Suite de mes engagements à l’Est-Congo. Ce jeudi, la ville de Goma est plus calme. La session que je devais animer ici depuis hier a finalement commencé ce matin mais nous avons changé de salle pour que je reste en sécurité : tous les gens viennent jusqu’à mon logement…Les gens sont choqués par l’inefficacité de la MONUSCO (Forces armées de l’ONU envoyées au Congo) qui laisse faire des massacres à quelques centaines de mètres de ses bases et les gens sont révulsés par ses dysfonctionnements (certains de ses militaires volent, détournent, fraudent ou commettent des violences sexuelles)… J’accompagne du mieux que je peux les consciences : il y a tellement mieux à faire que de s’en prendre aux ‘Forces de l’Ordre’ et de s’en prendre des balles : plus de cent sangs ont coulé ici dans les marches de protestation. À l’inverse, sans s’en prendre aux personnes, s’en prendre au mal et aux injustices, c’est la seule voie pour rompre la chaîne infernale des violences. J’aide les participants à mon séminaire D-I-A-P-O-S à utiliser la méthode notamment dans cette problématique de la MONUSCO. Nous cherchons ensemble comment aider les indignations légitimes à devenir des engagements constructifs pour augmenter la justice, et ainsi la paix. L’injustice peut être représentée comme une pyramide qui repose sur sa pointe. Ce n’est pas naturel qu’une telle pyramide se maintienne sur sa pointe, elle tient en équilibre parce qu’elle est soutenue par des piliers qui appuient sur les différentes faces. Nous repérons les piliers les plus à notre portée pour les faire tomber. Et, après analyse (A de D-I-A-P-O-S), nous employons notre créativité pour préparer une campagne d’action pertinente qui entraîne l’ensemble des citoyens désireux de changement.
Tout un chemin pour ne pas seulement pointer les défaillances et responsabilités de la MONUSCO mais aussi celles de l’armée et du gouvernement congolais et aussi celles des citoyens que nous sommes…
Dans la région de Butembo-Béni, au Nord-Kivu, chaque jour, de braves gens sont égorgés & décapités quand ils vont travailler dans leurs champs.
Un homme, dans la région de Béni, ose aller dans son champ, qui se trouve à 10 kms de la ville. Il y trouve une famille installée. Il a peur d’être tué… mais l’accueil est chaleureux : « vous êtes un visiteur ; soyez le bienvenu ». Et pour montrer leurs bonnes dispositions, le chef de cette famille lui offre une poule et un régime de bananes à ramener chez lui, en ville, pour fêter avec sa famille. Il trouve que c’est un comble : sur ses propres terres, il se fait accueillir comme le visiteur et il reçoit en cadeau ses propres bananes… mais il a tellement peur d’être égorgé qu’il fait profil bas et cherche à partir vivant. L’homme l’aide à charger le régime de bananes et la poule sur sa mobylette et le salue. Il part et s’arrête 1 km plus loin, en se disant : « Je ne peux pas retourner par le même chemin, il va appeler ses complices et ils me tueront ». Hélas, il n’y a aucune autre route pour rentrer chez lui. Il fait alors le choix d’abandonner les deux présents et d’enlever sa chemise rouge. Il repart à vide et en singlet. 2 kms plus loin, un barrage de gens armés l’arrête : « d’où tu viens ? ». « oh de pas loin, là-bas, en suivant un petit chemin, on arrive chez moi. » « Tu n’as pas vu un homme en chemise rouge ? à mobylette, avec des bananes et une poule ? » « Ah si, là-bas à 1 km, il a un petit ennui mécanique mais il arrive bientôt »… Ils ne trouvèrent que les bananes, la poule et une chemise rouge vide, sans l’homme qui ne revint plus jamais de ce côté-là, préférant la vie à l’exploitation de ce champ-là… Voilà comment les « infiltrés » prennent pied. Voilà comment les braves gens, qui se sentent très seuls et abandonnés par leurs Autorités, laissent faire ces appropriations forcées. Impunités et absence d’un État de droit. Le Nord-Kivu est au Congo ce que le Far West a été aux USA du 19e siècle : le Far East congolais.
Beaucoup cherchent un lopin de terre, parmi les Interhamwe (Hutus Power qui ont fui le Rwanda en 1994 et qui espèrent reconquérir le pays) ou les « Nalou » (National Army of Liberation of Uganda), qui n’ont pas trouvé leur place dans leur propre pays depuis l’arrivée au pouvoir de Museveni (grâce au soutien armé des Tutsis rwandais du FPR).
Mettre en pleine lumière (celle de la conscience), l’enchaînement des violences à l’aide de l’archevêque Dom Helder Camara. Repérer l’enchainement des trois types de violence, les violences n° 1, 2 et 3 :
Autre ressource pédagogique : Les violences visibles ne sont peut-être pas les pires, Dans l’arbre des violences, qu’est-ce qui est racine, branche et fruit ?
Remonter aux racines de l’injustice, cachées sous le sol: les violences structurelles, les « structures de péchés sociales » (concept opératoire proposé par Saint Jean-Paul II dans Sollicitudo rei socialis, 1987).
Par exemple, au Rwanda, regarder les jacqueries de 1959 comme des violences visibles, en haut de l’arbre, aller sous le sol chercher les racines de l’arbre. Aller chercher les violences n° 1 à la base de ces violences n° 2 : cela fait remonter plus loin dans le temps et repérer l’enchaînement des violences jusqu’à aujourd’hui, dans toute la Région des Grands Lacs.
Ici, à l’Est du Congo, les gens se révoltent contre la MONUSCO non seulement pour son inefficacité dans la protection des civils tués quotidiennement mais encore, pire, pour ses graves dysfonctionnements : le plus pénible, c’est que les gens voient plusieurs de ses militaires voler et détourner les fonds. C’est très visible par exemple avec l’essence ONUsienne qui se retrouve en vente dans les quartiers. Elle est très repérable car de couleur bleue, à cause d’un additif spécifique. Pire, à Béni, où les gens n’osent plus aller dans leurs champs (où chaque jour des gens se font ‘égorger’ et ‘décapiter’ (mots quotidiens ici), les militaires ONUSCO sont accusés (tout comme des membres des FARC, armée congolaise) de voler dans les champs, comme l’atteste le cacao par exemple que les gens voient 1) dans leurs containers, alors que ces militaires d’ailleurs n’ont pas de champs à eux, et 2) en vente dans des quartiers autour de leurs bases et baraquements, alors que les champs sont loin de là.
Histoire banale ici : un citoyen a dénoncé un militaire des FARC, dont le container était plein. Le citoyen a été tué qq nuits plus tard. Ici, tout qui agit en justicier disparaît vite…
Pendant le séminaire à Butembo que j’ai donné la semaine dernière à 40 piliers de la société civile + politiciens + professeurs + religieux, j’ai enseigné les méthodes d’actions non-violentes, par lesquelles la force de la vérité se propage sans que jamais un nom ne soit connu, un individu ne se soit avancé seul (surtout ne jamais agir en justicier, ne pas s’approprier la justice, ne pas personnaliser le Cadre de Droit) : l’art de mobiliser le groupe jusqu’à atteindre une masse critique pour atteindre l’objectif précis de changement, objectif réaliste à notre portée. C’est justement le point faible de ces révoltes populaires qui s’indignent et s’affrontent à des Forces du ‘Désordre établi’, sans que leurs forces soient canalisées.
Je vis l’urgence de former ces leaders à la fois honnêtes, humbles et intelligents que je connais après 15 ans de sessions dans la région. Je tiens à les accompagner dans un engagement réfléchi et orienté constructivement vers un progrès, à partir de leurs créativités pour trouver la bonne prise, à l’image de la marche du sel d’un mois (moins 5 jours) de Gandhi et de la marche d’un an (plus 5 jours) des Afro-américains boycottant les bus de l’apartheid.
Mon journal de bord de ce26/7, jour où j’ai failli être lynché 3 fois…
Des soulèvements populaires contre la MONUSCO accusée gravement ici ont lieu en ce moment dans les 3 villes où je passe : j’ai quitté Butembo hier sous les premières manif, alors que les « Forces de l’ordre » tiraient déjà à Goma pour disperser la foule. Ça ‘crépitait’ (comme on dit ici) à Butembo quand je suis arrivé à Béni. Heureusement, la route s’est faite sans encombres. Ça chauffe encore plus aujourd’hui dans les 3 villes. Des casques bleus des NU sont morts, au moins 3 à Butembo. À Béni, nous avons entendu les cris et les bruits des manifestants appelés ici « groupes de pression ». Ils ont bloqué la route par laquelle nous devions passer pour atteindre l’aéroport. Elle était en feu. Le problème, c’est qu’un Blanc ici est directement pris pour un agent MONUSCO (il n’y a plus aucun autre Blanc dans les parages…). Du coup, nous avons dû abandonner notre grosse Land Rover voyante et mes anges gardiens d’ici ont trouvé une voiture toute noire aux vitres teintées, aux allures de corbillard, pour me cacher à l’arrière.
Nous sommes finalement arrivés à l’aéroport après détours et traversée d’un check-point d’Unités spéciales UN qui se déployaient (4 blindés et une trentaine d’hommes).
L’avion (qui a fait escale à Bunia = 2 x 200 kms de détour) avait un retard de 45 minutes. Du coup, nous avons atterri à Goma à 17h10, plus proches de la nuit. Or, je devais encore arriver jusqu’à mon logement à +/- 15 kms, pour finir cette aventure. Hélas, les infos reçues avant le vol étaient très mauvaises : à cause des barricades, il est très difficile de circuler à Goma en ce moment. On dit que la MONUSCO a tiré dans le tas. Au moins 6 morts dans les manifestants et de très nombreux blessés (16 morts en tout dans les 3 villes dans ces réactions anti-MONUSCO). Malgré les appels lancés par mes anges gardiens avant le vol, aucun de mes partenaires de Goma (eux-mêmes en difficulté) ne m’attendait à l’aéroport ; je devais donc me débrouiller seul. Comme taxi, plutôt qu’une voiture, j’ai opté pour une moto, car de nombreuses rues étaient très entravées par de grosses roches. En outre, la moto est bcp plus souple pour ne pas se faire arrêter par des gens en colère. J’ai alors repéré le taximoto qui m’inspirait le plus confiance pour relever le défi de traverser les obstacles… Vu les risques, on était tombé d’accord pour 4 fois davantage que le prix normal.
Des obstacles, il y en a eu des dizaines, les routes parsemées de roches étant le plus simple : en moto, nous pouvions slalomer… Mais j’ai eu vraiment chaud entre l’aéroport et Geshero : une heure d’adrénaline. Dans les quartiers populaires après l’ULPGL, il a fallu rebrousser chemin quand des gens tenaient des barricades car ils couraient vers moi pour m’attraper. J’ai eu droit à des cris de haine « muzungu Monesco ». nous répétions bien fort : « abana », non, il n’est pas un Blanc des Forces ONU. J’ai failli être attrapé trois fois, avec le risque d’être lynché.
Heureusement que j’avais bien choisi le taximoto : excellent pour virer vite et aller vite quand il fallait malgré les nombreuses roches parsemées par terre. Il était aussi très bon pour zigzaguer dans les ruelles (très cahoteuses, vu la lave qui est partout) et changer de route à la dernière seconde…
À un endroit perdu, la pente était trop raide et je suis descendu en fin d’élan pour qu’il puisse arriver en haut du raidillon fait d’une lave strillée. Du pur cross… On a fait une belle équipe. Il m’a demandé une prime pour les risques pris (il risquait lui aussi d’être lynché, pris avec moi). Prime que j’ai tout de suite acceptée, en doublant encore le prix de la course. Il a été vraiment bon ! C’est ainsi que je suis arrivé dans mon havre de paix, 15’ avant la nuit. J’ai aussitôt appelé les organisateurs de la session qui devait commencer ce mercredi 27/7 à l’Université ULPGL (Pays des Grands Lacs). Renseignements pris, il ne faut pas que je sorte ce mercredi comme hier et avant-hier. Session reportée à jeudi ou davantage…
S’ils m’avaient attrapé, nous étions prêts à parler pour désamalgamer et désamorcer leur violence qui était tournée vers MONUSCO qui a tiré ds la foule. Les gens ici sont dans une grande misère et de profondes souffrances quotidiennes. J’ai bien appris que derrière une personne qui rugit et explose, il y a tout cela… Les chiens les plus bruyants ne sont pas les plus dangereux. Tout ceci dit, je suis content de ne pas avoir été attrapé hier. CT la voie la meilleure et la plus plus simple pour que les esprits et les coeurs se calment d’abord.
Je suis au Nord-Kivu, à l’est du Congo, dans cette forêt équatoriale féérique, luxuriante, géante, sans amiante, envoûtante, fascinante, pleine de plantes qui vous hantent, cher Dante !
J’anime une session sur D-I-A-P-O-S (méthode pour faire tomber une injustice sociétale) qui a super bien démarré avec 40 personnes : le groupe est très solide dont un député provincial et des responsables de la région, comme le président de la société civile. Les situations sont déchirantes puisqu’ici, à Béni & Butembo, n’importe qui peut être égorgé à tout moment, que ce soit dans son propre champ, dans sa maison en fin de nuit ou sur la route : le véhicule est pris en embuscade puis incendié, après que les passagers aient été tous égorgés et dépouillés. Le carnage se passe chaque jour, avec une grande multiplicité d’acteurs impliqués. Les pires des violences ne sont pas les plus criantes. Nous cherchons à aller au-delà des violences directes, visibles (les branches de l’arbre), en creusant sous le sol pour atteindre les racines cachées des injustices. Chacun de nos téléphones mobiles a été fabriqué avec un morceau de la richesse exceptionnelle du sous-sol d’ici et avec du sang humain. Nous sommes tous impliqués, tous responsables d’agir de manière responsable. Le combat contre une injustice se gagne grâce à une mobilisation générale des moyens et des personnes. L’union de la grande majorité qui se délivre de sa terreur / torpeur fait la force du groupe dans sa capacité à neutraliser la poignée de prédateurs. L’union fait la force. 21 juillet 2022 !
François Villon écrit la « Ballade des pendus » en 1462, alors qu’il est condamné à la pendaison pour vols et meurtre :
Frères humains, qui après nous vivez, n’ayez les cœurs contre nous endurcis. Car, si pitié de nous pauvres avez, Dieu en aura plus tôt de vous mercis.
Vous nous voyez ci attachés, cinq, six : quant à la chair, que trop avons nourrie, elle est piéça dévorée et pourrie. Et nous, les os, devenons cendre et poudre. De notre mal personne ne s’en rie. Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
[…]
Prince Jésus, qui sur tous a maistrie, garde qu’Enfer n’ait de nous seigneurie. À lui, n’ayons que faire ne que soudre. Hommes, ici n’a point de moquerie. Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
Loin d’être un facteur de paix, le commerce des armes nourrit les guerres, appauvrit les nations, et enrichit l’industrie de l’armement.
En 2020, le chiffre d’affaires des cent plus grands groupes du secteur de l’armement a atteint un nouveau sommet: 531 milliards de dollars. Les États ont dépensé en 2021 la somme de 2113 milliards de dollars (rapport annuel du SIPRI).
Douze milliards de balles sont fabriquées chaque année, assez pour tuer la population entière de la planète !
Contre la tenue du salon de l’armement Eurosatory du 13 au 17 juin 2022, venez nombreux samedi 11 juin à une manifestation à Paris (Villepinte) et à Strasbourg (Place Kléber) :
● de 14h à 17h: Exposition “Sans Armes Citoyen.nes” en plein air sur le commerce des armes, avec cercle de silence.
● 17h: Célébration œcuménique au Temple Neuf.
Organisateurs :
Stop fuelling War (https://stopfuellingwar.org/fr/)- Cessez d’alimenter la guerre & Association des Églises Évangéliques Mennonites de France, via sa Commission de Réflexion pour la Paix
Contact: Thaddée Ntihinyuzwa thaddeentihinyuzwa@yahoo.fr et Pascal Keller pascal.keller119@gmail.org
Soyez les bienvenus à ce colloque, le 11 juin, à Paris (j’y prendrai part).
La guerre en Ukraine et les tensions persistantes dans les Balkans et dans le Caucase nous invitent à repenser à nouveau la sécurité en Europe. C’est pourquoi, lors de ce colloque, nous voulons découvrir la réflexion ‘Repenser la sécurité (Rethinking Security)’ lancée et portée par l’Église protestante de Bade, en Allemagne, depuis 2019.
Convaincus avec le Pape François que « toute guerre laisse le monde pire que dans l’état où elle l’a trouvé […], elle est toujours un échec de la politique et de l’humanité, une capitulation honteuse et une déroute devant les forces du mal », convaincus avec Gandhi que « la fin est dans les moyens comme l’arbre est dans la semence », nous nous interrogerons sur la façon de faire aujourd’hui de la non-violence active le cœur d’un projet de société européenne – en recherche de sécurité commune – encourageant la résistance non-violente civile – engagé pour une paix préventive et juste – faisant preuve d’un réalisme politique courageux.
Dès le IVe siècle, le traditionnel conflit de devoirs est posé par Ambroise de Milan : ou bien le chrétien observera le précepte selon lequel il doit s’abstenir de toute violence mais il manquera à l’obligation qui est la sienne de venir en aide à la victime de l’agression injuste, il deviendra alors complice de l’injuste agresseur ; ou bien il mettra sa force à la disposition de la victime de l’injustice et il manquera au précepte de non-violence contenu dans l’Évangile.
Nous avons les moyens aujourd’hui de sortir de ce dilemme très mal posé, au regard des actuelles ressources en gestion des conflits. Voir le schéma ci-dessous.
La meilleure défense possible n’est pas dans la contre-agression ni dans la passivité, elle est dans une mobilisation de nos meilleures forces vives (CD juste, CV et NE…) à même de réguler la violence des individus et d’optimiser les sorties de crise. « Renoncer à l’usage de la force » est une formule inadéquate qui crée le dilemme entre force (sous-entendue violente) ou non-force (sous-entendue non-violente ; à vrai dire, passivité). Le défi est d’optimiser le déploiement des forces sociales, économiques, culturelles, politiques, etc., qui font effectivement reculer le seuil des violences légitimées en dernier recours.
C’est dans le régime du « oui à la non-violence autant que possible mais il faut bien la violence en dernier recours » que les doctrines de la guerre juste ont aménagé les exceptions, étudié la licéité de la guerre dans certains cas, avec l’intention d’éclairer les politiciens à partir de la morale. C’est dans un mouvement très différent du « non seulement la fin juste mais déjà et encore des moyens non piégés par la violence » que les théologies de la paix juste s’intéressent à débloquer nos potentiels de créativité quand nous excluons les moyens violents : ouvrir les possibles et inventer les alternatives qui font effectivement reculer le seuil fatal du conflit basculant dans une violence sans retour. Tant de batailles sont gangrenées par le mal qu’elles prétendent combattre. Tant de violences justifiées en tant que « moindre mal » sont à vrai dire un mal qui se rajoute au premier, un « double mal ». Tandis que les théologiens d’antan s’intéressaient aux exceptions de légitime violence, que l’on doit bien accepter dans ce monde corrompu par le péché (la fin juste justifiant in fine les moyens violents, à titre de moindre mal), les porteurs du nouveau paradigme soulignent avec Gandhi la cohérence entre fin et moyen et s’intéressent au mécanisme inverse, à la manière dont des moyens injustes corrompent les fins et les rendent finalement injustes. La fin valant ce que valent les moyens, ils se concentrent sur les conséquences nécessairement impliquées par le jeu même des moyens mis en œuvre, et surtout ils apprennent comment déjouer les pièges diaboliques de la violence aussi glissante qu’une planche-à-savon très penchée, qui entraîne irrésistiblement les belligérants vers une riposte toujours plus aveugle.
Extrait de mon article à paraître dans les Actes du Colloque sur les paix justes, tenu à la Catho de Paris, 10-12 mars 2022.
Voici ce qu’un ami a écrit sur sa page FB : « Tant qu’on est en situation de pouvoir se défendre et de se faire comprendre par la parole ou la non-violence, autant les utiliser le plus possible. Il n’en demeure pas moins que, dans un certain nombre de cas, la légitime défense se justifie. L’usage de la force s’avère nécessaire dans certains cas. Si ma patrie et/ou ma famille, étaient violemment attaquées, je n’hésiterais pas à les défendre. Ce serait même mon devoir. »
Une telle réflexion comporte, selon moi, plusieurs schémas implicites à déconstruire, ce que je m’attache à faire depuis une dizaine de posts à ce propos (pour les lire, rassemblés : https://etiennechome.site/category/politique/nv/).
Devoir de défendre ma famille, bien sûr ; la bonne question est : comment le fait-on au mieux ? On n’arrête pas d’apprendre cet art… Usage de la force, en légitime défense ? Bien sûr ; la difficulté est de discerner où passe la ligne séparant force de légitime défense et violence. Et surtout le défi est d’apprendre à déployer cette force véritable, qui n’est pas violence. La première se justifie, la deuxième non.
Il y a tellement mieux à faire que de justifier nos exceptions à la non-violence (démarche des doctrines étudiant les licéités de la guerre juste) : apprendre à déjouer les pièges diaboliques de la violence (démarche des doctrines de la paix juste). Or, la dynamique conflictuelle est aussi glissante qu’une planche-à-savon très penchée, sur laquelle la violence nous entraîne irrésistiblement vers les enfers, en nous réduisant à une riposte toujours plus aveugle.
Dans une grave crise, nous perdons vite les pédales, en faisant exactement le contraire des bons gestes qui sauvent, comme quand nous nous noyons et coulons la personne qui vient nous aider. Pris à la gorge, nous oublions bien vite les beaux principes dégoulinant de bonté. Voilà pourquoi des personnes engagées dans la non-violence active comme Jean Goss considèrent décisif de décider explicitement et en amont des combats d’exclure tout moyen violent. Le fait de poser ainsi ce choix en conscience contribue à débloquer son potentiel de créativité pour une gestion du conflit la plus constructive possible. C’est en ouvrant les possibles qu’on échappe à l’enfer, c’est en créant des possibles, à côté de la planche-à-savon, qu’on optimise la fécondité de la légitime défense !