« Une pièce sans livres, c’est comme un corps sans âme » (Cicéron).
« Enfant, j’ai découvert les livres comme on regarde par la fenêtre, la nuit, des gens qui ne se savent pas observer. J’avais trouvé là des objets au pouvoir envoûtant, comme les lunettes qui déshabillent ou la DeLorean. Dans ma tête, les livres étaient des talismans qui nous rendaient un peu plus que vivant.
[…] Comme si on lisait pour fuir la vie. Je crois plutôt qu’on lit pour la regarder dans les yeux, bien en face. Avec ce qu’elle a de cruel, de scandaleux, d’électrisant. […] Je nous devine nombreux à la chercher cette énergie durable, ce remède à l’indifférence » (Blandine Rinkel, Droit dans les yeux ; j’ai transcrit son oral).
Voici ce qu’écrit un Qatari (né en 613 à Beit Qatrayé, situé dans l’actuel Qatar) : « La miséricorde est une flamme qui embrase le cœur pour toute la création, pour les hommes, pour les oiseaux, pour les animaux, pour les démons et pour tout être créé. Quand le miséricordieux les voit, ses yeux répandent des larmes, à cause de l’intense miséricorde qui étreint son cœur. Son cœur devient humble et il ne peut plus supporter de voir la plus petite offense, fait à une créature » (le moine Isaac de Ninive, connu aussi sous le nom de Saint Isaac le Syrien).
« Notre plus grand défi du jour : trouver les moyens de provoquer une révolution du cœur, une révolution qui démarre avec chacun.e de nous » (Dorothy Day).
« Quelques milliards de crève-la-faim Et moi, et moi, et moi Avec mon régime végétarien Et tout le whisky que je m’envoie J’y pense et puis j’oublie C’est la vie, c’est la vie » (Jacques Dutronc).
Les Grecs divisent le réel et Descartes divise la difficulté en petites parcelles. François Jullien les perçoit œuvrer en bouchers de l’être, découpant le réel comme un boucher dépèce sa carcasse de viande. Il aime la pensée chinoise nous invitant à d’autres types de découpe : suivre les clivages de la vie, selon les veinures. En chinois, « li » désigne la raison et la veinure du jade. « Raisonner, li, c’est travailler le jade », disait déjà Xu Shen il y a un bon 1900 ans. On polit la pierre précieuse pour bien faire apparaître sa veinure et ensuite on peut la tailler, en épousant ses configurations, en respectant ses fissurations intimes et son unité interne. C’est cela, l’opération de la cliver, de façon à ne pas la casser : suivre sa ramification intérieure, ce qui l’a structuré de l’intérieur. La pensée chinoise nous prie d’accompagner le feuilleté intime des choses et d’accueillir les flots du Vivant, pour mieux les pénétrer et les travailler.
Là où la raison cartésienne applique d’en haut son quadrillage géométrique au monde, la raison chinoise cherche une connivence avec le matériau dont il s’agit de suivre les fibres. Là où l’Occident cherche la vérité, le taoïsme a soif de mettre en évidence les linéaments du tao = la « Mère du monde », le principe qui engendre tout ce qui existe, la force fondamentale qui coule en toutes choses de cet univers. On n’explique pas du dehors, on épouse du dedans, on respecte une configuration dont on suit les veines et dont on respire les souffles.
Pour aller plus loin, François Jullien, Ce point obscur où tout a basculé, L’Observatoire, mars 2021.
« […] L’artiste fait jaillir des sources qui rafraîchissent le corps et l’âme dans leur unité : « posséder la vérité dans une âme et un corps », comme l’écrit Rimbaud à la dernière ligne d’Une saison en enfer. L’art vrai et libre, quel qu’il soit, nous conduit à notre vérité. […] Chez François Cheng, lecteur de la pensée européenne et de la pensée chinoise, immergé dans la pratique artistique de l’Orient et de l’Occident, le don de sourcier du poète, du calligraphe et du peintre qu’il est, est nourri du sentiment d’unité et de mobilité universelles qui anime la pensée chinoise. Il essaye de partager les fruits de deux quêtes immenses qui se sont croisées en lui, et qui sont appelées, s’il plaît aux hommes comme à Dieu, à se rencontrer et à collaborer. […] Dans ses Pensées, Pascal note brièvement : « Moïse ou la Chine ». Le « et » serait aussi juste. […] L’élan des sciences et des techniques, la ferveur démocratique pour l’égalité et la liberté sont saluées comme des acquis positifs dont il faut prendre soin. Mais le monde de la science n’épuise pas la richesse du monde créé, que François Cheng poète sait rendre sensible au cœur battant, à l’œil ouvert et amoureux de sa beauté. S’ouvrir à la sagesse chinoise, riche de sa triple expérience confucéenne, taoïste et bouddhiste, donne cette distance avec nous-mêmes qui permet de voir les impasses et les amnésies de l’humanité occidentale (Jean de Miribel et Léon Vandermeersch, Sagesse chinoise, une autre culture, Le Pommier, 2010). Henri de Lubac rapporte dans Catholicisme ce propos d’un jésuite chinois : « Vous ne comprendrez pleinement la Bible que lorsqu’elle aura été traduite en chinois. » Aux chrétiens de se saisir de ce point d’Archimède pour que le bâton de la Croix du Christ fasse entrer leur Église qu’ils confessent « catholique », c’est-à-dire universelle, dans la rencontre des cultures, qui est notre avenir commun et leur mission.
– Ce statut de « passeur » est-il l’explication de son immense succès en librairie et plus largement de sa popularité ? – François Cheng est devenu ce passeur entre deux rives, ou plutôt, ce constructeur de pont qui n’abolit pas les différences, qui lui semblent si précieuses, entre les deux rives, mais qui facilite et donc hâte la rencontre et la découverte de soi dans l’autre. De la rive chinoise vers l’occidentale, le passage est peut-être encore plus difficile et compliqué que de chez nous là-bas. Son nom en est devenu le symbole puisque, comme il l’a écrit dans son court ouvrage Assise, une rencontre inattendue, ce paysage et ce saint européens ont tant compté pour lui révéler qu’il pouvait être lui-même ici comme là-bas » (Antoine Guggenheim, brillant intellectuel prêtre qui a fondé le pôle de recherche du Collège des Bernardins à Paris, et qui fut mon frère de séminaire à Louvain-la-Neuve entre 1986 et 1988). Pour lire tout son article publié dans Le Figaro, le 12 octobre 2022 (que je me suis permis de réduire ici de 55 %), aller sur sa page FB, où il reprend le texte intégral dans son post du 25 octobre.
« La vérité était un miroir entre les mains de Dieu. Il tomba et se cassa en mille morceaux, Chacun en prend un fragment et le regarde, en pensant avoir trouvé la vérité » (Rûmî).
Il y avait, dans un village, un homme modeste qui avait un très beau cheval. Le cheval était si beau que les seigneurs du château voulaient le lui acheter, mais il refusait toujours : « Ce cheval est mon ami. Un ami ne peut être vendu ».
Un matin, il se rend à l’étable et le cheval n’est plus là. Ses voisins lui disent : « On te l’avait bien dit ! Tu aurais mieux fait de le vendre. Maintenant, on te l’a volé… Quelle malchance ! » « Chance, malchance, qui peut le dire ? », se demanda le vieil homme. Et tout le village se moqua de lui.
Le cheval revient 15 jours plus tard, avec toute une horde de chevaux sauvages. Il s’était échappé pour séduire une belle jument et rentrait avec le reste de la horde. « Quelle chance ! », s’exclament les villageois.
Le vieil homme et son fils se mettent au dressage des chevaux sauvages. Mais une semaine plus tard, son fils se casse une jambe à l’entraînement. « Quelle malchance ! », disent ses amis. « Comment vas-tu faire, toi qui es déjà si pauvre, si ton fils, ton seul support, ne peut plus t’aider ? » Le vieil homme répond : « Chance, malchance, qui peut le dire ? »
Quelques temps plus tard, l’armée du seigneur du pays arrive dans le village, et enrôle de force tous les jeunes gens disponibles. Tous, sauf le fils du vieil homme, qui a sa jambe cassée. « Quelle chance tu as. Tous nos enfants sont partis à la guerre et toi, tu es le seul à garder avec toi ton fils. Les nôtres vont peut-être se faire tuer… »
Le vieil homme répond : « Chance, malchance, qui peut le dire ? »
Chance ou malchance, qui peut le dire ? Créativité et proactivité, tout le monde peut les vivre !
À la fin de son règne, Mobutu Sese Seko faisait venir d’Ostende des avions remplis de ce nouveau billet de cinq millions de Zaïre, qu’il faisait descendre dans la population par toutes les personnes complices de son régime corrompu, notablement par la solde des militaires. La population appelait ce nouveau billet « MOKOMBOSO », qui désigne en lingala un singe de la famille des chimpanzés. Un refus de masse a pu être organisé, notamment au départ à partir de petits groupes engagés dans la désobéissance civile non-violente. Ainsi, après s’être concertées, toutes les mamans d’un même marché adoptaient la même attitude, face aux militaires y venant acheter quelque chose avec ce nouveau billet de banque : « Mon fils, ce billet n’est pas valable, je n’en veux pas. Tiens, prends ces légumes sans payer cette fois, et reviens la prochaine fois avec d’autres moyens de paiement ». Touché dans sa conscience, le soldat revenait à la caserne et touchait à son tour la conscience de son supérieur, qui lui-même faisait remonter le refus de la population d’être payée en monnaie de singe…
Tendre l’autre joue, c’est aimer son prochain ET être lucide sur les injustices du système ET organiser une non-coopération collective mettant efficacement des bâtons dans les roues d’un point précis de ce système injuste.
« J’ai été condamné à une peine de trente ans de prison, dont vingt ans de sûreté. Les dix premières années que j’ai passées derrière les barreaux ont été terribles. J’étais un enragé. Dans ce désert, j’ai trouvé l’écriture et la poésie. Elles m’ont servi de boussoles, m’embarquant pour de longs voyages, jetant des passerelles vers l’autre. Lire, écrire et créer en prison, c’est survivre. Je me suis découvert un cerveau à 52 ans. J’ai réussi à sortir de tout cela grâce aux mots, qui m’ont permis d’EXTRAIRE LES BLEUS SOUS MA PEAU. J’ai déclamé un poème que j’avais rédigé lorsque j’étais à l’isolement et cela m’a révélé. En 2016, j’ai reçu un premier prix de poésie à la Sorbonne. Quand j’ai vu mon nom à côté de ceux de grands auteurs, les Baudelaire, Verlaine, Rimbaud, je ne l’ai pas cru. Mais j’ai compris que j’avais une sensibilité qui touchait les gens. EN ÉCRIVANT DES POÈMES, JE CRÉAIS DU LIEN EN PRISON » (Khaled Miloudi). Vient de sortir son livre Les couleurs de l’ombre.
Rire tris-mal : qui est très aigu, qui a la caractéristique d’un grincement de dent, d’un trisme (mot construit par Arthur Rimbaud dans son poème Comédie en trois baisers).
Je baisai ses fines chevilles. Elle eut un long rire tris-mal Qui s’égrenait en claires trilles, Une risure de cristal… (Arthur Rimbaud, 1895).
« Les patiences accumulées, comme les rivières endiguées, produisent les plus grands débordements.[…]Dieu ne demande pas de la patience à ceux qui en ont, mais bien à ceux qui n’en ont pas » (Anne Barratin).
« Il n’y a rien dont la patience ne vienne à bout quand elle est secondée de la persévérance » (Tite-Live). « Avec du temps et de la patience, une souris coupe un câble » (Alphonse Esquiros).
« Une longue patience enveloppe les choses et le sang, plus sûrement que du lierre » (Christian Bobin).
« La patience est la clef de la jouissance » (Abu Shakour).
« Être capable de communier avec les autres êtres par une activité nue et dépouillée qui, en nous arrachant à nous-même, nous donne accès à la totalité du réel, dont l’existence individuelle nous avait d’abord séparés.
Tout homme qui prétend garder quelque chose pour lui seul se forge à lui-même sa propre solitude.
Connaître l’extrémité de la pauvreté, en s’ouvrant sur la totalité du monde avec un cœur pur et des mains libres, pour connaître l’extrémité de la richesse qui nous permet à chaque instant, en abolissant en nous toute arrière-pensée, d’entrer réellement en société avec tous les êtres que Dieu met sur notre chemin » (Louis Lavelle, Tous les êtres séparés et unis, 1940, début de la deuxième guerre mondiale il y a 82 ans).