« […] L’artiste fait jaillir des sources qui rafraîchissent le corps et l’âme dans leur unité : « posséder la vérité dans une âme et un corps », comme l’écrit Rimbaud à la dernière ligne d’Une saison en enfer. L’art vrai et libre, quel qu’il soit, nous conduit à notre vérité. […] Chez François Cheng, lecteur de la pensée européenne et de la pensée chinoise, immergé dans la pratique artistique de l’Orient et de l’Occident, le don de sourcier du poète, du calligraphe et du peintre qu’il est, est nourri du sentiment d’unité et de mobilité universelles qui anime la pensée chinoise. Il essaye de partager les fruits de deux quêtes immenses qui se sont croisées en lui, et qui sont appelées, s’il plaît aux hommes comme à Dieu, à se rencontrer et à collaborer. […] Dans ses Pensées, Pascal note brièvement : « Moïse ou la Chine ». Le « et » serait aussi juste. […] L’élan des sciences et des techniques, la ferveur démocratique pour l’égalité et la liberté sont saluées comme des acquis positifs dont il faut prendre soin. Mais le monde de la science n’épuise pas la richesse du monde créé, que François Cheng poète sait rendre sensible au cœur battant, à l’œil ouvert et amoureux de sa beauté. S’ouvrir à la sagesse chinoise, riche de sa triple expérience confucéenne, taoïste et bouddhiste, donne cette distance avec nous-mêmes qui permet de voir les impasses et les amnésies de l’humanité occidentale (Jean de Miribel et Léon Vandermeersch, Sagesse chinoise, une autre culture, Le Pommier, 2010). Henri de Lubac rapporte dans Catholicisme ce propos d’un jésuite chinois : « Vous ne comprendrez pleinement la Bible que lorsqu’elle aura été traduite en chinois. » Aux chrétiens de se saisir de ce point d’Archimède pour que le bâton de la Croix du Christ fasse entrer leur Église qu’ils confessent « catholique », c’est-à-dire universelle, dans la rencontre des cultures, qui est notre avenir commun et leur mission.
– Ce statut de « passeur » est-il l’explication de son immense succès en librairie et plus largement de sa popularité ?
– François Cheng est devenu ce passeur entre deux rives, ou plutôt, ce constructeur de pont qui n’abolit pas les différences, qui lui semblent si précieuses, entre les deux rives, mais qui facilite et donc hâte la rencontre et la découverte de soi dans l’autre. De la rive chinoise vers l’occidentale, le passage est peut-être encore plus difficile et compliqué que de chez nous là-bas. Son nom en est devenu le symbole puisque, comme il l’a écrit dans son court ouvrage Assise, une rencontre inattendue, ce paysage et ce saint européens ont tant compté pour lui révéler qu’il pouvait être lui-même ici comme là-bas » (Antoine Guggenheim, brillant intellectuel prêtre qui a fondé le pôle de recherche du Collège des Bernardins à Paris, et qui fut mon frère de séminaire à Louvain-la-Neuve entre 1986 et 1988). Pour lire tout son article publié dans Le Figaro, le 12 octobre 2022 (que je me suis permis de réduire ici de 55 %), aller sur sa page FB, où il reprend le texte intégral dans son post du 25 octobre.