Souvenir, est-ce campette ?

J’espérais bien pleurer, mais je croyais souffrir
En osant te revoir, place à jamais sacrée,
Ô la plus chère tombe et la plus ignorée
Où dorme un souvenir !

Que redoutiez-vous donc de cette solitude,
Et pourquoi, mes amis, me preniez-vous la main,
Alors qu’une si douce et si vieille habitude
Me montrait ce chemin ?

Les voilà, ces coteaux, ces bruyères fleuries,
Et ces pas argentins sur le sable muet,
Ces sentiers amoureux, remplis de causeries,
Où son bras m’enlaçait.

Les voilà, ces sapins à la sombre verdure,
Cette gorge profonde aux nonchalants détours,
Ces sauvages amis, dont l’antique murmure
A bercé mes beaux jours.
[…]
Ô puissance du temps ! ô légères années !
Vous emportez nos pleurs, nos cris et nos regrets;
Mais la pitié vous prend, et sur nos fleurs fanées
Vous ne marchez jamais.
[…]
En est-il donc moins vrai que la lumière existe,
Et faut-il l’oublier du moment qu’il fait nuit ?
Est-ce bien toi, grande âme immortellement triste,
Est-ce toi qui l’as dit ?
[…]
Regrettez la torpeur qui vous cloue à la terre,
Vos agitations dans la fange et le sang,
Vos nuits sans espérance et vos jours sans lumière
C’est là qu’est le néant !
[…]
Oui, sans doute, tout meurt; ce monde est un grand rêve,
Et le peu de bonheur qui nous vient en chemin,
Nous n’avons pas plus tôt ce roseau dans la main,
Que le vent nous l’enlève.
[…]
La foudre maintenant peut tomber sur ma tête ;
Jamais ce souvenir ne peut m’être arraché !
Comme le matelot brisé par la tempête,
Je m’y tiens attaché.

Je ne veux rien savoir, ni si les champs fleurissent ;
Ni ce qu’il adviendra du simulacre humain,
Ni si ces vastes cieux éclaireront demain
Ce qu’ils ensevelissent.

Je me dis seulement : À cette heure, en ce lieu,
Un jour, je fus aimé, j’aimais, elle était belle.
J’enfouis ce trésor dans mon âme immortelle,
Et je l’emporte à Dieu !
                         (Alfred de Musset, Souvenir).

John Olcroft

« Je suis, donc je pense » avant « je pense, donc je suis »

« Je pense, donc je suis » de Descartes est inversé par Blaise Pascal : « je suis, donc je pense ». Je suis qui je suis, en amont de mes « moi » qui pensent et de mes « moi » diversement affectés par des vécus… Par exemple, quand je pense, je suis parfois avec ce que je voudrais être et que je ne suis pas ; autrement dit, quand je pense, je ne suis pas simplement, pleinement ! « Je suis qui je suis » est la réponse divine, simple et pleine (Exode 3,14), qui nous inspirent aujourd’hui, dans nos élans de pleine conscience / Présence dans l’instant présent…

Pascal semble être le premier philosophe à réfléchir le « moi » dont il souligne le caractère fuyant et inassignable : « Qu’est-ce que le « moi » ? Un homme qui se met à la fenêtre pour voir les passants, si je passe par là, puis-je dire qu’il s’est mis là pour me voir ? Non, car il ne pense pas à moi en particulier. Mais celui qui aime quelqu’un à cause de sa beauté, l’aime-t-il ? Non, car la petite vérole, qui tuera la beauté sans tuer la personne, fera qu’il ne l’aimera plus. Et si on m’aime pour mon jugement, pour ma mémoire, m’aime-t-on, moi ? Non, car je puis perdre ces qualités sans me perdre moi-même. Où est donc ce « moi », s’il n’est ni dans le corps, ni dans l’âme ? Et comment aimer le corps ou l’âme, sinon pour ces qualités qui ne sont point ce qui fait le « moi », puisqu’elles sont périssables ? Car aimerait-on la substance de l’âme d’une personne abstraitement, et quelques qualités qui y fussent ? Cela ne se peut, et ce serait injuste. On n’aime donc jamais personne, mais seulement des qualités. Qu’on ne se moque donc plus de ceux qui se font honorer pour des charges et des offices, car on n’aime personne que pour des qualités empruntées » (Blaise Pascal, Laf. 688, Sel. 567).

C’est vendredi 13 août. À moi, Kigali’s routes

Toi qui pâlis au nom de Vancouver,
tu n’as pourtant fait qu’un banal voyage.
Tu n’as pas vu la Croix du Sud, le vert
des perroquets ni le soleil sauvage.

Tu t’embarquas à bord de maint steamers.
Nul sous-marin ne t’a voulu naufrage.
Sans grand éclat tu servis sous Stürmer,
pour déserter tu fus toujours trop sage.

Mais qu’il suffise à ton retour chagrin
d’avoir été ce soldat pérégrin
sur les trottoirs des villes inconnues,

Et, seul, un soir, dans un bar de Broadway,
d’avoir aimé les grâces Greenaway
d’une Allemande aux mains savamment nues

(Marcel Thiry, Toi qui pâlis au nom de Vancouver, 1924).

Les fleurs, cartes de visite du Ciel

Je vous le dis avec des fleurs.  
Merci à vous, Paul Ricœur :

« Abstraitement séparées de l’expérience spirituelle qui les fonde, les valeurs sont comme des fleurs coupées dans un vase » : belles mais non durables.

« Je n’aurais pas dû entrer dans ce champs pour cueillir des coquelicots. Je le savais, pourtant : les coquelicots, il faut les aimer avec les yeux, pas avec les mains. Dans les yeux, ils flambent. Au bout des doigts, ils fanent » (Christian Bobin, Geai).

La véritable liberté d’ordre intérieur

« Il est évidemment souhaitable d’être libre de ses mouvements sur le plan physique, mais considérez que cette liberté-là est secondaire. La véritable liberté à laquelle il vaut la peine d’aspirer est d’ordre intérieur. Car à quoi cela vous servira-t-il de pouvoir aller librement où vous voulez, si vous transportez en vous des pensées et des sentiments qui vous empoisonnent, qui vous ligotent et qui finiront un jour par vous clouer au lit ? » (Omraam Mikhaël Aïvanhov).

Levé de bonheur dans la douce heure

« « C’est quoi l’herbe ? », m’a posé la question un enfant, les mains pleines de touffes.  Qu’allais-je lui répondre ? Je ne sais pas davantage que lui. Peut-être que c’est le drapeau de mon humeur, tissé d’un tissu vert espoir. Peut-être que c’est le mouchoir de Notre Seigneur, laissé sciemment à terre par lui, cadeau parfumé pour notre mémoire, portant la marque de son propriétaire, dans un coin, bien visible, pour que nous demandions « À qui est-ce ? ».

Ou bien l’herbe, qui sait, est peut-être aussi une enfant, la toute dernière-née de la végétation ? Ou bien, pourquoi pas, une livrée hiéroglyphique, qui veut dire : « je pousse indifféremment partout, zones larges ou étroites, je pousse aussi bien chez les Noirs que chez les Blancs, Kamuck, Tuckahoe, Congressistes, Cuff, tout le monde aura la même chose, tout le monde y a droit sans distinction. »  

Et puis je me dis, tout à coup, que c’est peut-être la splendide et folle chevelure des tombes. En moi, un caresseur de vie où qu’elle bouge, où qu’elle vire, avant, arrière, attentif aux coins reculés, secondaires, ne faisant l’impasse sur personne, sur rien, absorbant tout, très au fond de moi, pour mon chant » (Walt Whitman).

Valse des continents : l’Afrique en gestation

Près de Goma, le volcan Nyiragongo vient encore de cracher sa lave liquide. Situez-vous dans quelle valse des continents ses éruptions fréquentes s’inscrivent ? Il se trouve le long de la faille du Grand Rift, s’étirant de l’Érythrée jusqu’au Mozambique, en passant par les grands lacs africains, avec une largeur de 40 à 60 kms. Cette faille tectonique s’écarte au rythme de +/- 1 cm par an, déchirant peu à peu l’Afrique en deux. L’ouverture se fait à partir du nord : la fermeture-éclair d’Afar en Éthiopie s’ouvre au rythme de 2 cms par an. À ce rythme, cette zone d’accrétion fera une largeur de 20 kms dans un million d’années et de 200 kms dans dix millions d’années. Elle sera envahie par l’eau de mer, créant ainsi un sous-continent africain à l’est. La petite bande de terre du triangle d’Afar (à cheval entre l’Éthiopie, Djibouti et l’Érythrée) va se détacher de l’Afrique et s’éloigner avec la plaque arabe. L’Arabie se sépare de l’Afrique déjà depuis 20 millions d’années, à une moyenne de 15 millimètres par an. Au milieu, la Mer rouge s’agrandit. Bientôt (à l’échelle des temps géologiques), elle formera avec le Golfe d’Aden un vaste océan !

L’Arabie remonte aussi vers le nord, en se détachant du Sinaï, à une vitesse supérieure que celle du Grand Rift, ce qui crée la faille gigantesque du Levant. À vrai dire, c’est toute l’Afrique qui remonte vers le nord, au rythme de 2 cms par an. Sa collision avec l’Europe déjà commencée est la plus perceptible à Gibraltar : 600 victimes à Al-Hoceima lors du dernier tremblement de terre, le 24/2/2004. Le détroit de Gibraltar se referme peu à peu et, dans 50 millions d’années, la Méditerranée aura quasi disparue… L’Afrique et l’Europe ne formeront plus qu’un seul continent. Dans cette valse des continents, où en seront les humains alors ?

Voir aussi https://etiennechome.site/la-constitution-geologique-de-leurope/

Réformes de l’impôt des multinationales + du Conseil de sécurité des Nations unies

Ce samedi 10 juillet 2021, le G20 a consolidé l’accord sur « une architecture fiscale internationale plus stable et plus équitable », qui instaure un impôt mondial d’au moins 15 % sur les bénéfices des multinationales. Bravo aux diplomates qui ont œuvré dans l’ombre avec constance pour parvenir à cette avancée majeure dans notre village devenu planétaire.

Autre avancée à y faire : la réforme du droit de veto des 5 Grandes Puissances au Conseil de sécurité des Nations unies. Sa composition et son fonctionnement qui reflètent la Realpolitik au sortir de la Seconde Guerre mondiale, ne reflètent pas la Société internationale contemporaine.

Parmi les propositions de réforme, celles qui impliquent davantage chaque continent dans le fonctionnement du Conseil et qui responsabilisent les différents groupes géographiques dans le maintien de la paix et de la sécurité internationale. Dans cette perspective davantage inclusive, les États les plus importants de ces groupes pourraient occuper des mandats à long terme renouvelables.

À partir de leurs intérêts immédiats, à courte vue de myopes, les Grandes Puissances nucléaires sont tentées de s’accrocher à leurs droits acquis du passé et de bloquer cette indispensable réforme pour une meilleure gouvernance mondiale. Aidons nos amis de ces 5 pays, notamment les Français et Britanniques, à intelligemment comprendre leurs intérêts durables, en acceptant ces changements en temps de paix, sous peine de les subir, contraints et forcés, après des conflits mal gérés, voire après une guerre : ce serait le pire des scénarios… Ensemble, tirons les leçons de l’Histoire, apprenons des 2 Guerres mondiales du siècle dernier. Faisons mieux que la Société des Nations érigée en 1919 et l’ONU érigée en 1946.

Garantir certaines libertés, en refuser d’autres

Dans un post précédent, j’ai présenté la question que posa Karl Popper : comment une société ouverte et tolérante peut-elle juguler l’intolérance, tout en honorant ses propres principes fondés sur la tolérance ? Le défi est d’articuler le droit de liberté au devoir de ne pas tolérer les actes intolérants.

Voici une autre facette du défi démocratique : garantir à tous la liberté d’aller et venir, la liberté de parole et d’initiatives et, en même temps, réussir à refuser à tous la liberté de tricher, de voler et de tuer, y compris à petits feux sur les réseaux sociaux…

Un slogan est fréquemment attribué à Louis Veuillot, politicien conservateur chrétien qui dénonçait il y a 150 ans les dangers  d’un monopole de l’État sur l’Éducation nationale : « Quand les Libéraux sont au pouvoir, nous leur demandons la liberté, parce que  c’est leur principe, et, quand nous sommes au pouvoir, nous la leur refusons, parce que c’est le nôtre », présenté abruptement ainsi : « Je demande la liberté de parole au nom de vos principes et je vous la refuse au nom des miens ». Ces propos ont été faussement mis dans sa bouche. Pour comprendre ses propres propos, cf. 

qui renvoie au texte intégral de Veuillot, sur le site de la BNF (Gallica) :

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k700447p.zoom.r=l’univers.langFR.