Accueillir son ombre

Tout ce qui est refusé, parce que non conforme avec l’image de soi que l’on s’efforce de construire, tombe dans la partie non visible du Moi. En sens inverse, l’ombre devient davantage consciente par un regard d’acceptation bienveillante. Ce chemin d’humanisation révèle les projections de notre ombre sur les autres. Exemple : une femme aimait une de ses jeunes nièces plus que les autres nièces, alors même qu’elle la houspillait sans cesse. C’est plus fort qu’elle, elle la voudrait parfaite. Un jour, le frère de cette femme lui dit : « Je ne comprends pas pourquoi tu as ce comportement avec elle, tu devrais la préférer, elle te ressemble tellement ». Cette femme a soudain réalisé : sa nièce a des traits de caractère qui avaient été les siens autrefois et qui, pour plaire à son entourage, avaient été « mis à l’ombre ».

(à partir d’un post de la page FB psychanalyse jungienne sur l’ombre).

Tendre la joue en cas de cambriolage

Le cardinal viennois Christoph Schönborn (1945- ) a écrit en 2003 : « Le policier qui barre la route au cambrioleur dans une banque, n’a pas le droit de lui tendre l’autre joue. Il doit l’arrêter, à l’aide de son arme s’il le faut. J’ai le droit de me défendre par des moyens légitimes contre un tort qui m’est fait. Mais la question de Jésus vise notre cœur : réclames-tu ton droit avec des sentiments de vengeance ?  » Son commentaire est typiquement augustinien : l’évangile de la joue tendue en appelle à une non-violence de cœur, qui oriente les esprits, qui inspire, mais pas à une non-violence en actes. On doit dans certaines situations être violent mais avec une intention droite et sans sentiment de vengeance. Une telle pensée pense la force policière en contradiction avec la joue tendue, à cause du fait qu’elle range exclusivement cette page d’évangile du côté d’un amour d’oblation qui se sacrifie. Quels nombreux dommages cette lecture d’évangile entraîne !

À l’opposé, une fois que tendre l’autre joue est reçue comme une invitation à faire preuve d’un à propos et d’une créativité tels qu’on fait déboucher le cambriolage sur l’issue la plus juste et bonne possible, disparait alors l’opposition entre réalisme et évangile ; les deux s’articulent très bien. Tant dans la gestion constructive des conflits que dans l’évangile de la joue tendue, le défi est de parvenir à mobiliser toutes ses facultés pour trouver le meilleur moyen d’arrêter effectivement ce cambriolage. L’Évangile apporte un « plus » dans ce processus d’apprentissage multidimensionnel, notamment en allant à la racine des blocages, dans le regard porté sur l' »ennemi ». « Tends l’autre joue » signifie : regarde-le en frère, rejoins-le au cœur de son humanité, trouve les gestes, paroles et regards qui vont ouvrir sa conscience, établis un contact avec son âme, ne l’enferme pas dans tes jugements, ne te donne pas le droit de le punir. Un policier qui croit avoir reçu un mandat divin pour punir et réprimer les méchants va alimenter l’escalade de la violence. Il obtiendra de meilleurs résultats s’il apprend à intervenir dans l’esprit de protéger les victimes plutôt que de réprimer l’agresseur, et même à déployer ces énergies de protection jusqu’à celui-ci. Une autre croyance à travailler est de nous sentir fort grâce à notre arme, de croire que notre force vient d’elle, de placer notre confiance en elle. À vrai dire, le plus souvent, nous brandissons et agitons une arme plus par peur, dans le stress, que par stratégie bien pensée. Et à quoi cela conduit-il de menacer ainsi un malfaiteur plus violent et plus décidé à l’être que nous ? L’agressivité négative due au stress n’est pas bonne conseillère. Nous avons à être initiés à la gestion des émotions fortes que provoque une pareille situation, et d’abord à la gestion des émotions en amont d’une situation exceptionnelle. 

Il y a là tout un programme de vie, un long cheminement d’intégration existentielle de ces divers registres : la lucidité d’un savoir, la compétence d’un savoir-faire et la sagesse d’un savoir-être. Une défense efficace intègre la mobilisation de toutes ces facultés, qui sont des forces non négligeables dans le dénouement heureux d’une crise ! En cas de conflit, l’Évangile peut avoir sa place parmi les diverses ressources stimulant la création à la fois intelligente et généreuse d’alternatives. Jésus a tant de choses à dire au policier qui doit gérer une agression, sur la force véritable qui se joue d’abord dans la bienveillance du cœur, dans l’inventivité de l’imagination, dans la lumière du regard qui renvoie à une confiance fondamentale et à cette force tranquille de celui qui se sait enfant bien aimé du Père-Créateur de tous… Les porteurs de cette interprétation de l’évangile de la joue tendue interpellent les hommes d’Église dans leur ministère d’enseignement de la Parole. Ils aimeraient que le Magistère reconnaisse aujourd’hui plus explicitement que de telles actualisations éclairent les policiers mieux que la parole du cardinal Schönborn qui oppose l’intervention des forces de l’ordre à cette page d’évangile, en disqualifiant cette dernière.  

Extrait de mon livre La non-violence évangélique et le défi de la sortie de la violence, p. 260.

Ensemble pour faire tomber une injustice

Des femmes d’un bidonville de Medellin, capitale de la Colombie, demandèrent à plusieurs reprises à leur maire de prolonger les canalisations d’eau jusque dans leur quartier. Elles reçurent plus d’une fois des promesses mais sans jamais de suite. Elles se réunirent un jour, sous la houlette de certaines qui avaient suivi un séminaire sur la non-violence active, animé par Jean et Hildegard Goss. Elles décidèrent d’intensifier leur lutte mais de manière non-violente, c’est-à-dire en décidant explicitement quoi qu’il arrive, d’exclure tout moyen violent, qui dégrade autant celui qui les subit que celui qui les commet. Elles formèrent des groupes de 10 femmes, chacune avec son plus petit enfant. Le premier groupe alla à la place centrale de la ville, où une très belle fontaine déversait ses eaux abondantes. Elles se mirent à baigner leur bébé dans les flaques d’eau, à côté de la fontaine. Des femmes de la classe moyenne intervinrent, choquées, ce qui permettait au groupe de leur expliquer le manque d’eau propre dont elles souffraient et l’indifférence des autorités. La police les emmena au poste mais elles étaient suivies par un deuxième groupe, qui faisait de même. La police devait revenir pour les chasser, et ainsi de suite. Au 5ème groupe, un policier énervé leva sa matraque pour frapper une femme. Mais une femme riche lui saisit le bras, l’immobilisa en l’interpellant : « si ta femme vivait là-haut comme ces femmes, est-ce que tu la frapperais ? »  À partir de là, des femmes des classes moyenne et supérieure se joignirent aux femmes des bidonvilles et ensemble, elles retournèrent s’adresser à l’administration. Une solution fut trouvée, où chacun faisait un pas vers l’autre. Les nombreux hommes sans travail des bidonvilles creusèrent les tranchées et la municipalité finança l’adduction d’eau.

Extrait de mon article publié le 13 mai 2000, disponible sur http://etiennechome.site/outils-pour-de-meilleures-relations-humaines/
article n° 6.

Ensemble faire tomber une injustice

L’Équipe d’Études sociales, économiques et politiques de l’ICJM organise une session de formation pour tous Mauriciens désireux de penser ensemble et de poser, ensemble, des pistes de réflexion et d’engagement face aux injustices prévalant au sein de notre société mauricienne.Animée par le Dr. Étienne Chomé, professeur belge, coach et consultant en entreprise, cette session s’articulera autour de la méthode D-I-A-P-O-S : il s’agira, outre d’acquérir des connaissances, de développer des compétences en vue de renforcer la résilience citoyenne des Mauriciens et de faire émerger une conscience forte en faveur d’un meilleur-vivre-ensemble au sein de la République de Maurice, une et plurielle.Nous risquant à rêver ensemble, il s’agira, surtout, de continuer à créer des ponts, à bâtir des passerelles, à réunir des Mauriciens de tous horizons religieux et culturels, milieux socioprofessionnels et « backgrounds » académiques, Citoyens de Maurice de tous sexes et âges. Et ce, afin qu’ensemble, au moyen de ce séminaire, chacune, chacun, et tous puissent dégager et développer des pistes pour mieux être présents et engagés face à tous les enjeux qui nous attendent tous pour l’avenir de nos enfants et le devenir de notre société.Nous demeurons convaincus qu’en osant rapprocher les personnes et les communautés, quelles qu’elles soient, cette méthode D-I-A-P-O-S peut propulser les participants sur une voie nouvelle où chacun portant sa différence rencontrera son concitoyen, également porteur de différences, afin de penser et agir ensemble. L’horizon d’une société plus juste, plus écologique et plus inclusive nous attend : c’est la République de Maurice.

« Violence » and « non-violence »: two operative concepts

Here are the first lines of my book: The New Paradigm of Non-Violence:

Is it possible to effectively counteract violence by means other than violence?  How can one exercise the « right » of legitimate self-defence without being drawn into the terrible trap of becoming part of the conflict – without becoming an accomplice to the violence of the aggressor? Is this question different for individuals in their interpersonal relationships than it is for human societies in their international relations?

Certainly, taking responsibility in the midst of this violent world is to assume a part in the battle that will require a certain power. Love without power is powerlessness. Authority without sanction is laissez-faire. Passivity produces the worst conflict scenarios.  Impunity is the breeding ground for the worst abuses of power. To love someone is not to let them do harm. However, at the other end of the spectrum, how much anger and how many ‘holy’ wars are gangrenous with the evil they claim to be fighting? Where is the dividing line between the power of domination, which contains the seed of destructive violence, and legitimate forces based on law, which are respectful of people and capable of building justice in a context of love?

« Violence » and « non-violence » are two operative concepts that crystallise a paradigm shift. One use of the term « violence » is to push back the line of the « lesser evil » that is tolerated. At the end of the 20th century, « violence » became an operative concept that was used within some human groups to stigmatise practices in order to better ostracize those that had lost their integrity, legitimacy or necessity. For example, in ‘countries embracing human rights’, it was tolerated – not so long ago – that, to curb a child’s indiscipline, a parent could use a whip, or lock the child in a dark cellar for a whole night. As these practices have crossed the threshold of unacceptability, today, in the name of children’s rights, countries are saying no to corporal punishment as a means of education. The value of the operative concept is to mobilise the group: behaviour that shocks people’s consciences because it has become humanly contemptible will only be outlawed through changes in awareness, and a long maturation on the moral, cultural and psychological levels.  Each member of the group will be effectively confronted with his or her responsibilities when on the political level legislation outlaws the act described as ‘violent’, and the law is accompanied by sanctions.

A teacher who hits a child today, is disapproved of and sanctioned, however well-meaning his intention, however just his cause. In fact, his action is the expression of a tragic powerlessness.  If he were sufficiently trained in conflict management, he would find resources other than physical violence in order to exercise his authority and obtain effective respect for the rules. The objective of the principle of non-violence is to formalise a clear and precise limit for all:

« Whatever the end pursued or the extenuating circumstances, physical violence towards a child is a mistake and a counterproductive action. It is unjustifiable, it is prohibited.”

Once the action is recognised as intrinsically wrong, the so-called ‘non-violent’ alternatives that have existed all along, become obligatory. The « non » of « non-violence » means STOP to violence. It is much more than a negation.  It is a « no » to rupture and to combat; it is a mobilising « no » in refusing the fatality of violence. Thus, this dynamic is of great practical fertility in pushing back against customs that have been tolerated until now, as lesser evils.

This dynamic also affects international relations, even if it is less easily apprehended there.  The violence of states, linked to their sacrosanct sovereignty and “raison d’Etat”, is diminishing as human groups manage to eliminate their various forms of honour, of ideological justification and the idea of inescapable necessity. Are there still just wars? In any case, consciences are becoming increasingly aware of the role of lies and propaganda in justified wars!

The hypothesis at the beginning of this essay is that the capacity of men to progressively outlaw violence gives rise to a new paradigm of thought, which can be summed up in a formula: the challenge of our time is to learn how to exercise force without violence. In understanding this new paradigm, the activist philosopher Jean-Marie Muller, born in 1939, was the first in the French-speaking world to state: « The ‘non’ that non-violence opposes to violence is a ‘no’ of resistance. Non-violence is certainly abstention, but this abstention itself requires action. […] It is a question of creating a dynamic that aims to limit, reduce and, as far as possible, eliminate violence, starting with the reality of violence that we are used to considering as necessary and legitimate. There is a chain reaction of economic, social, political and police violence that cannot be interrupted if at any point in the process violence is legitimised. To break the logic of violence, a political dynamic must be created that reverses the process of the violent development of conflicts. It is this dynamic that the political philosophy of non-violence invites us to implement.

Below is the conceptual framework I have invented to mark out the path: leave the horizontal line of the ill-posed dilemma to pose a double vertical: where do the lines pass that separate, on the one hand, violence (column 1) and passivity, its accomplice (column 4) and, on the other hand, the non-violent forces of law (column 2) and love (column 3)? Then, how can columns 2 and 3 be increased, while continually reducing 1 and 4?

Mobilising the group when violence occurs

Imagine that you live in a working-class neighbourhood in Kinshasa (capital of the Congo, former Zaire).  You are attending a seminar that is teaching you how to resolve situations of injustice, without falling into the trap of violence yourself (which is radical injustice).  You are asked to precisely describe an example of injustice.  You choose this example:  the women in a neighbourhood are regularly beaten by their husbands, under the guise of socially accepted customs.

With your working group, you think about how, in this case, to turn the other cheek.

You decide on the initiative of creating, in concentric circles, the most general mobilisation possible of people of good will in the neighbourhood; those that are convinced that it is time to end, and declare unlawful, these practices of patriarchal domination.  From now on, whenever a woman is beaten, all the people in this network will relay a special rallying cry, prompting all of them to converge on the home concerned, where the group will stand together, in silence, occupying the house/yard, for several days.

A non-violent Jesus – more revolutionary than the revolutionaries

Jesus did not directly attack the political oppression of the Roman invaders, nor the socio-economic enslavement of his people, but he did undermine its foundations.  He went to the root of the domination of some over others in order to awaken our consciences, and to urge our hearts to let go of our abuse of power and our structural violence.  It took a few generations for the fermentation of his Good News to subvert the Roman Empire, but it did subvert it… In this way, the radically non-violent Jesus is more revolutionary than the revolutionaries!

The heart of the story is that his Father is JUST and MERCIFUL:  a God bowed over us with His heart pressed against our sufferings. And He invites us to conversion: to choose to trust in Him, to believe in His infinite patience and mercy, in the radical benevolence of His Divine Providence.

Our conversion during this Lenten season is not primarily about what we do, but about what we think; how we imagine God. He tells us that, despite the appearance that the superficial and short-term are effective, it is the radical transformation of human hearts that has the power to change the face of the world. Do we believe it?

Spring is not only the right time for strategists to launch a military operation against our neighboring country; it is also our annual, resolute ascent towards Easter, towards death and resurrection.  Joyful Lent – a Lent joy-filled in peace and in the determination for a just peace!

Une belle présence dans une juste distance

Elle a du bon, la robe à crinoline (élargie par des jupons à armature cerclée), elle offre un large périmètre de sécurité à la personne qui la porte, pendant le bal. Elle rend visible l’enjeu d’une juste distance, où chacun.e habite son propre espace et veille à ne pas empiéter sur l’espace de l’autre.

Cela me parle de prendre soin dans mon quotidien de ma propre parcelle : l’aligner par en haut et par en bas, la fleurir à gauche et à droite… Tout le reste vient en surcroît, y compris la prise et de conscience et l’accueil compréhensif de mes parts sauveuses qui, avec la meilleure intention du monde, ont tendance à prendre en charge des bouts de parcelle d’autrui, dans l’illusion de les servir. Il est bon de grandir en conscience sur mes élans généreux, de sentir quand ils viennent d’un endroit en moi non libre, chargé, tentant de combler un manque de présence, une peur de ne pas avoir ma place, une angoisse de rejet, une angoisse d’abandon.

Quand nous nous emmêlons à l’autre en conflit, il me semble utile d’avoir l’humilité d’imaginer porter des cerceaux, comme ces enfants au début de la pandémie, qui étaient ainsi aidés à visualiser la distance d’1,50 m. à respecter…

Vie grille-pain tremplin

« J’aime que l’on entende quelque chose qui n’est pas forcément écrit : deux mots peuvent donner un autre mot, ou même un seul mot peut avoir plusieurs significations. J’aime bien le fait que lorsqu’on entend quelque chose, ce n’est pas forcément ce qui est écrit, ou quand on lit quelque chose, ce n’est pas forcément l’idée première de la phrase », nous partage Florentin Fouch, qui se présente comme un « obsédé textuel », notant dans son carnet toujours à portée de main les jeux de mots que font jaillir les interactions du quotidien. 

Quand la forme fertilise le fond, le flow fluide de la phrase féconde
l’éclosion des émotions. Mots fléchés, jets d’émoi, jeux de moi et toi ?

Le carême pas par obligation mais poussés du dedans

Bon ramadan, sœurs et frères musulmans.
Bon carême, sœurs et frères chrétiens.

Je nous souhaite de vivre le carême non par obligation ni par plaisir, mais poussés du dedans, comme un appel à nous recentrer sur l’essentiel. Je nous souhaite de plonger dans le dépouillement du carême par une motion intérieure, une décision libre et autonome, comme celle de Jésus quand il s’exclame : « Ma vie, nul ne la prend, je la donne ». Et quelle surprise quand elle lui sera redonnée plus encore !

J’ai envie de vivre le carême car j’ai envie d’être en mesure de suivre quelque peu la plongée de Jésus dans le dépouillement extrême, dans cette Pâque-passage où tout semble perdu, où Plus encore est finalement donné.