La femme n’est pas sortie de la côte d’Adam

En Genèse 2, il n’est pas question de « femme sortie de la côte d’Adam », comme nous fourvoie cette mauvaise traduction. Il y est révélé que l’homme et la femme sont les deux CÔTÉS que Dieu créent pour générer l’humanité. Dieu bâtit là du grandiose et du solide : l’un est inachevé et devient pleinement lui-même dans la rencontre de l’autre, et vice-versa ; différents pour s’accomplir à travers une relation qui les dépasse tous deux.

Quand on lit ce récit délivré de nos a priori anti-misogynes,
on peut apprécier que la femme y est davantage actrice
que l’homme engourdi et qu’elle joue un rôle capital
dans cet appel à parachever la création…

Cf. Hélène de Saint Aubert, Sexuation, parité et nuptialité dans le second récit de la Création (Gn 2), Collection Lectio Divina, février 2023.

Un éclair de bonté qui vous tombe dessus

Connaissez-vous cette histoire racontée par Victor Hugo ?
Elle m’a ému, elle a mon temps suspendu… Son héros ?
Un âne harassé, boiteux, battu, exténué !
Les coups l’enveloppaient ainsi qu’une nuée…
Miracle de sa bonté-solidarité :
la grâce passa par lui, pour sauver
un crapaud en train d’être écrasé
par des enfants, d’aventures affamés !
Parmi eux, Victor Hugo, encore enfant,
saisi par un éclair de grâce qui le projeta jusqu’à Bonté.
Lis surtout la fin si t’es vraiment pressé.
Mais c’est de bout en bout saisissant.
En ce 15 août, FIAT. Bel été ἀλήθεια / vérité !

« Que savons-nous ? qui donc connaît le fond des choses ?
Le couchant rayonnait dans les nuages roses.
C’était la fin d’un jour d’orage, et l’occident
Changeait l’ondée en flamme en son brasier ardent.
Près d’une ornière, au bord d’une flaque de pluie,
Un crapaud regardait le ciel, bête éblouie.
Grave, il songeait ; l’horreur contemplait la splendeur.
(Oh ! pourquoi la souffrance et pourquoi la laideur ?
Hélas ! le bas-empire est couvert d’Augustules,
Les Césars de forfaits, les crapauds de pustules,
Comme le pré de fleurs et le ciel de soleils !)
Les feuilles s’empourpraient dans les arbres vermeils.
L’eau miroitait, mêlée à l’herbe, dans l’ornière.
Le soir se déployait ainsi qu’une bannière.
L’oiseau baissait la voix dans le jour affaibli.
Tout s’apaisait, dans l’air, sur l’onde ; et, plein d’oubli,
Le crapaud, sans effroi, sans honte, sans colère,
Doux, regardait la grande auréole solaire.
Peut-être le maudit se sentait-il béni ;
Pas de bête qui n’ait un reflet d’infini ;
Pas de prunelle abjecte et vile que ne touche
L’éclair d’en haut, parfois tendre et parfois farouche ;
Pas de monstre chétif, louche, impur, chassieux,
Qui n’ait l’immensité des astres dans les yeux.
Un homme qui passait vit la hideuse bête,
Et, frémissant, lui mit son talon sur la tête.
C’était un prêtre ayant un livre qu’il lisait.
Puis une femme, avec une fleur au corset,
Vint et lui creva l’œil du bout de son ombrelle.
Et le prêtre était vieux, et la femme était belle.
Vinrent quatre écoliers, sereins comme le ciel.
– J’étais enfant, j’étais petit, j’étais cruel –
Tout homme sur la terre, où l’âme erre asservie,
Peut commencer ainsi le récit de sa vie.
On a le jeu, l’ivresse et l’aube dans les yeux.
On a sa mère, on est des écoliers joyeux,
De petits hommes gais, respirant l’atmosphère
À pleins poumons, aimés, libres, contents ; que faire
Sinon de torturer quelque être malheureux ?
Le crapaud se traînait au fond du chemin creux.
C’était l’heure où, des champs, les profondeurs s’azurent.
Fauve, il cherchait la nuit ; les enfants l’aperçurent
Et crièrent : « Tuons ce vilain animal,
Et, puisqu’il est si laid, faisons-lui bien du mal ! »
Et chacun d’eux, riant, – l’enfant rit quand il tue, –
Se mit à le piquer d’une branche pointue,
Élargissant le trou de l’œil crevé, blessant
Les blessures, ravis, applaudis du passant.
Car les passants riaient ; et l’ombre sépulcrale
Couvrait ce noir martyr qui n’a pas même un râle.
Et le sang, sang affreux, de toutes parts coulait
Sur ce pauvre être ayant pour crime d’être laid.
Il fuyait ; il avait une patte arrachée.
Un enfant le frappait d’une pelle ébréchée.
Et chaque coup faisait écumer ce proscrit
Qui, même quand le jour sur sa tête sourit,
Même sous le grand ciel, rampe au fond d’une cave.
Et les enfants disaient : « Est-il méchant ! il bave ! »
Son front saignait ; son œil pendait ; dans le genêt
Et la ronce, effroyable à voir, il cheminait.
On eût dit qu’il sortait de quelque affreuse serre.
Oh ! la sombre action, empirer la misère !
Ajouter de l’horreur à la difformité !
Disloqué, de cailloux en cailloux cahoté,
Il respirait toujours ; sans abri, sans asile.
Il rampait ; on eût dit que la mort, difficile,
Le trouvait si hideux qu’elle le refusait.
Les enfants le voulaient saisir dans un lacet.
Mais il leur échappa, glissant le long des haies ;
L’ornière était béante, il y traîna ses plaies
Et s’y plongea, sanglant, brisé, le crâne ouvert,
Sentant quelque fraîcheur dans ce cloaque vert,
Lavant la cruauté de l’homme en cette boue.
Et les enfants, avec le printemps sur la joue,
Blonds, charmants, ne s’étaient jamais tant divertis ;
Tous parlaient à la fois et les grands aux petits
Criaient : «Viens voir ! dis donc, Adolphe, dis donc, Pierre,
Allons pour l’achever prendre une grosse pierre ! »
Tous ensemble, sur l’être au hasard exécré,
Ils fixaient leurs regards, et le désespéré
Regardait s’incliner sur lui ces fronts horribles.
– Hélas ! ayons des buts, mais n’ayons pas de cibles.
Quand nous visons un point de l’horizon humain,
Ayons la vie, et non la mort, dans notre main.
Tous les yeux poursuivaient le crapaud dans la vase.
C’était de la fureur et c’était de l’extase.
Un des enfants revint, apportant un pavé,
Pesant, mais pour le mal aisément soulevé,
Et dit : « Nous allons voir comment cela va faire. »
Or, en ce même instant, juste à ce point de terre,
Le hasard amenait un chariot très lourd
Traîné par un vieil âne éclopé, maigre et sourd.
Cet âne harassé, boiteux et lamentable,
Après un jour de marche approchait de l’étable.
Il roulait la charrette et portait un panier.
Chaque pas qu’il faisait semblait l’avant-dernier.
Cette bête marchait, battue, exténuée.
Les coups l’enveloppaient ainsi qu’une nuée.
Il avait dans ses yeux voilés d’une vapeur
Cette stupidité qui peut-être est stupeur.
Et l’ornière était creuse, et si pleine de boue
Et d’un versant si dur que chaque tour de roue
Était comme un lugubre et rauque arrachement.
Et l’âne allait geignant et l’ânier blasphémant.
La route descendait et poussait la bourrique.
L’âne songeait, passif, sous le fouet, sous la trique,
Dans une profondeur où l’homme ne va pas.

Les enfants, entendant cette roue et ce pas,
Se tournèrent bruyants et virent la charrette :
« Ne mets pas le pavé sur le crapaud. Arrête ! »
Crièrent-ils. « Vois-tu, la voiture descend
Et va passer dessus, c’est bien plus amusant. »

Tous regardaient. Soudain, avançant dans l’ornière
Où le monstre attendait sa torture dernière,
L’âne vit le crapaud, et, triste, – hélas ! penché
Sur un plus triste, – lourd, rompu, morne, écorché,
Il sembla le flairer avec sa tête basse.
Ce forçat, ce damné, ce patient, fit grâce.
Il rassembla sa force éteinte, et, roidissant
Sa chaîne et son licou sur ses muscles en sang,
Résistant à l’ânier qui lui criait : Avance !
Maîtrisant du fardeau l’affreuse connivence,
Avec sa lassitude acceptant le combat,
Tirant le chariot et soulevant le bât,
Hagard, il détourna la roue inexorable,
Laissant derrière lui vivre ce misérable.
Puis, sous un coup de fouet, il reprit son chemin.

Alors, lâchant la pierre échappée à sa main,
Un des enfants – celui qui conte cette histoire, –
Sous la voûte infinie à la fois bleue et noire,
Entendit une voix qui lui disait : Sois bon !

Bonté de l’idiot ! diamant du charbon !
Sainte énigme ! lumière auguste des ténèbres !
Les célestes n’ont rien de plus que les funèbres
Si les funèbres, groupe aveugle et châtié,
Songent, et, n’ayant pas la joie, ont la pitié.
Ô spectacle sacré ! l’ombre secourant l’ombre,
L’âme obscure venant en aide à l’âme sombre,
Le stupide, attendri, sur l’affreux se penchant,
Le damné bon faisant rêver l’élu méchant !
L’animal avançant lorsque l’homme recule !
Dans la sérénité du pâle crépuscule,
La brute par moments pense et sent qu’elle est sœur
De la mystérieuse et profonde douceur ;
Il suffit qu’un éclair de grâce brille en elle
Pour qu’elle soit égale à l’étoile éternelle.
Le baudet qui, rentrant le soir, surchargé, las,
Mourant, sentant saigner ses pauvres sabots plats,
Fait quelques pas de plus, s’écarte et se dérange
Pour ne pas écraser un crapaud dans la fange,
Cet âne abject, souillé, meurtri sous le bâton,
Est plus saint que Socrate et plus grand que Platon.
Tu cherches, philosophe ? Ô penseur, tu médites ?
Veux-tu trouver le vrai sous nos brumes maudites ?
Crois, pleure, abîme-toi dans l’insondable amour !
Quiconque est bon voit clair dans l’obscur carrefour ;
Quiconque est bon habite un coin du ciel. Ô sage,
La bonté, qui du monde éclaire le visage,
La bonté, ce regard du matin ingénu,
La bonté, pur rayon qui chauffe l’inconnu,
Instinct qui, dans la nuit et dans la souffrance, aime,
Est le trait d’union ineffable et suprême
Qui joint, dans l’ombre, hélas ! si lugubre souvent,
Le grand innocent, l’âne, à Dieu le grand savant »
(Victor Hugo, Le crapaud).

Le cadeau de la Transfiguration

Pâques transfigurée ?
Un occis mort transformé en pléonasme !

Pour le dire en alexandrin :

En cette fête de la Transfiguration,
voici un bel exemple de mon âme-mie Marie.
L’homme en châle-leurre lui demande selon ce que lui désire.
Elle a l’intelligence de ne pas s’offusquer de cette grivoiserie ;
elle élève le débat, en mettant en présence de l’Invisible Présence…

Le mâle est ainsi servi ; here you are!

Peine immense de te perdre

Extraits d’Aragon, Le regard de Rancé :
« […] Un soir, j’ai cru te perdre. Et, de ce soir, je garde
le pathétique espoir d’un miracle incessant.
Mais la peur est entrée en moi comme une écharde.
Il me semble que je retarde
à tenir ton poignet la fuite de ton sang.
[…]
Comme autour de la lampe un concert de moustiques
Vers le plafond spiral et la flamme convoie
Du fin fond du malheur où reprend le cantique
Dans un fandango fantastique
Un chœur dansant s’élève et répond à ta voix

Ce sont tous les amants qui crurent l’existence
Pareille au seul amour qu’ils avaient ressenti
Jusqu’au temps qu’un poignard l’exil ou la potence
Comme un dernier vers à la stance
Vienne à leur cœur dément apporter démenti

Si toute passion puise dans sa défaite
Sa grandeur, sa légende et l’immortalité
Le jour de son martyre est celui de sa fête
Et la courbe en sera parfaite
A la façon d’un sein qui n’a point allaité

Toujours les mêmes mots à la fin des romances
Comme les mêmes mots les avaient commencées
Le même cerne aux yeux dit une peine immense
Comme il avait dit la démence
Et l’éternelle histoire est celle de Rancé

D’Yeux de Dieu ?

Vous avez un regard singulier et charmant.
Comme la lune au fond du lac qui la reflète,
Votre prunelle, où brille une humide paillette,
Au coin de vos doux yeux roule languissamment.
Ils semblent avoir pris ses feux au diamant.
Ils sont de plus belle eau qu’une perle parfaite.
Et vos grands cils émus, de leur aile inquiète,
Ne voilent qu’à demi leur vif rayonnement.
Mille petits amours, à leur miroir de flamme,
Se viennent regarder et s’y trouvent plus beaux.
Et les désirs y vont rallumer leurs flambeaux.
Ils sont si transparents, qu’ils laissent voir votre âme,
Comme une fleur céleste au calice idéal
Que l’on apercevrait à travers un cristal
(Théophile Gautier, À deux beaux yeux).

Être bien conscient des fleurs du mal esclavagiste

Parmi les fleurs du mal esclavagiste, il y a notre impossibilité de retracer l’origine et le nom de Jeanne dite Duval, cette Créole des îles qui fut le grand amour de Baudelaire. Le racisme est tel que toute leur correspondance est détruite, tandis qu’on met en lumière ses billets avec Mme Sabatier, une femme comme il lui faut, selon les critères de son entourage. La mère du poète et toute la famille refusant le couple interracial, lui rend la vie impossible, notamment en lui coupant les vivres.

Pourtant, malgré tout, c’est Jeanne qui illumine le cœur de Baudelaire. C’est pour elle qu’il écrit cette chanson d’après-midi :

Quoique tes sourcils méchants
Te donnent un air étrange
Qui n’est pas celui d’un ange,
Sorcière aux yeux alléchants,

Je t’adore, ô ma frivole,
Ma terrible passion !
Avec la dévotion
Du prêtre pour son idole.

Le désert et la forêt
Embaument tes tresses rudes,
Ta tête a les attitudes
De l’énigme et du secret.

Sur ta chair le parfum rôde
Comme autour d’un encensoir ;
Tu charmes comme le soir,
Nymphe ténébreuse et chaude.

Ah ! les philtres les plus forts
Ne valent pas ta paresse,
Et tu connais la caresse
Qui fait revivre les morts !

Tes hanches sont amoureuses
De ton dos et de tes seins,
Et tu ravis les coussins
Par tes poses langoureuses.

Quelquefois, pour apaiser
Ta rage mystérieuse,
Tu prodigues, sérieuse,
La morsure et le baiser ;

Tu me déchires, ma brune,
Avec un rire moqueur,
Et puis tu mets sur mon cœur
Ton œil doux comme la lune.

Sous tes souliers de satin,
Sous tes charmants pieds de soie,
Moi, je mets ma grande joie,
Mon génie et mon destin,

Mon âme par toi guérie,
Par toi, lumière et couleur !
Explosion de chaleur
Dans ma noire Sibérie !

Pentecôte

C’est le feu qui saisit les entrailles de l’âme
Pour y insuffler la foi
C’est la brise légère sur mon visage
Pour me parler de Toi
 
C’est le souvenir d’aubes blanches
Professant leur foi
C’est la lumière de l’espérance
En plus grand que soi
 
C’est la lecture familière
Des Apôtres parlant en langues
C’est le cénacle de la surprise
Pour des disciples en capacité de Toi
 
C’est la flamme jamais rassasiée de cire
Qui brûle le cœur épris de Toi
C’est le printemps entêtant de senteurs
Qui se mêlent aux couleurs de la joie
 
C’est la fleur sur la vigne
Et sur l’acacia
C’est la pivoine épanouie
Au soleil de Ton aura
 
C’est l’avènement de l’Esprit
Sur l’Église déjà là
Et sur le front embaumant le saint Chrême
De l’enfant humble choisi par Toi
 
(Véronique Belen, Pentecôte).

Peut être une image de gâteau
Gateau fait par mon amie Cécile Perchain-Flore