Prendre au sérieux de ne pas se prendre au sérieux

« S’il te plait, appelle-moi par mes vrais noms
Ne dis pas que je partirai demain,
car je nais aujourd’hui encore.
Regarde profondément : je nais à chaque seconde.
Je suis un bourgeon sur une branche au printemps.
Je suis un petit oiseau aux ailes encore fragiles
qui apprend à chanter dans son nouveau nid.
Je suis une chenille au cœur d’une fleur.
Je suis un joyau caché dans la roche.
Je ne cesse de naître, pour rire et pour pleurer,
pour craindre et espérer.
Le rythme de mon cœur, c’est la naissance
et la mort de tous les êtres en vie.
Je suis l’éphémère se métamorphosant à la surface de la rivière
et je suis l’oiseau qui, quand le printemps arrive,
naît juste à temps pour manger l’éphémère.
Je suis la grenouille qui nage heureuse dans l’étang clair
et je suis l’orvet qui, approchant en silence,
se nourrit de la grenouille.
[…]
Ma joie est comme le printemps,
si chaude qu’elle fait fleurir les fleurs
sur tous les chemins de la vie.
Ma souffrance est comme une rivière de larmes,
si pleine qu’elle remplit les quatre océans.
S’il vous plaît, appelez-moi par mes vrais noms,
que j’entende ensemble mes cris et mes rires,
que je voie ma joie mais aussi mes peines.
S’il vous plaît, appelez-moi par mes vrais noms
pour que je puisse me réveiller
et pour que reste ouverte la porte de mon cœur,
la porte de la compassion… »
(Thich Nhat Hanh, moine bouddhiste décédé le 22/1/22).

Tabou levé

Est-il tabou de toucher au mot tabou ? C’est en tous les cas un des rares mots qui signifient la même chose dans toutes les langues. What about tabou (anagrammes !) ? C’est un mot polynésien qui désigne les interdits sacrés. Le terme est parvenu à l’ensemble des humains via les carnets de voyage du capitaine Cook : sous l’influence des missionnaires chrétiens, la reine Elizabeth Kaahumanu a eu le courage, à la mort de son époux, en 1819, de lever le tabou interdisant les femmes de manger avec les hommes lors d’un banquet. Sa manière à elle d’honorer la mémoire de son époux sans laids poux !

Vers holorimes

Vers holorimes de Lucien Reymond :

Dans cet antre, lassés de gêner au palais,
Dansaient, entrelacés, deux généraux pas laids.

Au Café de la Paix, Grand-Père, il se fait tard.
Oh ! Qu’a fait de la pègre en péril, ce fêtard ?

Dans ton site sévère assistant sa prestance,
Danton cite ces vers, assis, stance après stance.

Le vent d’orage lointain

Qu’est-ce qui relie
‘onde gravitationnelle’ 
                 et
‘le vent d’orage lointain’
?
Si tu n’as pas trouvé, la réponse se trouve en bas de ce texte.

« Au lieu que je me réapproprie mon passé, c’était lui
qui s’emparait de mon présent, et alors même que je croyais échapper au
champ magnétique du temps, je fonçais telle une fusée dans son noyau secret » (Philip Roth, Pastorale américaine). 

Partout où on va, on emporte un peu de son paysage intérieur d’origine.
On ne peut pas totalement s’échapper de soi, dixit Nicolas Mathieu,
qui termine   ainsi son roman Leurs enfants après eux :

« Anthony préférait ne pas voir ça. Il enfourcha la Suzuki et regagna très vite la Départementale. Dans ses mains, il retrouva la trépidation panique du moteur, ce sentiment d’explosion imminente, le bruit infernal, le délicieux parfum des gaz d’échappement. Et une certaine qualité de lumière, onctueuse, quand juillet à Heillange retombait dans un soupir et qu’à la tombée du jour, le ciel prenait un aspect ouaté et rose. Ces mêmes impressions de soirs d’été, l’ombre des bois, le vent sur son visage l’exacte odeur de l’air, le grain de la route familier comme la peau d’une fille. Cette empreinte que la vallée avait laissée dans sa chair. L’effroyable douceur d’appartenir. »

Ce qui les relie ? Ce sont des anagrammes !
Merci, mon cher homonyme, Étienne Klein.

Plus tard, quand je serai grand ?

Pourquoi les gens disent toujours
« plus tard, quand tu seras grand » ?
Moi qui grandis tous les jours,
je suis là, et j’attends.
J’attends que le jour se lève,
de réaliser le rêve.

Sur les doigts d’une main seulement,
tu peux compter les printemps
On te dit que rien ne dure,
que le temps file à toute allure
Mais tu vois le temps qu’ça prend,
une heure assis sur un banc…

D’un bout à l’autre de l’existence,
si le temps passé, reste éphémère,
le temps qui s’écoule est immense.
Pourquoi les gens disent toujours
« plus tard, quand on sera grand » ;
on s’répète ça tous les jours,
depuis la nuit des temps…

(Maxime Le Forestier & Guillaume Aldebert,
chanson Plus tard quand tu seras grand).

Peupliers peu pliés

« L’arbre ne retire pas son ombre, même au bûcheron » (Proverbe indien).

« L’ombre du frêne,
venin n’entraîne » (Proverbe français). 

« Le filao est un arbre pionnier, capable de coloniser des sols très pauvres en éléments minéraux :
Aimes-tu mieux la nuit? Sous les filaos grêles,
où l’ombre a fait tarir le chant des tourterelles,
des rayons filtreraient sur nous comme des pleurs »
(Paul-Jean Toulet, Vers inédits, 1920, p. 5).

Tragédie – comédie

« Tous les concepts utilisés pour penser le théâtre occidental ont été à l’origine définis et exemplifiés pour la tragédie, ce qui explique en grande partie pourquoi le théâtre a les plus grandes peines à se débarrasser du tragique autant que des structures de la tragédie » (Bénédicte Louvat, Le Théâtre, 2007, p. 40).

La Poétique d’Aristote comprenait à l’origine une partie consacrée à la tragédie et une autre consacrée à la comédie, Hélas, la partie consacrée à la comédie a disparu. Et si cette absence de la poétique de la comédie avait un sens ? Comme si la perte de la partie du traité aristotélicien était un lapsus de la théorie, la comédie ne s’y définissant que négativement par rapport à la tragédie, qui semble bien constituer la norme. 

Non seulement la comédie n’est que le négatif de la tragédie, mais la tragédie semble bien devoir fournir un modèle à l’ensemble du théâtre, et même se confondre avec lui. 

D’aucuns expliquent cet impérialisme théorique de la tragédie ainsi : la comédie est un genre plus libre, elle comporte moins de règles, elle ne cherche qu’à faire rire ; or le rire, c’est bien connu, n’est pas théorisable… S’il existe si peu de théorie de la comédie, peut-être est-ce que la comédie est elle-même sa propre théorie ? 

Ceci est mon propre résumé de l’introduction de l’article de Florian Pennanech, Aristote et la comédie, dans Littérature,  n° 182, 2016/2, p. 89-90.

« La vie est une comédie pour ceux qui pensent et une tragédie pour ceux qui ressentent » (Horace Walpole).