Si belle fleur du mal, trônant sur ce mal qu’est le fumier colonial

Voici le poème Le Léthé de Charles BAUDELAIRE,
en hommage à Jeanne, dont il est fou amoureux,
cette fille des îles (d’Haïti aux rivages mauriciens),
au teint fauve et brun,
si belle fleur du mal, trônant sur ce mal
qu’est le fumier colonial :

Viens sur mon cœur, âme cruelle et sourde,
Tigre adoré, monstre aux airs indolents ;
Je veux longtemps plonger mes doigts tremblants
Dans l’épaisseur de ta crinière lourde ;

Dans tes jupons remplis de ton parfum
Ensevelir ma tête endolorie,
Et respirer, comme une fleur flétrie,
Le doux relent de mon amour défunt.

Je veux dormir ! dormir plutôt que vivre !
Dans un sommeil aussi doux que la mort,
J’étalerai mes baisers sans remord
Sur ton beau corps poli comme le cuivre.

Pour engloutir mes sanglots apaisés
Rien ne me vaut l’abîme de ta couche ;
L’oubli puissant habite sur ta bouche,
Et le Léthé coule dans tes baisers.

À mon destin, désormais mon délice,
J’obéirai comme un prédestiné ;
Martyr docile, innocent condamné,
Dont la ferveur attise le supplice,

Je sucerai, pour noyer ma rancœur,
Le népenthès et la bonne ciguë
Aux bouts charmants de cette gorge aiguë
Qui n’a jamais emprisonné de cœur.

Pentecôte & Babel

La Pentecôte bouclant la Tour de Babel, Opéra en trois actes : 
1) l’uniformisation à la manière de toutes les Pax impériales, avec leurs estafettes commerciales (de type Mc Donald), pour se faire un nom de gloire ;
2) le non du Dieu de la Bible à ces conquêtes impériales, dominatrices, orgueilleusement uniformisantes ;
3) l’accueil de la différence jusqu’à l’unité sans uniformité.

« Depuis la nuit des temps, l’histoire de Babel se répète. La course à la tour la plus haute du monde que gagnent en ce moment les pays arabes rappelle à la vieille Europe ses guerres de clochers au Moyen-âge : la compétition faisait rage entre les familles les plus riches de la Cité : c’était à qui construirait la tour la plus haute et la plus belle. La technologie est alors au service d’une politique de puissance. Le Dieu de la Bible dit non à ce nom-là. La Pentecôte est l’anti-Babel. La Pentecôte, c’est le récit d’une nouvelle création, d’une nouvelle convivialité, d’une nouvelle aurore de l’humanité. L’Esprit Saint crée la communion dans la différence » (extrait de mon livre La non-violence évangélique et le défi de la sortie de la violence, p. 205).

Merci pour
chaque être humain
qui, dans ses moments
privilégiés, se révèle
être de lumière.

Vivent ces langues de feu
qui éclairent la nuit…

Puisque le Christ a pris
l’Ascension pour monter,
l’Esprit Saint prend l’ascenseur
pour descendre la pente-côte ?…

Bonne montée et bonne descente
à chacun.e, à leurs côtés…
Bonne pente et bonne côte !

Une colère qui stimule, donnant naissance à des œuvres

« Ma bouche sera la bouche 
des malheurs qui n’ont point de bouche ; 
ma voix, la liberté de celles
qui s’affaissent au cachot du désespoir »
(Aimé Césaire, Créole de Martinique, Cahiers du retour au Pays natal).

« Le fait d’être cinéaste, pour moi, ce n’est pas un vain mot. C’est un engagement, né d’une grande souffrance, d’un combat et d’une grande frustration. D’une grande colère que j’ai voulue créatrice. On n’existe nulle part, et j’ai voulu que ça existe. Tant que les choses n’iront pas comme il faut, je ne pourrai pas décolérer. Je continuerai à avancer avec ma colère, qui n’est pas une colère de violence, mais une colère qui stimule, qui donne naissance à des œuvres » (Euzhan Palcy, Créole de Martinique ayant reçu le César de la meilleure première œuvre en 1984).

Charles Baudelaire et Jeanne Duval

Connaissez-vous l’histoire du fol amour entre Charles Baudelaire et la métisse des îles, Jeanne dite Duval ? L’entourage du poète fit tout pour la nier et mettre des bâtons dans les roues d’une telle union. Les Fleurs du mal n’auraient pas existé sans Jeanne, Pourtant, le procès intenté contre sa publication exige dans sa sentence qu’on en retire les poèmes les plus fous d’amour pour Jeanne, la ‘tite Créole : les bijoux, les balcons, le Léthé…

En retenant l’accusation d’outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs, sans retenir l’accusation d’outrage à la religion, c’est la métisse qu’on met au ban de la société. La France d’alors (1857) sort très difficilement de l’esclavage. Aujourd’hui, sereinement, nous pouvons voir et dénoncer le racisme qui est au cœur de ce refus de couple mixte, refus qui a rendu la vie impossible à Charles et Jeanne. Cf. la conférence d’Emmanuel Richon en 2007, lors du 150ème  anniversaire de la publication des Fleurs du mal.

Les bijoux

La très-chère était nue, et, connaissant mon cœur,
Elle n’avait gardé que ses bijoux sonores,
Dont le riche attirail lui donnait l’air vainqueur
Qu’ont dans leurs jours heureux les esclaves des Maures.

Quand il jette en dansant son bruit vif et moqueur,
Ce monde rayonnant de métal et de pierre
Me ravit en extase, et j’aime à la fureur
Les choses où le son se mêle à la lumière.

Elle était donc couchée et se laissait aimer,
Et du haut du divan elle souriait d’aise
A mon amour profond et doux comme la mer,
Qui vers elle montait comme vers sa falaise.

Les yeux fixés sur moi, comme un tigre dompté,
D’un air vague et rêveur elle essayait des poses,
Et la candeur unie à la lubricité
Donnait un charme neuf à ses métamorphoses ;

Et son bras et sa jambe, et sa cuisse et ses reins,
Polis comme de l’huile, onduleux comme un cygne,
Passaient devant mes yeux clairvoyants et sereins ;
Et son ventre et ses seins, ces grappes de ma vigne,

S’avançaient, plus câlins que les Anges du mal,
Pour troubler le repos où mon âme était mise,
Et pour la déranger du rocher de cristal
Où, calme et solitaire, elle s’était assise.

Je croyais voir unis par un nouveau dessin
Les hanches de l’Antiope au buste d’un imberbe,
Tant sa taille faisait ressortir son bassin.
Sur ce teint fauve et brun, le fard était superbe !

Et la lampe s’étant résignée à mourir,
Comme le foyer seul illuminait la chambre,
Chaque fois qu’il poussait un flamboyant soupir,
Il inondait de sang cette peau couleur d’ambre !

Baudelaire touché par les peuples créoles des îles

Après avoir séjourné à l’île Maurice en juin 1841, Charles Baudelaire arrive à l’île Bourbon (La Réunion), avant de rentrer en « métropole ». Jusqu’à la fin de sa vie, il restera marquée par cette expérience humaine dans ces îles, qu’il a vécue intensément au contact du peuple créole, unique en son genre, aujourd’hui fruit de l’union entre humains d’origines si diverses : chrétiens, hindous, musulmans, bouddhistes…; Français, Africains (de coins très divers du continent), Indiens + Pakistanais, Chinois. Ces deux îles sont des laboratoires d’humanité par cette vie partagée entre humains des principales races et religions de cette planète. Abrégé de l’humanité saisissant !…

Avec La belle Dorothée (ci-dessous), poème en prose rédigé entre 1855 et 1864, Charles Baudelaire célèbre à sa manière l’art de vivre de ces îles en train de sortir difficilement de leur période esclavagiste (abolition en 1835 à Maurice, en 1848 à La Réunion).

Le soleil accable la ville de sa lumière droite et terrible ; le sable est éblouissant et la mer miroite. Le monde stupéfié s’affaisse lâchement et fait la sieste, une sieste qui est une espèce de mort savoureuse où le dormeur, à demi éveillé, goûte les voluptés de son anéantissement.

Cependant Dorothée, forte et fière comme le soleil, s’avance dans la rue déserte, seule vivante à cette heure sous l’immense azur, et faisant sur la lumière une tache éclatante et noire.

Elle s’avance, balançant mollement son torse si mince sur ses hanches si larges. Sa robe de soie collante, d’un ton clair et rose, tranche vivement sur les ténèbres de sa peau et moule exactement sa taille longue, son dos creux et sa gorge pointue.

Son ombrelle rouge, tamisant la lumière, projette sur son visage sombre le fard sanglant de ses reflets.

Le poids de son énorme chevelure presque bleue tire en arrière sa tête délicate et lui donne un air triomphant et paresseux. De lourdes pendeloques gazouillent secrètement à ses mignonnes oreilles.

De temps en temps la brise de mer soulève par le coin sa jupe flottante et montre sa jambe luisante et superbe ; et son pied, pareil aux pieds des déesses de marbre que l’Europe enferme dans ses musées, imprime fidèlement sa forme sur le sable fin. Car Dorothée est si prodigieusement coquette, que le plaisir d’être admirée l’emporte chez elle sur l’orgueil de l’affranchie, et, bien qu’elle soit libre, elle marche sans souliers.

Elle s’avance ainsi, harmonieusement, heureuse de vivre et souriant d’un blanc sourire, comme si elle apercevait au loin dans l’espace un miroir reflétant sa démarche et sa beauté.

À l’heure où les chiens eux-mêmes gémissent de douleur sous le soleil qui les mord, quel puissant motif fait donc aller ainsi la paresseuse Dorothée, belle et froide comme le bronze ?

Pourquoi a-t-elle quitté sa petite case si coquettement arrangée, dont les fleurs et les nattes font à si peu de frais un parfait boudoir ; où elle prend tant de plaisir à se peigner, à fumer, à se faire éventer ou à se regarder dans le miroir de ses grands éventails de plumes, pendant que la mer, qui bat la plage à cent pas de là, fait à ses rêveries indécises un puissant et monotone accompagnement, et que la marmite de fer, où cuit un ragoût de crabes au riz et au safran, lui envoie, du fond de la cour, ses parfums excitants ?

Peut-être a-t-elle un rendez-vous avec quelque jeune officier qui, sur des plages lointaines, a entendu parler par ses camarades de la célèbre Dorothée. Infailliblement elle le priera, la simple créature, de lui décrire le bal de l’Opéra, et lui demandera si on peut y aller pieds nus, comme aux danses du dimanche, où les vieilles Cafrines elles-mêmes deviennent ivres et furieuses de joie ; et puis encore si les belles dames de Paris sont toutes plus belles qu’elle.

Dorothée est admirée et choyée de tous, et elle serait parfaitement heureuse si elle n’était obligée d’entasser piastre sur piastre pour racheter sa petite sœur qui a bien onze ans, et qui est déjà mûre, et si belle ! Elle réussira sans doute, la bonne Dorothée ; le maître de l’enfant est si avare, trop avare pour comprendre une autre beauté que celle des écus !

Baudelaire à l’île Maurice

En route vers Calcutta, Charles Baudelaire met pied à terre à l’île Maurice, le 9 juin 1841. Après une tempête continue de plus de cent heures au large du cap de Bonne Espérance, il n’ira pas plus loin : son navire compte de nombreuses avaries, dont un mât brisé. Son célèbre poème L’albatros vient de ce long temps de traversée, et bien d’autres vers comme : « Dans les caresses de ta chevelure, je retrouve les langueurs des longues heures passées sur un divan dans la chambre d’un beau navire » (Un hémisphère dans une chevelure).

Il décrit l’île Maurice ainsi : « parfum exotique, terre magnifique, éblouissante. Les musiques de la vie s’en détachent en un vague murmure. De ses côtes, riches en verdure de toutes sortes, s’exhale, jusqu’à plusieurs lieues, une délicieuse odeur de fleurs et de fruits. »

Morisien, morisienne bizin guetté sa lien-la ek lir sa zistwar la : Emmanuel Richon, Le voyage de Charles Baudelaire aux Mascareignes,  septembre 2004, http://www.potomitan.info/moris/baudelaire/baudelaire3.php.

Dés-alien-nés

« C’est grave de s’obliger à ressembler à tout le monde. Cela provoque des névroses, des psychoses, des paranoïas. C’est grave parce que c’est forcer la nature et aller à l’encontre de ses lois et qui, dans tous les bois et toutes les forêts du monde, n’a pas créé une seule feuille identique à une autre » (Paulo Coelho).

Kali-fi-catifs

« Une belle à la taille svelte
se promène sous les arbres de la forêt,
en se reposant de temps en temps.
Ayant relevé de la main
les trois voiles d’or
qui lui couvrent les seins,
elle renvoie à la lune
les rayons dont elle était baignée. »

« Si vous pensez à elle,
vous éprouvez un douloureux tourment.
Si vous la voyez, votre esprit se trouble.
Si vous la touchez, vous perdez la raison.
Comment peut-on l’appeler bien-aimée ? »

(Maurice Delage, Quatre poèmes hindous).

Une jeune fille habillée sous les traits de la divinité hindoue Kali participe à une procession religieuse pour célébrer le festival « Gajan » à Kolkata.
Une jeune fille habillée sous les traits de la divinité hindoue Kali participe à une procession religieuse pour célébrer le festival « Gajan » à Kolkata (photo de DIBYANGSHU SARKAR )

Les traditions sur les oeufs

L’œuf est un symbole universel du cycle de la vie. Il y a 5 millénaires déjà, les Chinois s’offraient des œufs peints, à l’arrivée du printemps. Chez les Juifs, l’œuf dur fait partie du repas de deuil et du seder de la Pâque. Dans nos contrées, à l’époque où les chrétiens ne mangeaient pas de viande ni d’œuf pendant le carême, les poules continuant à pondre, on accumulait de grandes quantités d’œufs. De quoi, le dimanche de Pâques, cuire, décorer, bénir dans l’église puis offrir autour de soi : une manière de célébrer la joie de recevoir la vie nouvelle ensemble !

Dans des pays comme l’Angleterre et l’Allemagne, les enfants ont la tradition à Pâques de faire rouler les œufs jusqu’au bas de la colline. Dans des pays  de tradition orthodoxe, après la célébration du Samedi saint, deux par deux, munis d’œufs par d’œufs décorés, démuni, on frappe son œuf contre celui de l’autre. Chance bénie pour qui parvient à garder son œuf intact… Version entrechoquante revisitée dans l’image ci-dessous (dont je ne connais pas le dessinateur)…

Joyeuses Pâques !

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