Prosopopées, telles mes poupées attroupées par épopée 

La prosopopée est la figure de style qui consiste à faire parler un mort, un animal, une chose personnifiée, une abstraction.

Exemple de Charles Baudelaire :
« Je suis la pipe d’un auteur.
On voit, à contempler ma mine,
D’Abyssinienne ou de Cafrine,
Que mon maître est un grand fumeur. »

Exemple d’Alfred de Vigny pour la maison du berger :
« Elle me dit : Je suis l’impassible théâtre
Que ne peut remuer le pied de ses acteurs.
Mes marches d’émeraude et mes parvis d’albâtre,
Mes colonnes de marbre ont les dieux pour sculpteurs.
Je n’entends ni vos cris ni vos soupirs, à peine.
Je sens passer sur moi la comédie humaine
Qui cherche en vain au ciel ses muets spectateurs.

Je roule avec dédain, sans voir et sans entendre,
À côté des fourmis, les populations.
Je ne distingue pas leur terrier de leur cendre.
J’ignore en les portant les noms des nations.
On me dit une mère et je suis une tombe.
Mon hiver prend vos morts comme son hécatombe,
Mon printemps ne sent pas vos adorations.

Avant vous, j’étais belle et toujours parfumée.
J’abandonnais au vent mes cheveux tout entiers.
Je suivais dans les cieux ma route accoutumée,
Sur l’axe harmonieux des divins balanciers.
Après vous, traversant l’espace où tout s’élance,
J’irai seule et sereine, en un chaste silence.
Je fendrai l’air du front et de mes seins altiers »
(Les Destinées, III).

Lambada-air au lampadaire

Ah ! la lambada, ce méga tube brésilien de 1989 :


https://www.youtube.com/watch?v=iyLdoQGBchQ
dont voici les paroles traduites en français :
 
« En pleurant, il se souviendra de l’ amour
duquel il n’ a pas su s’ occuper un jour  (bis)
 
Le souvenir ira avec lui où qu’il aille.
Le souvenir ira avec moi
où que j’aille pour toujours
 
Danseront le soleil et la mer
et je garderai dans le regard
que l’ amour fait perdre les rencontres.
La lambada sera souvenir de cet amour
qui, pour un jour, un instant, a été roi.
 
Chanson de rire et de douleur, mélodie d’ amour,
un moment qui reste dans l’ air ».

Oui au nom, non ?

« Dans beaucoup de cultures, le nom propre est étroitement associé à la personne. La fonction d’un nom propre est l’identification : distinguer et individualiser une personne ou une chose à l’aide d’une étiquette spéciale » (Claudia Reeder, Nom-Identité ou à la recherche du nom perdu, dans Littérature, 1978, p. 23).

Je suis un état civil ?
Un prénom, un nom de famille ?
Une date, un lieu de naissance, une ville ?
Une nationalité, un domicile ?

Je suis une personne
Morale, physique,
Grande ou petite,
Qui ne ressemble à personne
D’autre qu’à moi-même ?

Je suis le souvenir d’un passé,
Sous les couvertures des années,
Qui font partie de mon identité ?

Je suis le souvenir de mes maux.
Ils sont à l’origine de mes cris
Et de mes frustrations endolories ?

Je suis l’identité de mes mots.
J’ai la nationalité d’une histoire,
Je suis l’identité de ces phrases
Qui me définissent par des mots ?

Je suis l’identité de mes rêves.
Ils m’appartiennent et me définissent
Tels que je suis et voudrais être ?

Je suis le souvenir et l’identité
De tout l’amour
Partagé ou non partagé
Que je porte en moi tous les jours.

Nous sommes tous dans le même bateau.
Notre enfance, sans bruit, dort
Dans un rafiot, avant de trouver le bon port.

En aveugle, sous le brouillard des eaux,
Sous le hâle d’une encre désir,
Mon identité ne demande qu’à jouir

(Jean-Stephane BOZZO, Identité).

Fais-en des tiennes

L’ancienne formule « faire des farces siennes »
s’est abrégée avec le temps en « faire des siennes ». 
Cela signifie jouer un mauvais tour, faire des bêtises / folies,
qui correspondent bien à son style propre.
 
Fais-en des tiennes, comme moi :
faute de changer l’eau en vin,
je change jeunes rats en faisan !
Folie bergère d’été, est et sera…

A l’unisson

Je t’adore à l’égal de la voûte nocturne,
Ô vase de tristesse, ô grande taciturne,
Et t’aime d’autant plus, belle, que tu me fuis,
Et que tu me parais, ornement de mes nuits,
Plus ironiquement accumuler les lieues
Qui séparent mes bras des immensités bleues.

Je m’avance à l’attaque, et je grimpe aux assauts,
Comme après un cadavre un chœur de vermisseaux,
Et je chéris, ô bête implacable et cruelle !
Jusqu’à cette froideur par où tu m’es plus belle !

(Charles Baudelaire, Les fleurs du mal).

Peine immense de te perdre

Extraits d’Aragon, Le regard de Rancé :
« […] Un soir, j’ai cru te perdre. Et, de ce soir, je garde
le pathétique espoir d’un miracle incessant.
Mais la peur est entrée en moi comme une écharde.
Il me semble que je retarde
à tenir ton poignet la fuite de ton sang.
[…]
Comme autour de la lampe un concert de moustiques
Vers le plafond spiral et la flamme convoie
Du fin fond du malheur où reprend le cantique
Dans un fandango fantastique
Un chœur dansant s’élève et répond à ta voix

Ce sont tous les amants qui crurent l’existence
Pareille au seul amour qu’ils avaient ressenti
Jusqu’au temps qu’un poignard l’exil ou la potence
Comme un dernier vers à la stance
Vienne à leur cœur dément apporter démenti

Si toute passion puise dans sa défaite
Sa grandeur, sa légende et l’immortalité
Le jour de son martyre est celui de sa fête
Et la courbe en sera parfaite
A la façon d’un sein qui n’a point allaité

Toujours les mêmes mots à la fin des romances
Comme les mêmes mots les avaient commencées
Le même cerne aux yeux dit une peine immense
Comme il avait dit la démence
Et l’éternelle histoire est celle de Rancé

Beau-t’es / Beauté

La courbe de tes yeux fait le tour de mon cœur,
Un rond de danse et de douceur,
Auréole du temps, berceau nocturne et sûr,
Et si je ne sais plus tout ce que j’ai vécu
C’est que tes yeux ne m’ont pas toujours vu.

Feuilles de jour et mousse de rosée,
Roseaux du vent, sourires parfumés,
Ailes couvrant le monde de lumière,
Bateaux chargés du ciel et de la mer,
Chasseurs des bruits et sources des couleurs

Parfums éclos d’une couvée d’aurores
Qui gît toujours sur la paille des astres,
Comme le jour dépend de l’innocence
Le monde entier dépend de tes yeux purs
Et tout mon sang coule dans leurs regards

(Paul Éluard, La courbe de tes yeux).

D’Yeux de Dieu ?

Vous avez un regard singulier et charmant.
Comme la lune au fond du lac qui la reflète,
Votre prunelle, où brille une humide paillette,
Au coin de vos doux yeux roule languissamment.
Ils semblent avoir pris ses feux au diamant.
Ils sont de plus belle eau qu’une perle parfaite.
Et vos grands cils émus, de leur aile inquiète,
Ne voilent qu’à demi leur vif rayonnement.
Mille petits amours, à leur miroir de flamme,
Se viennent regarder et s’y trouvent plus beaux.
Et les désirs y vont rallumer leurs flambeaux.
Ils sont si transparents, qu’ils laissent voir votre âme,
Comme une fleur céleste au calice idéal
Que l’on apercevrait à travers un cristal
(Théophile Gautier, À deux beaux yeux).