« Descendant de plus en plus avant, par la profondeur de la douleur, on atteint au mystère, à l’essence. Je souffrais jusqu’au fond de moi-même, jusque dans mon corps, dans mon cœur – bien plus que ne m’eût fait souffrir la peur de perdre la vie – de cette curiosité à laquelle collaboraient toutes les forces de mon intelligence et de mon inconscient ; et ainsi c’est dans les profondeurs mêmes d’Albertine que je projetais maintenant tout ce que j’apprenais d’elle. Et la douleur qu’avait ainsi fait pénétrer en moi, à une telle profondeur, la réalité du vice d’Albertine me rendit bien plus tard un dernier office. Comme le mal que j’avais fait à ma grand-mère, le mal que m’avait fait Albertine fut un dernier lien entre elle et moi et qui survécut même au souvenir, car, avec la conservation d’énergie que possède tout ce qui est physique, la souffrance n’a même pas besoin des leçons de la mémoire. Ainsi, un homme qui a oublié les belles nuits passées au clair de lune dans les bois souffre encore des rhumatismes qu’il y a pris. Ces goûts niés par elle et qu’elle avait, ces goûts dont la découverte était venue à moi, non dans un froid raisonnement mais dans la brûlante souffrance ressentie à la lecture de ces mots : « Tu me mets aux anges », souffrance qui leur donnait une particularité qualitative, ces goûts ne s’ajoutaient pas seulement à l’image d’Albertine comme s’ajoute au bernard-l’ermite la coquille nouvelle qu’il traîne après lui, mais bien plutôt comme un sel qui entre en contact avec un autre sel, en change la couleur, bien plus, la nature » (y en a Marre-sel Proust, Albertine disparue, p. 136).
« On peut presque dire que les œuvres [littéraires], comme dans les puits artésiens, montent d’autant plus haut que la souffrance a plus profondément creusé le cœur » (plouf dans Mare – scelle Proust, À la recherche du temps perdu, p. 66).
« Où est-elle, ma bien-aimée ? Ses attentions sont, dans la forme, pleines de gentillesse mais, au fond, où est son cœur ? A-t-elle cessé de m’aimer, tout en le cachant dans l’intention de ne pas me faire mal ? D’où me vient cette impression que ses caresses goûtent le fond de teint avec lequel le croque-mort apprête la dépouille ? Une poudre aux yeux censée atténuer la souffrance des endeuillés venant s’incliner une dernière fois devant le corps vidé de vie… La question de fond lancinante me lacère, me la sert, me la serre : en amont de nos affects en crise, ma bien-aimée ne sent-elle pas la connexion de nos cœurs profonds, alignée sur l’appel de l’Éternel ? Me dira-t-elle « oui » de tout son cœur, corps, esprit et âme ? » (Étienne Chomé, il y a 31 ans, jeune dépassé des passés).