« La disparition des êtres est un coquillage vide. Tu le colles à ton oreille et, dans ce vide, quelque chose bruit » (Wajdi Mouawad, Anima).
Catégorie : Mort
De la vie à la mort à la Vie ?
« Nous devons nous y habituer : aux plus importantes croisées des chemins de notre vie, il n’y a pas de signalisation » (Ernest Hemingway).
« À Barjac, une plaque sur le mur du cimetière : « Passant, arrête-toi et prie, c’est ici la tombe des morts. Aujourd’hui pour moi, demain pour toi ».
[…] Elle résonne comme l’inscription des Romains à l’entrée de leurs cimetières : « Je fus ce que tu es, tu seras ce que je suis ».
[…] Voilà longtemps que je ne m’étais pas trouvé exactement tel que je le désirais : en mouvement. Je jouissais de me tenir debout dans la campagne et d’avancer sur ces chemins choisis. Noirs, lumineux, éclaircis. C’était la noble leçon de Mme Blixen devant le paysage de sa ferme africaine : « Je suis bien là, où je me dois d’être ». C’était la question cruciale de la vie. La plus simple et la plus négligée » (Sylvain Tesson, Sur les chemins noirs).
Âmes-soeur
« Et ces deux âmes s’envolèrent ensemble,
l’ombre de l’une mêlée à la Lumière de l’autre »
(Victor Hugo).
« Un ciel éternel nous appartient, le plaisir infini de toi et moi : deux formes, une Âme » (Rûmi).
L’humusation
Donner la vie après sa mort en régénérant la terre : se faire enterrer à même la terre. L’humusation est un processus contrôlé de transformation des corps humains par les micro-organismes, qui sont présents uniquement dans les premiers cm du sol, dans un compost de broyats de bois d’élagage, qui transforme, en 12 mois, les dépouilles mortelles en humus sain et fertile. Écologiquement et économiquement, l’humusation est une solution bien meilleure que l’enterrement et l’incinération pour permettre à nos corps, en fin de vie, de suivre le cycle complet de transformation en douceur.
Cf. https://www.humusation.org/.
« Bientôt, nous plongerons dans les froides ténèbres.
Adieu, vive clarté de nos étés trop courts !
J’entends déjà tomber avec des chocs funèbres
le bois retentissant sur le pavé des cours.
Tout l’hiver va rentrer dans mon être : colère,
haine, frissons, horreur, labeur dur et forcé.
Et, comme le soleil dans son enfer polaire,
mon cœur ne sera plus qu’un bloc rouge et glacé.
J’écoute en frémissant chaque bûche qui tombe.
L’échafaud qu’on bâtit n’a pas d’écho plus sourd.
Mon esprit est pareil à la tour qui succombe,
sous les coups du bélier infatigable et lourd.
II me semble, bercé par ce choc monotone,
qu’on cloue en grande hâte un cercueil quelque part.
Pour qui ? C’était hier l’été ; voici l’automne !
Ce bruit mystérieux sonne comme un départ »
(Charles BAUDELAIRE, Spleen et Idéal, 1857).
Tombe-je sur ta tombe ou dans ma tombe ?
Il existe un tunnel obscur dans la Lumière Infinie.
On l’appelle « Temps ».
Lorsqu’un humain entre dans ce tunnel,
on appelle cela « naître ».
Lorsqu’un humain marche au long de ce tunnel,
on appelle cela « vivre ».
Lorsqu’un humain sort de ce tunnel,
on appelle cela « mourir ».
Considérer que vivre se réduit à évoluer au long de ce tunnel obscur,
cela s’appelle « illusion ».
Percer des trous dans ce tunnel obscur,
cela s’appelle « science ».
Savoir que la Lumière est autour du tunnel,
cela s’appelle « Foi ».
Voir la Lumière dans le tunnel obscur,
cela s’appelle « Amour ».
Voir la Lumière à travers le Tunnel obscur,
cela s’appelle « Sagesse ».
Éclairer le tunnel obscur de sa propre Lumière,
cela s’appelle « Sainteté ».
Confondre la Lumière et le Tunnel obscur,
cela est au-delà des mots
(Lao Tseu, extrait du Tao Te King, 600 ans avant J-C).
« Ne confonds pas ton chemin avec ta destination. Ce n’est pas parce que c’est orageux aujourd’hui que cela signifie que tu ne te diriges pas vers le soleil » (Anthony Fernando).
Je souffre tant de ton absence
Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m’attends.
J’irai par la forêt, j’irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.
Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.
Je ne regarderai ni l’or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
Et quand j’arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.
Victor Hugo, Les Contemplations, 3 septembre 1847
Les feuilles mortes se ramassent à la pelle
Tu vois, je n’ai pas oublié
Les feuilles mortes se ramassent à la pelle
Les souvenirs et les regrets aussi
Et le vent du Nord les emporte
Dans la nuit froide de l’oubli
Tu vois, je n’ai pas oublié
La chanson que tu me chantais
(Yves Montand, chanson Les feuilles mortes).
Le sagouin de Mauriac
« Vous m’en bouchez un coin » signifie « vous me rendez muet d’étonnement ». Exemple : « Et elle finit entre haut et bas sur une expression triviale que jamais la baronne n’avait entendue. […] « Ça vous en bouche un coin ». Oui c’est cela qu’elle avait dit » (François Mauriac, Le Sagouin, 1951).
Un sagouin est un ouistiti ou une personne sale, un enfant malpropre. Dans le roman de Mauriac, c’est d’abord un enfant, nommé Guillaume, mal aimé et rejeté par sa mère, qui finira par se suicider avec son père, lequel porte les mêmes blessures et souffrances.
Mauriac : la tragédie humaine à l’état brut, dans un récit bref, d’un rythme ascendant, sans concession à l’accessoire. L’action est intérieure, tout se déduit des sentiments, emmêlés dans le jeu des passions humaines…
Mauriac, romancier à la baguette magique, par « son verbe éblouissant, son style poétique, dont le frémissement laisse deviner l’âme sensible de l’homme, ses émois, ses déchirements et sa curiosité toujours anxieuse » (Sculfort).
Le risque d’être transformé en statue de sel
« Le sort de nos vies est entrelacé sur plusieurs générations. Les êtres et leurs fragilités, par-delà les années, sont noués les uns aux autres par les chocs que leurs corps ont enregistrés. Sur plusieurs générations, une matière humaine modifiée, brassée par les exils, traverse des deuils et des naissances, des guerres et des crises. Elle s’attache des espoirs de vie meilleure et survit grâce à des secrets, des oublis, des camouflages.
Quand une génération s’est autorisée à n’être que tournée vers l’avenir, alors la nécessité de se retourner incombent à ceux qui suivent. Il y a plusieurs récits bibliques qui interdisent ce retour : lorsque Sodome est détruite, il ne faut pas se retourner, au risque d’être transformé en statue de sel = on est pétrifié, réifié. Parce que se retourner, c’est souvent regarder les morts. Quand on regarde trop la mort, la paralysie vient, on devient soi-même un gisant » (Camille de Toledo, Thésée, sa vie nouvelle, p. 250).
Fils sans père, Sartre revint sans fin à ce père absent et à son procès : « Quand les pères ont des projets, les fils ont des destins », dit-il à propos du père de Flaubert.
Sagesses de l’automne et de l’hiver de la vie ?
Notre voisine s’en est allée en paix, dans la douceur et la confiance… Pendant ses funérailles, je voyais comment, à travers sa maladie, ses parts protectrices puissantes qui contrôlaient tout ce qui bougeait autour d’elle avaient peu à peu déposé leurs armes. À travers son chemin de croix, le Seigneur l’a transformée, en l’amenant pas à pas à la douceur, à la reconnaissance par un simple sourire, un simple regard de connexion avec l’autre… Étonnante sagesse de la saison vieillesse !?
Son chemin quotidien de dépossession et de dépouillement m’a impacté. Je réalise que je vis un chemin dans la même direction, en vieillissant. Je suis déjà en train de muer : toujours moins de testostérone, je ralentis, je fais de moins en moins, je goûte de plus en plus de prendre le temps d’être, de contempler, d’être avec, d’écouter de la musique, de respirer simplement, de visiter ma maison intérieure, dans ses sensations, émotions, passions, abandons/lâcher-prises, etc. Joie que ces saveurs vont continuer à se déployer en moi. Elles font les délices de l’automne de ma vie…
Ma vie ralentit et se pose,
se ménopause, me mène-aux-pauses.
L’esprit d’enfance à l’heure de la mort
« Si l’enfance existe encore en vous, gardez-la. Il est peu croyable qu’il vous en reste assez pour vous aider à vivre, mais ça vous servira sûrement pour mourir » (Georges Bernanos).