société communion et pyramide inversée

La reine Néfertiti et son époux Akhenaton, au XIVe siècle av. J.-C. ont opéré une des révolutions religieuses les plus osées de l’Histoire : faire d’Aton (le disque solaire) l’unique dieu, source de toute vie, en éclipsant (petit jeu de mot qui ne mange pas de pain !) toutes les autres divinités du panthéon égyptien. Ils ont ainsi aboli les cultes traditionnels, fermé les temples des dieux rendus obsolètes comme Amon-Rê, construit la nouvelle capitale Akhetaton (dédiée exclusivement à Aton), changé de nom (le pharaon Amenhotep IV est devenu Akhenaton = « celui qui sert Aton, qui lui est utile »).

Cette première forme de monothéisme (qui n’a duré que le temps de leur règne) ne fonctionne pas du tout comme le monothéisme hébreu du « Dieu de nos pères ». Car le pharaon s’est présenté comme l’intermédiaire exclusif entre Aton et le peuple, renforçant son pouvoir sacré. Moïse, lui, qui conduit les Hébreux hors d’Égypte, est serviteur de Yahvé. Le fait de placer celui-ci au milieu du peuple a des incidences directes à tous les niveaux de la société, permettant une nouvelle organisation sociopolitique non pas en forme de pyramide mais de cercle, comme une roue de vélo à rayons multiples, où tous les membres se tiennent sur la roue, avec Dieu pour essieu (dans les cieux, petit jeu de mot qui ne mange pas de pain !). Jésus ira bien plus loin encore en inversant la pyramide : le fort non-violent porte les plus faibles et ainsi accouche d’un nouveau monde.

Pour plus de développement, cf. ci-dessous ma reprise des p. 118-119 de mon livre Tends l’autre joue.

La société de l’Égypte pharaonique fonctionne en pyramide. C’est là-bas qu’un groupe d’esclaves fait l’expérience il y a presque 33 siècles d’être libéré par un certain Seigneur. Celui-ci les conduit au désert et leur apprend à vivre en frères. Cela ne leur  est  possible qu’en  mettant ce Seigneur au milieu d’eux. Moïse n’est pas le chef, il est serviteur de Yahvé. Ce peuple en train de naître vit une révolution spirituelle qui a des incidences directes au niveau social, économique et politique. Le Dieu de la Bible lui demande de s’organiser en société-communion, convertie d’une société-pyramide. Ainsi les dispositions de redistribution du jubilé en Lv 25.

À l’instar de Moïse monté au Sinaï dans le désert, Jésus est monté sur la montagne pour renforcer cette bonne nouvelle libératrice : comme notre exégèse à même le texte l’a établi précédemment, le message central du Sermon sur la montagne est que nous sommes fils et filles d’un même Père et nous sommes tous frères en Christ. Et Jésus radicalise le schéma, en inversant la pyramide : en lavant les pieds de ses disciples, il les prend par les pieds – si j’ose dire – pour passer avec lui. La justice nouvelle du Royaume opère un chamboulement radical, bienheureux pour les pauvres et les non-violents, à l’opposé de la logique des puissants et des nantis. La seule figure biblique capable de suivre Jésus dans sa manière d’accoucher un nouveau monde est celle du serviteur souffrant.