« Rien ne finit jamais comme on voit dans les livres,
une mort, un bonheur après quoi tout est dit.
Le paladin, jamais la belle ne délivre,
Et du dernier baiser renaît la tragédie.
Et le monde est pareil à l’antique forêt
Cette tapisserie à verdures banales
Où dorment la licorne et le chardonneret
Rien n’y palpite plus des vieilles saturnales
Ni des rondes de lune où les lutins dansaient
Inutile aujourd’hui de lire le journal
Vous n’y trouverez pas les mystères français
La fée a du s’enfuir du fond de la fontaine
Et la fleur se fana qui chut de son corset
Les velours ont cédé le pas aux tiretaines
Le vin de violette est pour d’autres grisant
Les rêves de chez nous sont mis en quarantaine
Mais le bel autrefois habite le présent
Le chèvrefeuille naît du cœur des sépultures
Et l’herbe se souvient au soir des vers luisants
Ma mémoire est un chant sans appogiatures
Un manège qui tourne avec ses chevaliers
Et le refrain qu’il moud vient du cycle d’Arthur
Les pétales du temps tombent sur les halliers
D’où soudain de ses bois écartant les ramures
Sort le cerf que César orna de son collier
L’hermine s’y promène où la source murmure
Et s’arrête écoutant des reines chuchoter
Aux genoux des géants que leurs grands yeux émurent
Chênes verts souvenirs des belles enchantées
Brocéliande abri célèbre des bouvreuils
C’est toi forêt plus belle qu’est ombre en été
Brocéliande brune et blonde entre nos bras
Brocéliande bleue où brille le nom celte
Et tracent les sorciers leurs abracadabras
Brocéliande ouvre tes branches et descelle
Tes ténèbres voici dans leurs peaux de mouton
Ceux qui viennent prier pour que les eaux ruissellent
Chacun d’eux à l’appel de France répondant,
chacun d’eux a l’accent qu’il faut au sacrifice.
La gloire n’eut jamais autant de prétendants »
(Louis Aragon, Brocéliande).