« L’amant perdu accompagna Madame d’Aiglemont partout avec la tyrannie d’une passion qui mêle son égoïsme au dévouement le plus absolu. L’amour a son instinct, il sait trouver le chemin du cœur, comme le plus faible insecte marche à sa fleur avec une irrésistible volonté qui ne s’épouvante de rien. Aussi, quand un sentiment est vrai, sa destinée n’est-elle pas douteuse » (Honoré de Balzac, La comédie humaine, p. 91).
L’amour fusionné d’un tel amant perdu ressemble à celui du bébé qui trouve le chemin du sein, par réflexe de survie. Adultes, nous sommes conviés à découvrir l’amour défusionné, lequel a sa source en Plus Grand que nous deux. Cet amour coule en l’âme qui donne et reçoit aussi simplement qu’un robinet donne l’eau qu’il reçoit, sans autre effort que d’être à la source. Cet Amour-là, au cœur de notre cœur, est inépuisable et surabondant.
Pour le tout petit d’homme, la mère est un port d’attache (safehaven) servant de modèle pour la régulation émotionnelle. Le parent est la base de sécurité (secure base) pour l’exploration.
L’attachement insécure-évitant produit des stratégies d’indépendance forcée, d’autonomie compulsive, qui minimisent les émotions.
L’attachement insécure-résistant produit des stratégies de dépendance colérique, qui maximisent les émotions.
L’attachement sécure sauve de la dépendance, produit des liens chaleureux et empathiques (bonding), permet une bonne régulation émotionnelle.
« Où est la très savante Héloïse Pour qui fut châtré Pierre Abélard Puis se fit moine à Saint-Denis ? Pour son amour, il souffrit cette blessure. De même, où est la reine Qui ordonna que Buridan Fût enfermé dans un sac et jeté à la Seine ? Mais où sont les neiges d’antan ? » (petit extrait de François Villon, La Ballade des dames du temps jadis).
« Tout l’univers obéit à l’Amour. Belle Psyché, soumettez-lui votre âme. Les autres dieux à ce dieu font la cour. Et leur pouvoir est moins doux que sa flamme. Des jeunes cœurs, c’est le suprême bien. Aimez, aimez ; tout le reste n’est rien.
Sans cet amour, tant d’objets ravissants, Lambris dorés, bois, jardins et fontaines, N’ont point d’appas qui ne soient languissants. Et leurs plaisirs sont moins doux que ses peines. Des jeunes cœurs, c’est le suprême bien. Aimez, aimez ; tout le reste n’est rien » (Jean de La Fontaine, Les Amours de Psyché et de Cupidon, 1669).
« L’amour est le bras qui soutient celui qui trébuche, mais aussi la main qui s’ouvre pour laisser prendre son envol à celui qui a soif de liberté » (Elaine Hussey).
Extraits d’Aragon, Le regard de Rancé : « […] Un soir, j’ai cru te perdre. Et, de ce soir, je garde le pathétique espoir d’un miracle incessant. Mais la peur est entrée en moi comme une écharde. Il me semble que je retarde à tenir ton poignet la fuite de ton sang. […] Comme autour de la lampe un concert de moustiques Vers le plafond spiral et la flamme convoie Du fin fond du malheur où reprend le cantique Dans un fandango fantastique Un chœur dansant s’élève et répond à ta voix
Ce sont tous les amants qui crurent l’existence Pareille au seul amour qu’ils avaient ressenti Jusqu’au temps qu’un poignard l’exil ou la potence Comme un dernier vers à la stance Vienne à leur cœur dément apporter démenti
Si toute passion puise dans sa défaite Sa grandeur, sa légende et l’immortalité Le jour de son martyre est celui de sa fête Et la courbe en sera parfaite A la façon d’un sein qui n’a point allaité
Toujours les mêmes mots à la fin des romances Comme les mêmes mots les avaient commencées Le même cerne aux yeux dit une peine immense Comme il avait dit la démence Et l’éternelle histoire est celle de Rancé
La courbe de tes yeux fait le tour de mon cœur, Un rond de danse et de douceur, Auréole du temps, berceau nocturne et sûr, Et si je ne sais plus tout ce que j’ai vécu C’est que tes yeux ne m’ont pas toujours vu.
Feuilles de jour et mousse de rosée, Roseaux du vent, sourires parfumés, Ailes couvrant le monde de lumière, Bateaux chargés du ciel et de la mer, Chasseurs des bruits et sources des couleurs
Parfums éclos d’une couvée d’aurores Qui gît toujours sur la paille des astres, Comme le jour dépend de l’innocence Le monde entier dépend de tes yeux purs Et tout mon sang coule dans leurs regards
Vous avez un regard singulier et charmant. Comme la lune au fond du lac qui la reflète, Votre prunelle, où brille une humide paillette, Au coin de vos doux yeux roule languissamment. Ils semblent avoir pris ses feux au diamant. Ils sont de plus belle eau qu’une perle parfaite. Et vos grands cils émus, de leur aile inquiète, Ne voilent qu’à demi leur vif rayonnement. Mille petits amours, à leur miroir de flamme, Se viennent regarder et s’y trouvent plus beaux. Et les désirs y vont rallumer leurs flambeaux. Ils sont si transparents, qu’ils laissent voir votre âme, Comme une fleur céleste au calice idéal Que l’on apercevrait à travers un cristal (Théophile Gautier, À deux beaux yeux).
Voici La chevelure, le poème de Baudelaire pour Jeanne, sa digne et bien aimée « Malabaraise » :
Ô toison, moutonnant jusque sur l’encolure ! Ô boucles ! Ô parfum chargé de nonchaloir ! Extase ! Pour peupler ce soir l’alcôve obscure Des souvenirs dormant dans cette chevelure, Je la veux agiter dans l’air comme un mouchoir !
La langoureuse Asie et la brûlante Afrique, Tout un monde lointain, absent, presque défunt, Vit dans tes profondeurs, forêt aromatique ! Comme d’autres esprits voguent sur la musique, Le mien, ô mon amour ! nage sur ton parfum.
J’irai là-bas où l’arbre et l’homme, pleins de sève, Se pâment longuement sous l’ardeur des climats ; Fortes tresses, soyez la houle qui m’enlève ! Tu contiens, mer d’ébène, un éblouissant rêve De voiles, de rameurs, de flammes et de mâts :
Un port retentissant où mon âme peut boire À grands flots le parfum, le son et la couleur ; Où les vaisseaux, glissant dans l’or et dans la moire, Ouvrent leurs vastes bras pour embrasser la gloire D’un ciel pur où frémit l’éternelle chaleur.
Je plongerai ma tête amoureuse d’ivresse Dans ce noir océan où l’autre est enfermé ; Et mon esprit subtil que le roulis caresse Saura vous retrouver, ô féconde paresse, Infinis bercements du loisir embaumé !
Cheveux bleus, pavillon de ténèbres tendues, Vous me rendez l’azur du ciel immense et rond ; Sur les bords duvetés de vos mèches tordues Je m’enivre ardemment des senteurs confondues De l’huile de coco, du musc et du goudron.
Longtemps ! toujours ! ma main dans ta crinière lourde Sèmera le rubis, la perle et le saphir, Afin qu’à mon désir tu ne sois jamais sourde ! N’es-tu pas l’oasis où je rêve, et la gourde Où je hume à longs traits le vin du souvenir ?
« Baudelaire a été le premier à chanter la femme noire à Paris. Il voit dans la marginalité une rédemption. D’une certaine façon, il a choisi ce camp des gens déchus » (Emmanuel Richon, dans sa conférence sur les pieds nus. Il présente les pieds nus comme « des marqueurs identitaires de l’esclavage »).
Extrait de « À une Malabaraise » : « Tes grands yeux de velours sont plus noirs que ta chair. Aux pays chauds et bleus où ton Dieu t’a fait naître, Ta tâche est d’allumer le pipe de ton maître, De pourvoir les flacons d’eaux fraîches et d’odeurs, De chasser loin du lit les moustiques rôdeurs, Et, dès que le matin fait chanter les platanes, D’acheter au bazar ananas et bananes » (Charles Baudelaire).
Nota Bene (sur Wikipedia) : Une Malabaraise est au sens strict une habitante de la région de Malabar sur la côte sud-ouest de l’Inde (État actuel du Kerala). En français néanmoins, le mot « Malabar » a aussi servi à désigner tout habitant du sud de l’Inde et notamment aussi de la côte sud-est (pays tamoul) ainsi que, par extension, les habitants d’origine tamoule des îles Maurice et de la Réunion. Dans le contexte du poème, la « Malabaraise » fait référence à une Indienne d’un comptoir français en Inde du sud : Pondichéry probablement, ou alors Mahé sur la côte occidentale.