La Source est inépuisable et surabondante

La Source est inépuisable et surabondante. Elle est là, entièrement disponible, donnée gratuitement, sortant de chacun de nos Temples (Ézéchiel 47), coulant du cœur de nos cœurs jusque dans la vie éternelle (Jean 4,13-14). Qui reconnaît (Jn 3,3-5) le petit filet de cette eau vive jaillir à sa source, pourra se baigner dans ses fleuves d’eau vive (Jn 7,37-38), avec la confiance de l’enfant, et en être régénéré jusqu’à guérison (Jn 5,7; 9,7).

Jésus dit au paralysé :
« Crois-tu que tu peux être guéri ? » 
« Oui, je le crois. »
« Lève-toi et marche, ta foi t’a sauvé ».

L’Amour ne demande pas mieux que de se déployer en nous et entre nous.

Faim des mots, fin des maux…

« Chaque jour je prends la route, n’importe quelle route, comme on ouvre un cahier neuf. J’écris un mot, je fais un pas. Au pas suivant j’attrape un autre mot, puis un autre. C’est sans fin une route, comme les mots qui laissent une trace de pas dans la clarté de la page. Si vous écrivez un premier mot, les pas vous emmènent dans un monde où les songes n’ont pas de fin » (René Frégni, Je me souviens de tous vos rêves).

« Je n’ai pas eu le temps d’écrire les premiers mots d’une lettre que je me récitais depuis des jours. Ces mots, on ne les cherche pas, ils éclatent en nous comme des orages » (René Frégni, L’été, p. 65).

Les pièges de la violence

« On ne fait pas la guerre pour se débarrasser de la guerre » (Jean Jaurès), que ce soit en Ukraine ou à l’Est-Congo.

Parmi les grands pièges dans lesquels  les belligérants tombent classiquement, en voici deux : 1) ma violence est toujours seconde, en réaction à la tienne, qui est première. Ma violence est légitime défense. Le problème, c’est que tous, nous sommes convaincus que notre violence est seconde, qu’elle réagit à l’agression de l’autre.

2) Ma violence va être la dernière, elle est en mesure de mettre un point final à la violence, elle réussira à faire taire la violence. Alors qu’en fait, chercher à vaincre une violence par une autre violence, c’est offrir une victoire de plus à la violence.

Relativiser

« Relativiser, il paraît que cela fait partie d’un processus qui s’appelle vieillir » (Philippe Labro, Manuella).

« L’idéal pour toi, c’est de tout relativiser car ton souffle de vie ne tient qu’à un fil » (Dona Maurice Zannou), 

Mon séjour dans la Région des Grands Lacs s’approche de la fin. Ci-dessous c’est pas faim ?

Trouver la bonne prise pour faire tomber une injustice

Un groupe se mobilisant pour faire tomber une injustice a intérêt à commencer par identifier celle-ci clairement, en la nommant précisément. L’opération n’est point aisée quand les injustices sont liées, dans un système qui est à analyser de manière globale. Néanmoins, à travers cette analyse globale, il est important de choisir un objectif précis, limité, à notre portée, proportionné aux forces dont nous disposons à ce stade. Gandhi maîtrisait l’art des petits pas, en poursuivant de tels objectifs limités. Voulant mettre fin à la colonisation britannique, son groupe choisit en 1930 de faire tomber la taxe abusive sur le sel. Ce fut la première étape d’une longue marche, réussissant une mobilisation croissante de citoyens. La « marche du sel » constitua ce qu’on appelle une « prise » sur le système injuste. Cette prise est d’autant meilleure qu’elle  

– propose un geste facile à poser par le plus grand nombre ;

– porte sur un point où le système manifeste particulièrement son injustice;

– touche à une valeur mobilisatrice, à même de catalyser les volontés dispersées.

Vraie ou fausse prophétie ?

Ici, dans la Région des Grands Lacs, comme ailleurs, il y a de tout dans les prédications haranguant les foules : du bon vin et du mauvais, des vieilles outres et des nouvelles…

« Un même oracle peut être trompeur ou divinement inspiré. Et, donc, le prophète qui le prononce peut être faux ou vrai, selon qu’il résonne dans tel ou tel contexte. […] La parole humaine est le lieu du mensonge ; c’est à cette condition qu’elle peut être aussi le lieu de la vérité. Un regard exercé au discernement y verra sans doute plus clair. Mais il ne dispensera pas de devoir prendre, ou non, le risque de faire sienne la parole entendue. Et, si oui, de vérifier en sa chair quels fruits elle porte. […] Dans le premier Testament, le vrai prophète est souvent un homme isolé dont la parole dérange au point que beaucoup préféreraient le voir réduit au silence » (André Wénin, Méfiez-vous des faux prophètes, dans Études, 2000/3, p. 351 à 360), qui s’appuie sur Pietro Bovati : le fait qu’il « voie » se profiler la menace de la mort avant qu’elle ne soit réellement visible aux yeux de la chair est dû à sa pénétration dans l’appréciation de la situation présente ; il est comme une sentinelle qui, de l’emplacement où elle se trouve, aperçoit un danger qui est encore loin, mais qui frappera sûrement si le cri d’alarme n’est pas entendu.

« Ne faites pas attention aux paroles des prophètes qui prophétisent pour vous, ils vous leurrent : vision de leur imagination, ce qu’ils disent ; cela ne vient pas de la bouche du Seigneur » (Jr 23,16). Premier critère : les révélations des faux prophètes n’ont d’autre source qu’eux-mêmes. Ils prétendent avoir eu des visions (Ez 13,6-7), ils ont des songes qu’ils prennent pour la réalité (Jr 14,14 ; 23,25-28), ils se croient et se disent inspirés (Ez 13,3 ; I R 22,19-23). Mais ce n’est pas par des visions, des songes ou des bouffées d’inspiration que le Seigneur communique sa parole à ses envoyés, disent les vrais prophètes. Et pourtant, Amos, Jérémie ou Zacharie ont eux-mêmes des visions (Am 7-8 ; Jr 1,11-14 ; Na 1,1 ; Za 1-6), tandis que Michée ou le Deutéro-Isaïe prétendent parler et agir sous l’emprise de l’Esprit de Dieu (Mi 3,8 ; Is 61,1).

« Ces prophètes ont égaré mon peuple en disant “Paix !”, alors qu’il n’y a point de paix » (Ez 13,10). Les faux prophètes préféreraient donc annoncer la paix et le bonheur (Jr 6,13-14 ; 14,13-15 ; Mi 3,11). Ils caressent ainsi le peuple et ses chefs dans le sens du poil, en leur adressant des paroles rassurantes qui leur évitent de devoir se mettre en question (Jr 28,15 ; Lm 2,14). Mais, ici aussi, le critère n’est pas dirimant. Bien des prophètes reconnus comme authentiques proclament également des messages de paix de la part de Dieu (Is 4,9-11 ; 43,14-21 ; Jr 31 ; Os 11,8-11 ; Am 9,11-15).

Reliance des âmes ET justice dans le groupe

Plusieurs émissions radio et TV d’ici parlent de mes sessions dans la région, comme ce petit reportage : https://www.youtube.com/watch?v=u9Ijisxykfo


Plusieurs d’Europe me demandent : qu’est-ce que tu as été faire dans une telle galère ? Et je suis tellement surpris à chaque fois. Imaginez qu’à quelques encablures de votre actuelle chaumière, votre village natal est frappé par une épidémie mortelle, qui se répand dans toute la région et que vous avez un remède efficace qui permet à chaque malade bienveillant et volontaire de guérir. Vous faites quoi ? Vous restez loin de la galère ? Moi pas ! Que vive la solidarité entre nous tous, vivants en route vers la plénitude de la Vie… Je vis ces semaines-ci bien des fatigues, détresses, contrariétés et découragements. Et je vis aussi des moments gorgés de sens et de joies, devant chaque malade qui refait ses premiers pas de bienveillance, avec lui-même d’abord… Merci pour tous vos liens et soutiens.

Hier soir pas d’internet, qui vient seulement de revenir + pluies diluviennes toute la nuit (pourtant ns ss en saison sèche) et ça goutte partout dans ma chambre, venant du faux plafond en bon bois. Et je dois faire 300 mètres de ma chambre jusqu’à l’endroit où j’ai du courant et de l’internet. Je tape le texte avc la lumière de mon écran de PC, boosté par les moustiques qui piquent au même rythme. Tout cela n’est rien par rapport au sens et à la joie d’être ici, en me sentant à ma place, relié à mes sœurs et frères en grande détresse, présent à leurs côtés, à leur écoute et apportant ce que je peux.

Une injustice tient comme une pyramide sur sa pointe

Suite de mes engagements à l’Est-Congo. Ce jeudi, la ville de Goma est plus calme. La session que je devais animer ici depuis hier a finalement commencé ce matin mais nous avons changé de salle pour que je reste en sécurité : tous les gens viennent jusqu’à mon logement…Les gens sont choqués par l’inefficacité de la MONUSCO (Forces armées de l’ONU envoyées au Congo) qui laisse faire des massacres à quelques centaines de mètres de ses bases et les gens sont révulsés par ses dysfonctionnements (certains de ses militaires volent, détournent, fraudent ou commettent des violences sexuelles)… J’accompagne du mieux que je peux les consciences : il y a tellement mieux à faire que de s’en prendre aux ‘Forces de l’Ordre’ et de s’en prendre des balles : plus de cent sangs ont coulé ici dans les marches de protestation. À l’inverse, sans s’en prendre aux personnes, s’en prendre au mal et aux injustices, c’est la seule voie pour rompre la chaîne infernale des violences. J’aide les participants à mon séminaire D-I-A-P-O-S à utiliser la méthode notamment dans cette problématique de la MONUSCO. Nous cherchons ensemble comment aider les indignations légitimes à devenir des engagements constructifs pour augmenter la justice, et ainsi la paix. L’injustice peut être représentée comme une pyramide qui repose sur sa pointe. Ce n’est pas naturel qu’une telle pyramide se maintienne sur sa pointe, elle tient en équilibre parce qu’elle est soutenue par des piliers qui appuient sur les différentes faces. Nous repérons les piliers les plus à notre portée pour les faire tomber. Et, après analyse (A de D-I-A-P-O-S), nous employons notre créativité pour préparer une campagne d’action pertinente qui entraîne l’ensemble des citoyens désireux de changement.

Tout un chemin pour ne pas seulement pointer les défaillances et responsabilités de la MONUSCO mais aussi celles de l’armée et du gouvernement congolais et aussi celles des citoyens que nous sommes…

Être conscient de l’enchaînement des violences

Dans la région de Butembo-Béni, au Nord-Kivu, chaque jour, de braves gens sont égorgés & décapités quand ils vont travailler dans leurs champs.

Un homme, dans la région de Béni, ose aller dans son champ, qui se trouve à 10 kms de la ville. Il y trouve une famille installée. Il a peur d’être tué… mais l’accueil est chaleureux : « vous êtes un visiteur ; soyez le bienvenu ». Et pour montrer leurs bonnes dispositions, le chef de cette famille lui offre une poule et un régime de bananes à ramener chez lui, en ville, pour fêter avec sa famille. Il trouve que c’est un comble : sur ses propres terres, il se fait accueillir comme le visiteur et il reçoit en cadeau ses propres bananes… mais il a tellement peur d’être égorgé qu’il fait profil bas et cherche à partir vivant. L’homme l’aide à charger le régime de bananes et la poule sur sa mobylette et le salue. Il part et s’arrête 1 km plus loin, en se disant : « Je ne peux pas retourner par le même chemin, il va appeler ses complices et ils me tueront ». Hélas, il n’y a aucune autre route pour rentrer chez lui. Il fait alors le choix d’abandonner les deux présents et d’enlever sa chemise rouge. Il repart à vide et en singlet. 2 kms plus loin, un barrage de gens armés l’arrête : « d’où tu viens ? ». « oh de pas loin, là-bas, en suivant un petit chemin, on arrive chez moi. »   « Tu n’as pas vu un homme en chemise rouge ? à mobylette, avec des bananes et une poule ? »   « Ah si, là-bas à 1 km, il a un petit ennui mécanique mais il arrive bientôt »… Ils ne trouvèrent que les bananes, la poule et une chemise rouge vide, sans l’homme qui ne revint plus jamais de ce côté-là, préférant la vie  à l’exploitation de ce champ-là… Voilà comment les « infiltrés » prennent pied. Voilà comment les braves gens, qui se sentent très seuls et abandonnés par leurs Autorités, laissent faire ces appropriations forcées. Impunités et absence d’un État de droit. Le Nord-Kivu est au Congo ce que le Far West a été aux USA du 19e siècle : le Far East congolais.  

Beaucoup cherchent un lopin de terre, parmi les Interhamwe (Hutus Power qui ont fui le Rwanda en 1994 et qui espèrent reconquérir le pays) ou les « Nalou » (National Army of Liberation of Uganda), qui n’ont pas trouvé leur place dans leur propre pays depuis l’arrivée au pouvoir de Museveni (grâce au soutien armé des Tutsis rwandais du FPR).

Mettre en pleine lumière (celle de la conscience), l’enchaînement des violences à l’aide de l’archevêque Dom Helder Camara. Repérer l’enchainement des trois types de violence, les violences n° 1, 2 et 3 :

Autre ressource pédagogique : Les violences visibles ne sont peut-être pas les pires, Dans l’arbre des violences, qu’est-ce qui est racine, branche et fruit ?  

Remonter aux racines de l’injustice, cachées sous le sol: les violences structurelles, les « structures de péchés sociales » (concept opératoire proposé par Saint Jean-Paul II dans Sollicitudo rei socialis, 1987).

Par exemple, au Rwanda, regarder les jacqueries de 1959 comme des violences visibles, en haut de l’arbre, aller sous le sol chercher les racines de l’arbre. Aller chercher les violences n° 1 à la base de ces violences n° 2 : cela fait remonter plus loin dans le temps et repérer l’enchaînement des violences jusqu’à aujourd’hui, dans toute la Région des Grands Lacs.

Canaliser les forces populaires pour plus de justice et de paix

Ici, à l’Est du Congo, les gens se révoltent contre la MONUSCO non seulement pour son inefficacité dans la protection des civils tués quotidiennement mais encore, pire, pour ses graves dysfonctionnements : le plus pénible, c’est que les gens voient plusieurs de ses militaires voler et détourner les fonds. C’est très visible par exemple avec l’essence ONUsienne qui se retrouve en vente dans les quartiers. Elle est très repérable car de couleur bleue, à cause d’un additif spécifique. Pire, à Béni, où les gens n’osent plus aller dans leurs champs (où chaque jour des gens se font ‘égorger’ et ‘décapiter’ (mots quotidiens ici), les militaires ONUSCO sont accusés (tout comme des membres des FARC, armée congolaise) de voler dans les champs, comme l’atteste le cacao par exemple que les gens voient 1) dans leurs containers, alors que ces militaires d’ailleurs n’ont pas de champs à eux, et 2) en vente dans des quartiers autour de leurs bases et baraquements, alors que les champs sont loin de là.

Histoire banale ici : un citoyen a dénoncé un militaire des FARC, dont le container était plein. Le citoyen a été tué qq nuits plus tard. Ici, tout qui agit en justicier disparaît vite…

Pendant le séminaire à Butembo que j’ai donné la semaine dernière à 40 piliers de la société civile + politiciens + professeurs + religieux, j’ai enseigné les méthodes d’actions non-violentes, par lesquelles la force de la vérité se propage sans que jamais un nom ne soit connu, un individu ne se soit avancé seul (surtout ne jamais agir en justicier, ne pas s’approprier la justice, ne pas personnaliser le Cadre de Droit) : l’art de mobiliser le groupe jusqu’à atteindre une masse critique pour atteindre l’objectif précis de changement, objectif réaliste à notre portée. C’est justement le point faible de ces révoltes populaires qui s’indignent et s’affrontent à des Forces du ‘Désordre établi’, sans que leurs forces soient canalisées.

Je vis l’urgence de former ces leaders à la fois honnêtes, humbles et intelligents que je connais après 15 ans de sessions dans la région. Je tiens à les accompagner dans un engagement réfléchi et orienté constructivement vers un progrès, à partir de leurs créativités pour trouver la bonne prise, à l’image de la marche du sel d’un mois (moins 5 jours) de Gandhi et de la marche d’un an (plus 5 jours) des Afro-américains boycottant les bus de l’apartheid.