Charles Pépin, La rencontre. Une philosophie, Ed. Allary, 2021 :
« L’amour ne doit pas être cette maison dans laquelle nos différences disparaissent, mais bien plutôt ce temple où elles ont droit de cité, où elles sont honorées, explorées, aimées » (p. 41).
« Pour progresser, il faut rencontrer un autre que soi » (p. 57).
« Sans aller vers ce qui n’est pas soi, impossible de savoir qui on est. Sans rencontrer l’autre, impossible de se rencontrer » (p. 58).
« S’il vit, alors il pourra être présent dans ta vie, à chaque moment, pour la remplir de lumière. Il n’y aura ainsi plus jamais de solitude ni d’abandon. Même si tous s’en vont, lui sera là, comme il l’a promis : « Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde » (Mt 28, 20). Il remplit tout de sa présence invisible, où que tu ailles il t’attendra. Car il n’est pas seulement venu, mais il vient et continuera à venir chaque jour pour t’inviter à marcher vers un horizon toujours nouveau » (Pape François, Christus vivit, exhortation apostolique, § 125).
Comment traverser la douloureuse épreuve de se sentir ‘petit poussin blond rejeté au milieu de canards noirs’, d’être souvent décalé, parfois carrément inadapté, handicapé social, avec les différentes étiquettes qu’on me colle dessus : HP, hyper sensible, autiste, asperger ?
J’ai appris à prendre dans les bras chaque blessé en moi, à le recevoir tel qu’il est, à lui offrir la douceur bienveillante dont je dispose alors. Dans mes bras affectueux, plusieurs petits ont pu ainsi pleurer tout leur saoul, en se sentant acceptés dans leurs différences…
Et puis, tout à coup, le surgissement je ne sais pas d’où ni comment d’un flot d’amour, gratuit, qui pénètre chaque cellule de mon corps… C’est comme une vague – marée montante – qui finit de s’étaler sur le sable de la mer du Nord, qu’attendent, assoiffés, tous les vivants tapis sous la plage, suivie d’une détente : relâchement et à la fois expansion, respiration et connexion à la Vie qui se remet à couler partout en moi, et me voilà à la voir couler partout autour de moi… Tout mon être fait l’expérience d’être oxygéné par ce Souffle régénérant. « Le vent souffle où il veut : tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d’où il vient ni où il va » (Jn 3,8).
Donner la vie après sa mort en régénérant la terre : se faire enterrer à même la terre. L’humusation est un processus contrôlé de transformation des corps humains par les micro-organismes, qui sont présents uniquement dans les premiers cm du sol, dans un compost de broyats de bois d’élagage, qui transforme, en 12 mois, les dépouilles mortelles en humus sain et fertile. Écologiquement et économiquement, l’humusation est une solution bien meilleure que l’enterrement et l’incinération pour permettre à nos corps, en fin de vie, de suivre le cycle complet de transformation en douceur. Cf. https://www.humusation.org/.
« Bientôt, nous plongerons dans les froides ténèbres. Adieu, vive clarté de nos étés trop courts ! J’entends déjà tomber avec des chocs funèbres le bois retentissant sur le pavé des cours. Tout l’hiver va rentrer dans mon être : colère, haine, frissons, horreur, labeur dur et forcé. Et, comme le soleil dans son enfer polaire, mon cœur ne sera plus qu’un bloc rouge et glacé. J’écoute en frémissant chaque bûche qui tombe. L’échafaud qu’on bâtit n’a pas d’écho plus sourd. Mon esprit est pareil à la tour qui succombe, sous les coups du bélier infatigable et lourd. II me semble, bercé par ce choc monotone, qu’on cloue en grande hâte un cercueil quelque part. Pour qui ? C’était hier l’été ; voici l’automne ! Ce bruit mystérieux sonne comme un départ » (Charles BAUDELAIRE, Spleen et Idéal, 1857).
« En l’absence du Self déficient, chaque part joue sa partition seule. La cacophonie peut devenir symphonie en présence du Self, lorsqu’il joue son rôle de chef d’orchestre. Au fur et à mesure que nos parts sont comprises dans leurs besoins et qu’elles prennent ainsi leur juste place dans l’orchestre, le chemin qui mène au cœur de notre cœur se désencombre. Une part qui fait un pas de côté, correspond à une porte jusque-là fermée qui s’ouvre, donnant accès à des pièces plus intimes du château intérieur, ou bien elle est comme une roche qui roule, cessant d’obstruer la source et la laissant jaillir davantage. C’est le cercle vertueux de la bienveillance : au départ, les parts ont besoin de notre considération bienveillante pour se débloquer. En sens inverse, la capacité de bienveillance se renforce à mesure que l’accès à la source se dégage. Le premier mouvement d’authenticité humaine qui part des violences dont nous sommes capables quand nous sommes blessés, nous conduit de l’extérieur vers l’intérieur : le défi est d’honorer les clignotants qui s’allument en nous dans nos corps, cœur et entrailles, les trois portes d’entrée à l’âme. Ce long chemin intérieur nous conduit peu à peu au lieu naturel en nous de la bonté et de la générosité, là où coulent les sources d’eau vive. Le deuxième mouvement va, lui, de l’intérieur vers l’extérieur : la source inépuisable et surabondante de l’Amour qui coule en nous au cœur de notre cœur, peut alors authentiquement alimenter chacune de nos parts qui souffre d’un manque de reconnaissance. Ce double mouvement suppose deux points de départ :
1) celui de notre humanité, en prenant au sérieux, humblement, la boue de nos relations conflictuelles, elle qui contient nos pépites les plus précieuses ;
2) celui de notre âme, la fine pointe de notre être où Dieu demeure pleinement, laquelle choisit, en conscience libre et responsable, de plonger dans l’ombre de nous-mêmes, là même où nous pouvons faire les rencontres les plus lumineuses.
Ce cheminement par lequel nous apprivoisons notre humanité dans ses profondeurs produit des fruits à trois niveaux : liberté, unité intérieure, fraternité. La fausse vie est épuisante, la vraie vie est inépuisable » (Chomé Étienne, Construire la paix sociale à partir d’un dialogue intérieur non-violent, dans Ensemble, construire l’interculturel, CEAFRI – L’Harmattan, 2019, p. 113-122 ; téléchargeable sur http://etiennechome.site/publications-de-fond/sociopolitique/).
Elle s’est enfin éveillée pour prendre son élan. Elle en a eu assez de vivre sa vie à travers les yeux des autres. Elle a fait tomber tous les masques, et a commencé, doucement, à retirer les couches de ce qu’elle croyait être. Et elle a abandonné toute résistance.
Elle s’est alors relevée, nue, face au monde et a crié : “C’est ma vie ! et je suis maintenant libre d’être la femme que j’aurais toujours dû être !”.
Elle a commencé à voir sa vraie beauté à travers ses propres yeux. Elle n’était pas parfaite aux yeux des autres, et elle n’avait pas à l’être.
Elle aimait la femme qu’elle devenait. Elle ne s’est jamais retournée …
Et a continué à avancer avec une telle détermination … que rien ne pouvait l’arrêter.
Elle s’est parée d’Amour, de pardon … Elle a trouvé son courage …
Elle se sentait enfin chez elle … dans son Cœur et dans son Âme …
Notre voisine s’en est allée en paix, dans la douceur et la confiance… Pendant ses funérailles, je voyais comment, à travers sa maladie, ses parts protectrices puissantes qui contrôlaient tout ce qui bougeait autour d’elle avaient peu à peu déposé leurs armes. À travers son chemin de croix, le Seigneur l’a transformée, en l’amenant pas à pas à la douceur, à la reconnaissance par un simple sourire, un simple regard de connexion avec l’autre… Étonnante sagesse de la saison vieillesse !?
Son chemin quotidien de dépossession et de dépouillement m’a impacté. Je réalise que je vis un chemin dans la même direction, en vieillissant. Je suis déjà en train de muer : toujours moins de testostérone, je ralentis, je fais de moins en moins, je goûte de plus en plus de prendre le temps d’être, de contempler, d’être avec, d’écouter de la musique, de respirer simplement, de visiter ma maison intérieure, dans ses sensations, émotions, passions, abandons/lâcher-prises, etc. Joie que ces saveurs vont continuer à se déployer en moi. Elles font les délices de l’automne de ma vie…
Ma vie ralentit et se pose, se ménopause, me mène-aux-pauses.
« Celui qui sait pourquoi il vit peut endurer n’importe quel comment. » Ce mot de Nietzsche est repris par Victor Frankl qui soutient : « Ce dont l’être humain a réellement besoin n’est nullement d’un état dépourvu de tension, mais plutôt d’un effort et d’une lutte pour atteindre un but qui en vaut la peine, d’une tâche librement choisie. Ce dont il a besoin, ce n’est pas d’une absence de tension à tout prix mais de l’appel d’une potentialité de sens qu’il lui incombera d’accomplir. Ce dont l’être humain a besoin ce n’est pas d’homéostasie mais de ce que j’appelle « noodynamique », c’est-à-dire, d’une dynamique existentielle située dans un champ de tension dont un pôle est représenté par le sens à accomplir et l’autre pôle par l’homme qui doit accomplir ce sens » (Victor Frankl, La LOGOTHÉRAPIE dans une coquille de noix (les concepts fondamentaux de la logothérapie), 1959). Voici le texte complet :
Je vous exhorte à lire cet article passionnant, qui fait jouer ses concepts-clé et nous invite à le faire dans notre propre vie : l’anticipation anxieuse, l’hyper-intention aussi bien que l’hyper-réflexion régulées par l’intention paradoxale, la déréflexion et surtout l’autotranscendance…