient possible une théologie de la paix juste intégrant tant les trésors de l’Évangile que les savoir-faire en gestion constructive des conflits. Voir mon livre La non-violence évangélique et le défi de la sortie de la violence.

« Violence » et « non-violence » : deux concepts opératoires

Voici les premières lignes de mon livre Le nouveau paradigme de non-violence :

Est-il possible de contrecarrer efficacement la violence par d’autres moyens que la violence ? Comment peut-on exercer le « droit » de légitime défense, sans être entraîné par les redoutables pièges d’une confrontation conflictuelle, sans se faire complice de la violence de l’agresseur ? Cette question se pose-t-elle différemment aux individus dans leurs relations interpersonnelles qu’aux sociétés humaines dans leurs relations internationales ?

Assurément, prendre ses responsabilités au cœur de ce monde violent, c’est assumer une part de combat qui exige de la force. L’amour sans pouvoir est impuissance. L’autorité sans sanction est laisser-faire. La passivité est le pire des scénarios conflictuels, l’impunité le terreau des pires abus de pouvoir. Aimer quelqu’un, ce n’est pas le laisser faire du mal. Cependant, à l’autre bout, combien de colères et de guerres « saintes » sont gangrenées par le mal qu’elles prétendent combattre ? Où passe la ligne de démarcation entre le pouvoir de domination, germe de la violence destructrice, et les forces légitimes, fondées sur le droit, respectueuses des personnes et à même de construire la justice dans l’amour ?

« Violence » et « non-violence » sont deux concepts opératoires qui cristallisent un changement de paradigme. L’intérêt du terme « violence » est de faire reculer la ligne du « moindre mal » toléré. À la fin du XXe siècle, « violence » est devenu un concept opératoire, servant au sein d’un groupe humain à stigmatiser pour mieux ostraciser les pratiques qui ont perdu en honorabilité, légitimité et nécessité. Par exemple, aux « pays des droits de l’homme », il était toléré – il n’y a pas si longtemps – que, pour juguler l’indiscipline de son enfant, un parent use du martinet ou l’enferme dans la cave sans lumière pendant toute une nuit. Ces pratiques ayant franchi le seuil de l’inacceptable, aujourd’hui, au nom des droits de l’enfant, des pays disent non aux châtiments corporels comme moyen éducatif. L’intérêt du concept opératoire est de mobiliser le groupe : le comportement qui choque dorénavant les consciences parce qu’il est devenu humainement indigne, ne sera mis au ban de la société qu’à travers des changements de mentalités et une longue maturation sur les plans moral, culturel et psychologique, puis politique, par une législation qui met hors-la-loi l’acte qualifié de « violent », puis juridique, par l’application de la loi assortie de sanctions qui mettent effectivement chaque membre du groupe devant ses responsabilités.

Un éducateur qui frappe un enfant est aujourd’hui désapprouvé et sanctionné, aussi droite que soit son intention, aussi juste que soit sa cause. En fait, son coup est l’expression d’une tragique impuissance : s’il est suffisamment formé à la gestion des conflits, il trouvera d’autres ressources que la violence physique, pour exercer une autorité ferme et obtenir le respect effectif des règles. L’intérêt du principe de non-violence est d’officialiser une limite claire et précise pour tous : « Quelles que soient la fin poursuivie et les circonstances atténuantes, la violence physique à l’égard d’un enfant est une erreur et une errance contreproductive. Elle est injustifiable, elle est interdite. » Une fois que le moyen est reconnu comme intrinsèquement mauvais, les alternatives dites « non-violentes » qui existent bel et bien s’imposent. Le « non » de « non-violence » a valeur de STOP à la violence. C’est bien plus qu’une négation, c’est un « non » de rupture et de combat, un « non » mobilisateur dans le refus de la fatalité de la violence. Cette dynamique est ainsi d’une grande fécondité pratique pour faire reculer des coutumes qui avaient été tolérées jusque-là, à titre de moindre mal. Cette dynamique marque aussi les relations internationales, même si elle y est moins facilement appréhendable : les violences des États, liées à leur sacrosainte souveraineté et raison d’État, reculent à mesure que les groupes humains parviennent à leur retirer leurs diverses formes d’honneur, de justifications idéologiques et de nécessité incontournable. Y a-t-il encore des guerres justes ? En tous les cas, les consciences saisissent toujours mieux le rôle du mensonge et de la propagande dans les guerres justifiées !

L’hypothèse au départ de cet essai est que cette capacité des hommes à progressivement mettre hors-la-loi la violence donne lieu à un nouveau paradigme de pensée, qui se ramasse en une formule : le défi de notre temps est d’apprendre comment exercer la force sans la violence. Dans la compréhension de ce nouveau paradigme, le philosophe militant Jean-Marie Muller, né en 1939, trace en premier de cordée francophone : « Le non que la non-violence oppose à la violence est un non de résistance. La non-violence est certes abstention, mais cette abstention exige elle-même l’action. […] Il s’agit, à partir de la réalité des violences que nous avons l’habitude de considérer comme nécessaires et légitimes, de créer une dynamique qui vise à les limiter, les réduire et, pour autant que faire se peut, à les supprimer. Il existe une réaction en chaîne des violences économiques, sociales, politiques et policières qu’il est impossible d’interrompre dès lors qu’à un moment ou un autre de ce processus, la violence se trouve légitimée. Pour rompre la logique de la violence, il faut créer une dynamique politique qui inverse le processus du développement violent des conflits. C’est cette dynamique que la philosophie politique de la non-violence nous invite à mettre en œuvre. »

Ci-dessous le cadre conceptuel que j’ai inventé pour baliser le chemin : quitter la ligne horizontale du dilemme mal posé pour poser une double verticale : où passent les lignes démarquant d’une part violence (colonne 1) et passivité, son complice (colonne 4) et d’autre part forces non-violentes du droit (colonne 2) et de l’amour (colonne 3) ? Puis comment augmenter les colonnes 2 et 3, en vidant toujours plus les 1 et 4 ?

Mobiliser le groupe en cas de violence

Imaginez que vous vivez dans un quartier populaire de Kinshasa (capitale du Congo, ex-Zaïre). Vous suivez un séminaire qui apprend à faire tomber une injustice, sans tomber soi-même dans les panneaux de la violence (qui est l’injustice radicale). Vous êtes invité.e à définir précisément une injustice. Vous choisissez celle-ci : les femmes du quartier sont battues régulièrement par leur mari, sous couvert des coutumes admises socialement.

Avec votre groupe de travail, vous imaginez
comment tendre l’autre joue dans ce cas-là.

Vous retenez l’initiative de créer par cercles concentriques une mobilisation la plus générale possible des personnes de bonne volonté du quartier, convaincues qu’il est temps de mettre hors-jeu puis hors-la-loi ces pratiques de domination patriarcale. Dorénavant, chaque fois qu’une femme sera battue, toutes les personnes de ce réseau relaieront un cri spécial de ralliement, tel qu’elles parviennent à converger vers le foyer concerné, où le groupe réuni se tiendra debout, en silence, occupant la maison / la cour, plusieurs jours durant. 

« On vous a dit… Moi, je vous dis… »

« Vous avez entendu qu’il a été dit aux anciens… . Or moi, je vous dis… » est le refrain qui rythme Mt 5, 21-48, avec six couplets, qui disent crescendo : la loi dit non à toutes les formes de violence, du plus proche au plus lointain, de celles que nous faisons subir aux autres (meurtre, mensonge, concupiscence) à celles que nous subissons des autres (5ème et 6ème antithèses). Jésus accomplit la loi, il la fait tenir debout à partir de sa racine, il l’établit définitivement selon son intention propre : « Il a été dit…, moi je donne le sens fondamental », à partir de la justice du Royaume du Père (ce sont les 3 mots qui reviennent le plus dans ce ‘Sermon sur la montagne’, en Mt 5, 6 et 7). Que nous soyons tous ses filles et fils, donc frères et sœurs change radicalement les relations entre humains…

Les six antithèses, les six racines fonctionnent toutes selon le même mouvement : « Pas seulement le meurtre mais déjà les jugements diabolisant l’autre et les paroles de haine qui y conduisent. Pas seulement la finalité de la justice, juste œil contre œil, mais encore l’importance de choisir d’autres moyens que la violence. Non seulement un combat juste mais déjà les moyens d’une paix juste. Non seulement la vérité sur l’idéologie guerrière du voisin qui nous agresse mais déjà un regard d’amour de l’ennemi.

Hélas, les théologiens jusqu’au 20ème siècle ont compris que la joue tendue était un appel à ne pas résister, à renoncer à ses droits propres, à supporter patiemment l’injustice. Comme cette non-violence-là est socialement et politiquement impraticable, il est logique et sage de limiter sa portée et d’en dénier le caractère obligatoire et collectif. Cette constante interprétation a ainsi mis en place le schéma : « oui à la non-violence évangélique mais pas dans certains cas », mouvement très différent du « non seulement… mais déjà et encore… ». D’où les apories dans la conciliation entre un tel amour oblatif qui se sacrifie et une politique de la Cité réaliste.

Tout change si l’Évangile de la joue tendue invite à résister avec réalisme, lucidité et amour ! Alors, il peut inspirer une politique responsable. Ce fut l’objet de mon doctorat en théologie. Assurément, non seulement le laisser-faire est toxique, la passivité fait le lit des abus de pouvoir des ‘méchants’, sans scrupules, mais encore la résistance à l’oppression a intérêt à inventer des alternatives à la violence…

Jésus non-violent plus révolutionnaire que les révolutionnaires

Jésus ne s’est pas attaqué frontalement à l’oppression politique de l’envahisseur romain ni à l’esclavage socioéconomique. Mais il en a sapé les fondements, il a été à la racine des dominations des uns sur les autres, pour toucher nos consciences et nous faire lâcher, à partir de nos cœurs, nos abus de pouvoir et nos violences structurelles. Le ferment de sa bonne nouvelle a mis quelques générations pour subvertir l’Empire romain mais il l’a subverti… En ce sens, Jésus radicalement non-violent est plus révolutionnaire que les révolutionnaires !

Le fin mot de l’histoire, c’est que son Père est juste ET miséri-cor-Dieu : Dieu penché avec son cœur sur nos misères. Et il nous invite à la
conversion : choisir de Lui faire confiance, croire en son infinie
patience et miséricorde, à la radicale bienveillance de  son dessein.

Notre conversion, au cours de ce carême, ne porte pas d’abord sur ce que nous faisons mais sur ce que nous pensons, comment nous nous représentons Dieu. Il nous dit que, malgré les apparences d’une efficacité de surface et à court terme, le radical retournement des cœurs humains a le pouvoir de changer la face du monde. Le croyons-nous ?

Le printemps n’est pas seulement le bon moment pour les stratèges de lancer une opération militaire contre le peuple voisin, c’est aussi chaque année, notre montée résolue vers Pâques, mort et résurrection. Bon carême, bon car-aime, dans la paix et la détermination d’une paix juste !

La chute du mur de Berlin grâce au 9/10/89 à Leipzig

Le 9 octobre 1989, à Leipzig, en Allemagne de l’Est, pile un mois avant la chute du mur de Berlin, toute la ville parle de la manifestation non-violente prévue en soirée. Tous ont reçu l’ordre de ne pas se rendre au centre-ville le soir. Tous voient les chars d’assaut déployés, particulièrement autour de l’église St-Nicolas, où se tiennent chaque semaine des réunions de prière pour la paix, et qui est devenu le lieu-symbole de la contestation au régime d’oppression. Plus de 8.000 militaires et milices paramilitaires d’ouvriers communistes sont mobilisés, avec l’ordre d’une répression implacable. Tous les habitants sont au courant : ce soir, l’ordre de tirer a été donné. La peur d’un bain de sang est grande.

Le soir, 2000 personnes ont bravé l’interdit, priant pour la paix, comme chaque semaine, dans l’église St-Nicolas. Les autres églises du centre-ville sont aussi remplies. La tension est à son comble à la fin de la prière, les armes pointées sur elles les attendent dehors. La moindre étincelle mettra le feu aux poudres. Et là, à la manière de ce jeune qui offrit ses 5 pains et 2 poissons, quelqu’un proposa d’allumer des lumignons et de sortir en les tenant devant soi, tout en chantant et priant. Voici le témoignage d’un participant : « Lorsqu’on porte une bougie, il faut utiliser les deux mains. Il faut garder la flamme pour qu’elle ne s’éteigne pas. Ce qui veut dire que l’on ne peut donc pas en même temps porter de pierre ni de bâton dans la main. Et voilà le miracle ! Les forces armées furent saisies et furent mêlées à des discussions, puis elles se retirèrent ». De son côté, un membre du comité central du gouvernement de l’Allemagne de l’Est confessa : « Nous étions préparés à tout, nous avions tout envisagé, à la seule exception des bougies baignées dans des chants de prières ».

C’est la flamme de pauvres bougies qui fit tout basculer : environ 70.000 personnes osèrent alors sortir, se rassemblèrent sur Karl-Marx-Platz, défilèrent dans le centre-ville, en appelant « Keine Gewalt ! », « Pas de violence ! », jusqu’à passer devant la gare et devant le siège de la Stasi, sans aucune provocation mais avec détermination. Dans leur combat juste et non-violent, ils étaient prêts à être tués, sans tuer à leur tour. L’agneau conduit à l’abattoir ? Quand des millions d’autres personnes sont prêtes à suivre, que peuvent faire le Pouvoir et son bras armé devant une telle masse de manifestants désarmés ? La chute du mur était déjà en cours, à travers leurs pieds en rue et leurs mains avec flambeau, qui s’alignaient sur leur vision résolue. Le feu mis aux poudres ? Via les nouvelles internationales, tout le pays fut informé.  Des millions d’autres dans le Bloc soviétique étaient encouragés à oser contribuer au changement. Conscience et longueur de temps font plus que violence ni que rage !

Merci de contribuer à faire connaître ce 9 octobre 1989, décisif pour la suite de l’Histoire : la chute du mur de Berlin, par évolution des consciences et des cœurs sans violence, sans révolution violente. Merci aux personnes qui feront suivre ce post. La paix dans le monde commence par de tels petits actes, qui semblent aussi dérisoires qu’un lumignon entre les mains, et pourtant ils comptent !…

Un cas de non-violence active freinant la déportation des Juifs

Imaginez que vous êtes en 1940. Votre pays a été envahi par l’Allemagne. Les Nazis exigent que les Juifs portent l’étoile de David au bras, sans dire que c’est la première étape en vue de leur déportation et de leur extermination. Vous êtes un simple citoyen, pauvre et démuni. Que faites-vous ? Comme vous êtes créatif et résolument engagé dans la non-violence active, c’est-à-dire dans l’art d’empêcher tout groupe humain d’abuser de son pouvoir, de l’empêcher d’en tirer le moindre profit, vous réfléchissez, de cette intelligence imaginative qui crée des solutions nouvelles. Vous vous dites : ils veulent distinguer les Juifs et nous préparer à les mettre à part de notre société.

Que faire, pour ne pas tomber dans leur panneau de basse-quête ?

Eureka,

allons donc tous porter l’étoile. Comment faire ?

J’ai trouvé : je vais trouver le roi du pays, je lui en parle. Quand il est convaincu, je lui demande de convaincre les élites aux pouvoirs politiques et économiques + l’intelligentsia que tous se mettent à porter le brassard à l’étoile en même temps.

Et que tous invitent à faire de même, autour d’eux : conjoint, enfants, voisins, etc., etc.,…

« L’Union fait la force » (devise de la Belgique et de ce petit village/pays qui a la gaule/potion magique de la créativité pour résister encore et toujours à l’envahisseur).

« Personne ne peut obtenir notre infériorité sans notre consentement » (Éléonore Roosevelt).

Tends l’autre joue, ne rends pas coup pour coup

Dans mon livre Tends l’autre joue, ne rends pas coup pour coup. Mt 5, 38-42, non-violence active et Tradition, Éd. Lumen Vitae & Sortir de la violence, 2008, 259 pages, j’ai mené une solide exégèse (académiquement reconnue) de la péricope Mt 5,38-42, notamment une longue Auslegungsgeschichte (étude historique de son interprétation), au terme de laquelle je conclus que l’interprétation classique selon laquelle ce serait un appel à ne pas résister trahit le mouvement des 6 antithèses (On vous a dit… Moi, je vous dis…; non seulement… mais encore…). Bref, sans développer ici, dans cette antithèse, Jésus appelle non seulement à résister pour la justice mais encore d’une manière spécifique : par d’autres moyens que la violence. En trois exemples incisifs, il propose des initiatives déroutantes retournant le système injuste contre lui-même, ce qui a pour effet de le subvertir de l’intérieur. En très résumé, tendre la joue signifie pour le subalterne non pas laisser faire et fermer les yeux mais au contraire empêcher une deuxième gifle du même ordre et amener le maître qui profite de son bon droit à ouvrir les yeux sur son abus de pouvoir social. Laisser son manteau quand l’huissier de justice vous prend tout jusqu’aux sous-vêtements, c’est se retrouver nu : de quoi toucher la conscience du riche sans scrupules, qui profite de son bon droit économique de créance. Faire mille pas de plus aux côtés d’un agent d’occupation qui profite de son bon droit de réquisition interpelle cet agent qui peut être convoqué par son supérieur pour rendre compte d’avoir dépassé la borne (plantée tous les mille pas sur les Viae Romanae) ; c’est donc une manière originale de contester avec amour ce droit que s’offre la puissance coloniale.

Dans les trois cas, Jésus enjoint ses disciples à inventer une initiative déroutante qui ne tombe pas dans le piège de la contre-violence, mais qui enraye effectivement le jeu de pouvoir logé dans la pratique admise mais injuste.

Jésus n’a pas été un politicien et il refuse tout messianisme politico-religieux. Mais il ne fuit pas le conflit ; il crée même la confrontation. Il est assertif, franc et combatif. Le ferment de l’évangile a mis quelques générations pour subvertir l’Empire romain mais il l’a révolutionné ! Car Jésus a sapé les fondements même de la domination des uns sur les autres, de l’esclavage, de l’oppression politique et économique. En ce sens, dans sa redoutable force non-violente, Jésus est plus révolutionnaire que les révolutionnaires.

Comprendre l’Évangile comme un appel à ne pas résister est à l’origine des nombreuses apories dans l’articulation de l’Évangile au réalisme politique (oui à l’Évangile mais pas…).

« Renoncer à l’usage de la force » est une formule inadéquate qui crée le dilemme entre force (sous-entendue violente) ou non-force (sous-entendue non-violente ; à vrai dire, passivité). Le défi est d’optimiser le déploiement des forces sociales, économiques, culturelles, politiques, etc., qui font effectivement reculer le seuil des violences légitimées en « dernier recours ». Voir là mon livre La non-violence évangélique et le défi de la sortie de la violence.

Résister mais sans riposter

Voici une réflexion de Jean-Yves Leloup :
« Quand deux grandes forces s’opposent,
la victoire va à celui qui a appris à céder ».
Si cette phrase de Lao Tseu reste sans doute inaudible aux Russes comme aux Ukrainiens, à Poutine et à Zelensky, peut-être seront-ils davantage sensibles aux remarques de Tolstoï, leur ancêtre commun : « Vous êtes habitués à lutter contre la mal par la violence et par la vengeance, c’est un mauvais moyen, le meilleur moyen n’est pas la vengeance, mais la bonté. Je comprends, écrit-il, que poussé, par la colère, la haine, la vengeance, la perte de conscience de son humanité, un homme puisse tuer, en défendant un être proche, en se défendant lui-même. Et je comprends qu’il puisse tuer sous l’effet d’une suggestion patriotique, grégaire, en s’exposant à la mort et participant à un meurtre collectif de guerre. Mais que des hommes, en pleine possession de leurs facultés, puissent tranquillement, de façon mûrement pesée, admettre la nécessité de l’assassinat de l’un de leurs semblables et contraindre des créatures à commettre cet acte répugnant à la nature humaine – cela, je ne l’ai jamais compris. » Ne faut-il pas commencer par là : que chacun « en pleine possession de ses facultés » ne se laisse pas emporter par la spirale de la peur et du jugement afin, d’opposer à la violence autre chose que de la violence ? Opposer plutôt le courage de la conscience, une conscience incarnée, préférant être meurtrie que meurtrière. La force invincible et vulnérable de l’humble amour ; le contraire du mouton couché, l’Agneau pascal blessé mais debout »
(Jean-Yves Leloup)
et ses précieuses « Graines de conscience » sur Les Odyssées de la conscience : https://elearning.jeanyvesleloup.eu/courses/graines-de-conscience

https://www.facebook.com/jean.yves.leloup.officiel

De la guerre juste à la guerre sainte puis à la croisade

 Comment on passe
de la guerre juste 
à la guerre sainte
puis à la croisade ?
1) Au XIème siècle, les expéditions militaires étaient essentiellement un acte de solidarité de l’Occident à l’égard des frères d’Orient, menacés par l’expansion turque : une guerre justifiée par la Realpolitik, un moindre mal nécessaire pour des raisons géostratégiques.
2) Au gré de l’escalade des violences, c’est devenu une guerre sainte : en mourant dans les combats, vous devenez des martyrs de la foi chrétienne que vous protégez contre l’Islam.
3) Le terme de croisade n’apparaît qu’à la fin pour renforcer la justification de la violence : tuer et être tué devient méritoire ; cela assure le salut de votre âme.
X leçons du XIème siècle pour le XXIème siècle ?

Dans la guerre 40-45, « jamais dans son histoire l’homme n’a tant rivalisé avec le diable ni tant donné de leçon à l’enfer » (André Malraux).